La place de nos aînés dans la société : témoignage


 

La place de nos aînés dans la société française laisse à désirer. Les récents scandales concernant les EPAHD ne font que mettre en exergue une réalité qui existe depuis bien trop longtemps. La population de plus en plus vieillissante jumelée à un manque de moyens physiques, financiers et humains octroyés à la santé ne permettent pas à nos aînés de trouver leur place et de vivre dignement. Aujourd’hui, cet article prend une forme particulière, puisqu’il s’agit d’un témoignage vécu dans un service de gériatrie il y a maintenant trois ans. Ma première expérience avec le monde de la santé. Je l’avais rédigée dans le cadre d’une production universitaire. En redécouvrant les propos de cette étudiante que j’étais à l’époque et en écho à l’actualité, je me livre à une analyse de cette situation, qui est malheureusement encore bien trop réelle.

Témoignage d’origine rédigé en mars 2020 

La situation que je vais vous décrire s’est passée le premier jour de mon stage en gériatrie. Quand je suis arrivée dans l’unité, on m’a directement mise avec les aides-soignants pour observer les toilettes etc.

L’aide-soignante est allée voir une dame qui était assise, elle lui a dit : « Venez avec moi, Madame, on va aller faire votre toilette ». La dame me regarde et me sourit, et moi je lui rends son sourire un peu gênée et je lui dis bonjour. L’aide-soignante amène donc la dame dans une petite-salle de bain avec douche, toilettes etc. J’hésite à entrer, je suis en jupe, chaussures vernies (j’aurai dû prendre mes baskets mais je ne pensais pas assister aux douches) et avec une blouse. L’aide-soignante m’invite à entrer et ferme la porte.

Elle commence à m’expliquer : « Donc tu vois cette dame, elle a des poux depuis hier, donc on lui fait un shampoing anti-poux ». J’acquiesce, mais je ne me sens pas forcément à l’aise. Je me remémore mes cours « on ne doit pas dire « elle » ou « il » en présence des patients, ce sont des personnes qui méritent toute votre considération ». Mais, bon, après tout, je suis en stage d’observation. L’aide-soignante se rend compte qu’elle a oublié de prendre toutes les affaires de la dame et elle me dit « Je te laisse, je vais chercher ses affaires. Tu commences à la déshabiller s’il-te-plaît ». Puis, elle ferme la porte et s’en va.

Là, commencèrent les dix minutes les plus longues de ma vie. J’avais en face une dame qui ne m’avait jamais vue de sa vie, qui ne savait pas qui j’étais et c’était moi qui allais la déshabiller, une étrangère… Je décide alors de suivre mon instinct et de parler avec elle pour instaurer une relation de confiance. 

« Bonjour Madame, je m’appelle Marine. Je suis étudiante en orthophonie. Est-ce que vous avez bien dormi ? » La dame me regarde avec des yeux grands ouverts et me sourit. Je me dis que c’était un bon début, je mets donc des gants car cela me semble logique d’en avoir pour la toilette. Je me dirige donc vers la dame qui me regarde toujours avec son sourire, elle avait l’air contente d’être avec moi. Je lui rends son sourire, mais vite, le stress monte, je ne sais pas comment déshabiller une personne. Je ne veux pas lui faire mal, je ne veux pas être maltraitante sans le vouloir, j’ai vu tellement de reportages dessus.

Je décide alors d’engager la conversation et de verbaliser ce que je fais « Bon, Madame, je vais vous enlever vos chaussures. » La dame me regarde et me répond « Bbbbbbb ». Dans ma tête, je pense à une aphasie, je suis un peu désorientée, on ne m’avait pas prévenue, mais je continue de lui parler. « Est-ce que vous avez bien dormi ? ». Je commence à retirer ses chaussures, puis ses chaussettes. Ensuite, je me relève et je lui souris « On va enlever votre charlotte qui tombe, vous n’en avez pas besoin ». Puis, je lui retire ses lunettes, elle me sourit « Est-ce que vous allez bien ? je peux continuer ? » lui dis-je alors. Elle me regarde toujours avec son sourire. J’enlève alors son gilet, puis après je m’arrête. Je me sens très mal à l’aise, je n’ose pas continuer.

L’aide-soignante revient enfin, elle ouvre la porte et entre. « Tout va bien ? » Je pense qu’elle voit mon malaise et décide de reprendre la main. Elle est rapide et pendant qu’elle enlève les vêtements, elle me pose des questions sur ce que je fais. Elle commence alors la toilette, elle allume l’eau et teste la température sur sa main puis après elle lave la dame. Au bout de quelques instants, elle lui demande « La température de l’eau vous va ? ». La dame lui donne son sourire comme réponse. La toilette finie (très rapide), l’aide-soignante habille la dame avec des vêtements de l’unité. « Certains patients viennent sans leurs vêtements et leur famille n’a pas les moyens », m’explique-t-elle. Puis, je prends la dame avec moi et je la ramène à sa place : « Au revoir Madame, à tout à l’heure ». La dame me répond avec son sourire. 

Analyse

Cette première expérience dans le monde hospitalier m’a énormément marqué, et influence mes choix professionnels. Cette situation n’est malheureusement pas rare. Je ne veux pas blâmer l’aide-soignante, cette attitude est un parfait exemple du manque de temps accordé aux toilettes et de la pression qui est exercée sur elle. Les étapes de la toilette ont toutes été respectées à la perfection, les gestes étaient précis mais mécaniques. Le soignant devient un robot qui répète les mêmes gestes pour respecter un planning de plus en plus rigoureux. La relation humaine est délaissée au profit de la rentabilité et de l’efficacité.

Quand je repense à cette dame, mon cœur se serre car je revois ce sourire. L’absence de langage coupait cette patiente de la communication, dans le service, elle restait seule toute la journée assise. L’absence de moyen de communication rendait les échanges inexistants avec les autres patients et l’équipe soignante. Ces journées se résumaient à une grande solitude. La toilette est l’occasion pour elle d’avoir un instant privilégié, un moment d’échange et de considération. Or, cet instant, si important, se retrouve bafoué au nom de la productivité.

Je n’ai pas réussi à trouver une place dans ce fonctionnement inhumain, et je pense que je ne suis pas la seule à avoir ressenti ce sentiment d’impuissance. Ces situations peuvent venir broyer des projets d’avenir. Bien-sûr, des soignants en accord avec leurs convictions se battent pour offrir des soins de qualité et ainsi garantir la dignité des personnes âgées. Ils n’oublient pas l’essence même de notre métier de soin : la solidarité.

Alors, à cette étudiante que j’étais, je te dis merci ! Merci d’avoir mis des mots sur une situation vécue par beaucoup de personnes. De cette expérience douloureuse, j’ai pu construire ma posture professionnelle, et j’espère que d’autres personnes se retrouveront au travers de ce témoignage.

Marine Jouin

 

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