Cerveau et patient : comprendre la chirurgie éveillée
La chirurgie éveillée représente aujourd’hui la première action thérapeutique dans la prise en charge des gliomes de bas grade. Cette pratique fascine par le côté spectaculaire de l’opération : un patient éveillé avec la boîte crânienne ouverte réalisant des tâches langagières ou cognitives. Cet article vous propose d’expliquer le principe de cette intervention.
Les tumeurs du cerveau : les gliomes
Les gliomes sont des tumeurs qui se développent à partir des cellules de la glie (tissu de soutien du cerveau). Ils progressent en infiltrant le cerveau le long des fibres de substance blanche, principalement dans la zone frontale et fronto-pariétale de l'hémisphère gauche, impliquée dans le langage et les fonctions sensorimotrices.
Les gliomes de bas grade (gliomes diffus infiltrants de grade II) surviennent généralement chez les jeunes adultes (20-40 ans) actifs socialement et professionnellement. Leur évolution est lente, avec un grossissement de 4 mm par an. Elles envahissent les faisceaux de substance blanche au sein de l’hémisphère touché et peuvent devenir malignes en 4-5 ans.
Contrairement à une approche attentiste, les directives préconisent une intervention précoce, intégrant radiothérapie, chimiothérapie et chirurgie. Le choix des traitements vise à équilibrer au mieux les impératifs médicaux et les besoins fonctionnels du patient.
Chirurgie traditionnelle ou chirurgie éveillée ?
Enlever des tumeurs a diverses répercussions car elles sont situées dans des zones fonctionnelles du cerveau, des zones du langage ou encore des zones motrices. L’ablation, qu’on appelle exérèse chirurgicale, peut entraîner des déficits dans les fonctions cognitives de la zone enlevée.
La chirurgie éveillée a donc pour vocation de limiter des dysfonctionnements au niveau du langage, de la mémoire ou encore au niveau moteur après l’opération. Ces conséquences viennent altérer la qualité de vie du patient après l’opération. Par la chirurgie éveillée, le neurochirurgien cherche à connaître les zones préservées ou encore possiblement rééducables afin de ne pas les enlever lors de l’intervention.
Procédure
Une cartographie anatomo-fonctionnelle individualisée est élaborée en administrant des courants électriques de courte durée (4 secondes) et de faible intensité, qui ne provoquent aucune souffrance chez le patient puisque le cerveau est indolore. Les stimulations électriques directes sont réalisées en surface puis en profondeur, provoquant des micro-lésions temporaires. Si la zone n’est pas altérée, un trouble aphasique (manque du mot, non-reconnaissance de l’item…), des réponses motrices ou sensitives, ou bien encore des troubles visuo-spatiaux et cognitifs peuvent apparaître. Cela permet au chirurgien de distinguer les zones en périphérie de la région qui peuvent être sauvegardées et qui potentiellement grâce à la rééducation (et à la plasticité cérébrale) pourraient se rétablir.
💡 Plasticité cérébrale : capacité du cerveau à se réorganiser fonctionnellement. Les fonctions des zones lésées sont prises en charge par des zones voisines ou de l’autre hémisphère grâce au réseau de fibre blanche.
Les étapes
La chirurgie éveillée, une procédure rigoureusement encadrée, se déroule en plusieurs temps. Une préparation du patient est au coeur même du processus, notamment sur le fait de se réveiller avec la boîte crânienne ouverte. L'intervention implique une coordination entre divers professionnels de la santé, augmentant l’impact de l’opération.
Phase pré-opératoire
En amont de l’opération, des démarches sont entreprises pour établir le premier profil du patient. Deux IRM sont réalisées, l'une pour évaluer la taille et l'emplacement de la lésion, et l'autre pour localiser les zones activées pendant des tâches spécifiques. Cet examen manque cependant de fiabilité car il ne permet pas de distinguer les zones fonctionnelles indispensables de celles qui pourraient être compensées. Ces informations servent de base au neurochirurgien lors de la cartographie de stimulation électrique directe. Ainsi, l’équipe pluridisciplinaire obtient une première vision d’ensemble du fonctionnement cérébral pour mieux appréhender les effets de la chirurgie.
En parallèle, le patient rencontre l’ensemble des membres de l’équipe pluridisciplinaire avec notamment :
Un bilan neurologique par le neurochirurgien
Un bilan du langage par un orthophoniste et un bilan cognitif par un neuropsychologue. Réalisé avant l’opération, ces bilans serviront de comparatif avec ceux réalisés suite à l’opération.
Phase per-opératoire
Lors de l’opération, le patient peut être soit endormi, sous anesthésie générale, en état de conscience modifiée avec un anesthésie de manière locale le temps de réaliser la carniotomie (ouverture boître crânienne). En effet, la peau de la face interne du crâne enveloppant le cerveau est très sensible.
Le neurochirurgien procède à une cartographie fonctionnelle du cerveau du patient opéré grâce à aux stimulations électriques directes de faible intensité. L’orthophoniste ou le neuropsychologue sont présents également et font passer des épreuves au patient pendant l’opération pour guider le geste opératoire. Les tâches proposées aux patients sont des tâches simples mais fines comme dénommer, compter, parler et bouger. Cela permet de voir avec précision les zones cérébrales indispensables au langage et les zones qui peuvent être enlevées sans peur de séquelles importantes. Le patient ne sent pas ces stimulations ou même la résection (le fait d’enlever la zone).
Le processus étant fatigant et coûteux pour le patient, l’orthophoniste ou le neuropsychologue doivent le rassurer et le motiver.
Au total, le patient sera éveillé environ 90 minutes. Il sera rendormi pour procéder aux derniers gestes chirurgicaux.
Phase post-opératoire
Après l’opération, le patient repasse une évaluation afin de mesurer l’effet de l’intervention en comparaison avec le bilan réalisé avant l’opération. Ainsi, les éventuels déficits en conséquence à la chirurgie pourront être mis en valeur et permettront d’orienter les axes de la rééducation. Le patient est ainsi suivi par le service pour surveiller son niveau de récupération fonctionnelle et potentiellement l’orienter vers de la rééducation.
Les résultats
A l’issue de l’opération, le patient retrouve une vie sociale et professionnelle, avec une augmentation de la durée de survie (cf les études de Mandonnet, Sarubbo et Duffau, 2015 ; Ng, Herbet, Moritz-Gasser et Duffau, 2019 ; Pallud et Dezamis, 2017 ; Soffietti et al., 2010 cités par Gestin, 2020.)
Cette pratique est très efficace car elle permet de réaliser une ablation de la tumeur précise en minimisant le risque de séquelles après l’opération. C’est donc une intervention personnalisée adaptée aux réponses du patient aux différents tests, augmentant ainsi l'efficacité des traitements et de la rééducation post-opératoire.
Conclusion
La chirurgie éveillée est donc une pratique en plein essor et qui permet de recentrer le patient au cœur de la prise en charge. Cependant, cette pratique n’est pas encore assez développée chez les enfants, car les outils ne sont pas assez adaptés à ce public. L’essor de la technologie en santé apporte son nouveau lot de défis et de potentielles avancées, tout cela dans le but d’améliorer la prise en charge du patient.
Marine Jouin
Ressources
Hélène Gestin. Évaluation du langage durant une chirurgie cérébrale éveillée : état des lieux des pratiques françaises et internationales. Sciences cognitives. 2020. ⟨dumas-03230651⟩
Aller plus loin
« L'Erreur de Broca », d'Hugues Duffau, Ed. Michel Lafon. 17,95 C
"La vie en tête" émission de France 3 sur la chirurgie du cerveau.
CHU de Caen : il joue du violon pendant son opération du cerveau https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/calvados/caen/chu-de-caen-il-joue-du-violon-pendant-son-operation-du-cerveau-2271613.html