La place du temps dans le soin


 
Kunj ParekhLigne de crédit : Unsplash

Kunj Parekh

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La crise actuelle que nous traversons met en évidence les failles de notre système de santé. La fatigue des professionnels, le manque de moyens et la course contre la montre font partie du quotidien des soignants. Mais, avons-nous réellement le temps ?

Notre vision du temps peut être rapidement perturbée. Selon les personnes, le temps représente les générations futures alors que pour d’autres, c’est le futur proche, l’avenir qui se dessine. Cependant, le temps, du grec « chronos », reste toujours le même. Nous avons pourtant l’impression de courir après le temps, de manquer de temps. Selon Kant, le temps est une forme universelle qui permet de saisir les phénomènes. Mais, le temps est un mot vaste pour définir tant de concepts.

« Le temps, c’est de l’argent » est une citation qui est intégrée dans notre société. L’humain se sent oppressé et a toujours la sensation de manquer de temps. Selon Bergson, il existerait deux temps. Le temps vécu est lié à nos sentiments, nos pensées et nos représentations. Chacun ne vit pas de la même façon le temps qui passe. Or, le temps est également objectif puisqu’il est chronométré par une horloge universelle.

Aujourd’hui, nous traduisons le temps par la production. Nous accordons notre temps différemment selon les projets ou les personnes. Notre temps d’investissement n’est pas le même, il sera d’autant plus élevé si c’est une activité rémunérée.

Nous vivons également dans l’urgence, l’urgence climatique, l’urgence face aux attentats, l’urgence face à la situation sanitaire. Mais, malgré tout, il ne faut pas oublier que le temps reste identique à lui-même. Selon J.D Lalau : « Le syndrome de notre génération réside dans le terme chronophage, nous avons peur que le temps nous mange, mais sachons prendre le temps ».

Cette situation d’urgence se ressent dans le monde de la santé. Nous demandons aux soignants de faire plus avec moins de moyens. Le temps passé à soigner est remplacé par le temps productif.

Or, le temps est au cœur même de l’alliance thérapeutique entre le soignant et le patient. En effet, il y a le temps soigné et le temps soignant. Le temps soigné est le temps du patient avec ses émotions, son histoire. Après le diagnostic d’une maladie, le patient a une relation particulière avec le temps. Le temps d’avant a un aspect négatif teinté de nostalgie avec la fameuse phrase « c’était mieux avant » tandis que le temps d’après, l’avenir, peut à la fois faire peur (la mort) ou être synonyme d’espoir (rémission). Ce temps soigné est primordial dans la pratique du soin pour mieux appréhender les réactions du patient.

Le temps soignant est quant à lui le moment de la pratique du soin. Le soignant mobilise ses connaissances pour proposer les meilleurs soins. Malheureusement, ce temps soignant doit être maintenant efficace et productif quitte à mettre de côté le temps du soigné. En effet, lors de la pratique de soins, le patient voit dans ces instants une échappatoire à sa souffrance.

Il faut donc que le soignant prenne le temps d’écouter les attentes du patient afin de créer une alliance thérapeutique forte et durable. Nous vivons de plus en plus longtemps mais les maladies chroniques sont de plus en plus présentes. Notre système de santé doit donc évoluer et s’orienter vers une prise en charge bio-psycho-médicale. C’est une approche qui veut un accompagnement du malade dans la société avec sa maladie chronique en suivant les améliorations.

Les manifestations, la crise sanitaire, les SOS du monde hospitalier imagent le mal-être du monde soignant dans cette société qui court après le temps. Les urgences n’accueillent plus que les urgences, elles sont submergées par les pseudos-urgences. Il faut être plus efficace, être plus rentable. Mais à quel prix ?

Courir après le temps met les soignants hors du temps et pousse au burn-out. Au-delà du mal-être des soignants, il y a le mal-être des patients qui ne se sentent pas écoutés ou pris réellement en charge. L’instant du soin se compose en plusieurs temps. La sollicitude est l’instant du dialogue, c’est souvent au moment de l’accueil. Le soignant écoute l’histoire du patient et prend le temps d’instaurer ce moment de confiance nécessaire pour la prise en charge. Par manque de temps, cette étape comme un simple bonjour en entrant dans la chambre est oubliée. Ensuite, il y a la pratique de soins en elle-même. Là, il ne faut pas seulement mobiliser ses connaissances et réagir comme un robot. Nous pouvons être efficaces et performants mais être proches de la maltraitance car nous oublions la base même du soin. Enfin, il y a l’accompagnement du patient jusqu’au terme de la prise en charge qui est optimale si les deux autres étapes se sont construites dans le respect de l’alliance thérapeutique.

Sachons prendre le temps. Cette problématique du temps n’est pas propre au monde soignant, mais elle est à l’origine d’un certain mal-être. Arrêtons de vouloir courir après le temps, prenons le temps de parler aux gens autour de nous. Écoutons les histoires des autres, nous avons tant à apprendre de notre prochain.

Marine

 

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Bibliographie :

Dico Philo. « Le temps en philosophie ». La philosophie, s. d. https://la-philosophie.com/le-temps-en-philosophie

Jean-Daniel Lalau. (2019) « Le temps et la maladie chronique ». Diaporama, s. d.