Pourquoi la série Le Seigneur des Anneaux D'Amazon fait autant parler d'elle
Si vous avez jeté un coup d’œil sur les réseaux sociaux dans les dernières semaines, il est difficile que vous soyez passé à côté de ce débat qui déchaîne les passions et les insultes : la nouvelle adaptation du Seigneur des Anneaux par Amazon pour sa plateforme de streaming, à paraître en septembre 2022.
Entre ceux qui défendent une certaine image intouchable de l’univers imaginé par J.R.R. Tolkien et ceux qui justifient tous les choix d’Amazon, nous finissons par croire que le monde entier est soit fasciste soit woke, soit raciste soit débile, etc…
Pourtant, il faut l’admettre, tous se ridiculisent dans ce débat, et c’est d’abord lié au fait que tout se passe sur les réseaux sociaux. Ceux-ci ne sont pas faits pour débattre : ce sont les terres des émotions et des raccourcis. Et, finalement, personne n'apparaît ni vainqueur ni grandi de tout cela, juste stupides.
Voilà pourquoi je pense qu’il est nécessaire de prendre notre temps pour se pencher sur cet épineux sujet, de revenir en détail sur les tenants et les aboutissants de chacun, pour nous faire une image complète de la situation.
Tout d’abord, revenons sur ce qu’est cette série. Le Seigneur des Anneaux est à l’origine une saga de romans publiés entre 1954 et 1955 par J.R.R. Tolkien et décrit un univers de fantasy médiévale remplie d’elfes, de nains et de magie. La série d’Amazon, intitulée « The Rings of Power », ou « Les Anneaux de Pouvoir », est une adaptation d’un passage du Silmarillion, un livre qui revient sur la genèse et l’histoire du monde dans lequel se déroule la saga principale. Nous avons donc affaire à une préquelle, où les scénaristes vont s’intéresser à ce qu’était cet univers avant la Guerre de l’Anneau.
Aujourd’hui, tout le monde ou presque connaît Le Seigneur des Anneaux. D’abord et surtout grâce à la trilogie de films de Peter Jackson (ou plus récemment la saga du Hobbit), qui sont maintenant considérés comme des classiques du cinéma, tant pour leur ambition démesurée que pour leurs révolutions techniques. De la même manière, les livres d'origine sont aussi considérés comme des classiques de la littérature du XXème siècle. Tout cela mène à la création d’une base de fans incroyablement étendue et variée.
Voilà pourquoi la série à venir a fait couler tant d’encre : trop de personnes et d’opinions différentes s’affrontent pour dire ce qu’ils auraient préféré voir (ou ne pas voir). Pour être honnête, tous les choix qu’Amazon aurait pu faire auraient été critiqués violemment. Mais cela ne veut pas dire que les choix présents ne sont pas discutables et difficilement justifiables.
Le principal point de tension tourne autour de la présence d’acteurs de couleur dans la nouvelle adaptation, là où les anciennes adaptations n’y prêtaient pas beaucoup d’attention. Les premières images nous présentent donc tout le casting, dont une naine et un elfe noire, ce qui est une première dans l’histoire des adaptations. Évidemment, vous connaissez sûrement l’hystérie qui entoure les Américains dès qu’il s’agit de race. Cette obsession est difficile à comprendre en Europe où la couleur de peau déchaîne beaucoup moins (bien que déjà trop à mon avis) les passions qu’aux Etats-Unis.
Ainsi, évidemment, nous nous retrouvons avec des personnes qui expliquent que des acteurs de couleur n’ont rien à faire dans la série, au motif qu’aucun n’était déjà apparu. Ces personnes se voilent la face car l’auteur lui-même a longuement décrit des peuples de couleur dans son univers, via les Haradrims et le Rhûn, deux peuples qui apparaissent rapidement dans son œuvre mais qui y occupent tout de même une importante place. Mais ils ne sont pas entièrement en tord non plus, d’un point de vue de cohérence de l’univers de Tolkien et de sa géographie.
Évidemment, à l’opposé de ces gens se trouvent des personnes qui expliquent que, s’il y a des dragons, de la magie et des dieux vivants, il n’y a aucune raison qu’il n’y ait pas de couleurs dans la série. Et c’est ici que se trouve le principal problème d’argumentaire dans ce débat : les justifications. Et Amazon en est entièrement responsable, en laissant un vide sur le pourquoi des personnages, d’où ils viennent, etc… En laissant volontairement ce vide scénaristique, chacun peut y aller de sa petite théorie, de ses propres explications. Evidemment, comme les réseaux sociaux sont fait pour l’instantané et le défaut d’argument, personne ne prend le temps de discuter calmement et d’exposer ses idées : plus facile de ranger ses opposants dans les cases woke ou fasciste et de les bloquer que d’accepter que l’on puisse penser différemment de soi.
Au final, cette petite guerre ridiculise les deux opposés : si, effectivement, les personnages de couleur existent dans l’œuvre originale et y ont une certaine place, cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas besoin de justifications et que l’on peut faire ce que l’on veut avec l’histoire.
Car Le Seigneur des Anneaux est une œuvre qui est empreinte de tolérance : toute l’histoire tourne autour de nombreuses espèces différentes qui, malgré leurs différences et leurs passés difficiles en commun, finissent par s’allier et faire front ensemble contre la haine et la violence.
C’est donc Amazon qui cultive volontairement ces tensions, en refusant d’expliquer, car « Bad buzz is buzz » et partout dans le monde, les gens en parlent.
Mais Amazon a d’autres choses à se faire pardonner. Cette série est une vitrine : elle est d’abord la plus chère de l’histoire (420 millions de dollars de budget) et l’une des plus ambitieuses. Mais Amazon est avant tout une entreprise qui cherche à vendre. Donc elle utilise cette série pour se faire bien voir. C’est pourquoi, et l’on trouve cela dans l’article de Vanity Fair que vous pouvez retrouver ici, que les scénaristes ont déclaré avoir volontairement inséré des débats actuels dans la série pour que tous puissent s’y reconnaître.
Et voilà le problème majeur : Amazon tord le produit d’origine pour qu’il colle à sa ligne marketing. Cette série n’est faite par des passionnés comme l’étaient ceux de P. Jackson (qui, dans une interview lors de la réalisation de la trilogie, avait déclaré : « Nous nous sommes fait une promesse au début (de la réalisation) : nous ne mettrons pas nos propres idées politiques, nos propres messages ou nos propres thèmes dans ces films. Ce que nous voulons, c’est comprendre ce qui était important pour Tolkien »). Cette série est faite par des marketeux, liés à des obligations envers leur entreprise.
Alors, vous pourriez me dire que l’on s’en moque de tout cela, que si ce qu’ils font de la série ne plait pas, il suffit de ne pas regarder. Et vous auriez raison, se plaindre pour se plaindre est stupide, si vous n’aimez pas, faites quelque chose qui vous plait à la place.
Mais cela ne suffit pas pour fermer les yeux sur ce qui est fait à un univers qui plaît à tant de personnes. Amazon adapte une histoire en y insérant des thèmes qui ne sont même pas justifiés (la couleur de peau est d’abord liée à une évolution sous différentes expositions au soleil, alors pourquoi y a-t-il une naine noire, alors que les nains sont réputés pour rester enfermés pendant des millénaires sous des montagnes à creuser ?).
A mon avis, il aurait été plus intéressant, si l’idée était de traiter de la diversité ethnique et de la couleur de peau dans Le Seigneur des Anneaux, de faire une série ou quoi que ce soit d’autre sur l’une des cultures que j’ai citées plus haut : par exemple, les Haradrims, ces hommes du Sud inspirés par les cultures arabo-africaines, et que la trilogie de Jackson a mis en avant durant un certain nombre de scène.
La porte a été ouverte. Et il existe une véritable demande de fans pour cela. Mais, pour Amazon, ça ne vend pas assez. Donc ils prennent une histoire connue, car c’est ce genre d'histoire qui attire le plus de monde. Et, pour coller à leur ligne marketing, insèrent des thèmes injustifiés qui n’alimentent que l’incompréhension et la haine.
J’ajouterais en aparté que ce que fait Amazon ici est très discutable vis-à-vis des acteurs et actrices eux même, en assumant prendre des acteurs de couleur uniquement pour de la représentation ethnique. Est-ce donc leur seule qualité ? Ne sont-ils que des instruments marketing ? Et leur talent dans tout ça ?
Cette série fait s’opposer les gens, les fait s’insulter, se haïr, polarise les avis et réduit encore un peu plus les possibles débats constructifs qui auraient pu exister. Et tout cela à cause de la politique d’Amazon qui préfère vendre que de faire bon et bien.
Nicolas Graingeot