La passion de Dodin Bouffant
Intérieur jour : cuisine du XIXe siècle
Un crépitement de feu de cheminée, une odeur d’oignons caramélisés, un poisson cuisant à feu doux dans de la crème, une poularde plumée prête à être préparée.
Ce sont les yeux ébahis que nous découvrons ce nouveau lieu. Un lieu plein de vie. Je dirais même la passerelle entre le potager et notre assiette : la cuisine !
Celle que nous propose Trần Anh Hùng dans son dernier film, La Passion de Dodin Bouffant, n’est pas n’importe quelle cuisine. Bien évidemment, il ne s'agit pas ici de la cuisine de l’Élysée (Les Saveurs du palais de Christian Vincent, 2012), ni celle du soi-disant premier restaurant de France (Délicieux d’Éric Besnard, 2021), il s’agit ici de la cuisine de Dodin Bouffant ! Mais apportons plus de précisions… Imaginez une cuisine de la fin du XIXe siècle, un sol en tomette couleur terre de sienne brûlée, un piano au milieu fonctionnant à la braise et pouvant accueillir un nombre incalculable de casseroles et autres plats en cuivre. Fleurs comestibles, accès à la cave, table pour déguster : bienvenue dans la cuisine à la française !
Dès la première scène, nous sommes conviés dans cette pièce calme où les odeurs nous parviennent, et ce même à travers l’écran. Certains diront retrouver le goût des aliments, et tout cela sans technologie olfactive digne de la dernière attraction 4D du Futuroscope ! À partir de ce moment, le film ne nous lâche plus et nous invite à contempler, profiter et croquer à pleines dents cette pépite du cinéma français !
Retournons à notre séance. Vous l’aurez compris, le film nous propose ici un instant suspendu, hors du temps. Un instant qui loin des cuisines d’aujourd’hui où chaque seconde est comptée (série The Bears de Christopher Storer, 2022). Ici, les plats sont réfléchis au moment de leur conception en fonction des arrivages, les saveurs sont travaillées en instantané, les produits sont respectés, presque honorés. Les protagonistes nous emmènent dans leur potager afin de sélectionner avec soin LA laitue qui fera la différence dans le plat. Mais n’ayez crainte, vous ne ressortirez pas de la séance avec un CAP cuisine, mais avec bien quelques notions, gestes et idées que vous aurez envie de refaire devant vos propres fourneaux !
Le film nous expose donc la passion d’un homme, Dodin Bouffant, joué magnifiquement par Benoit Maginel, envers la bonne gastronomie de nos campagnes d’antan, mais pas que ! En effet, la tête d’affiche est partagée avec la resplendissante Juliette Binoche dans le rôle d’Eugénie. Le duo qui se retrouve ici après s’être séparé il y a 20 ans nous livre une complicité étroite, tendre, saine. Et l’œil du réalisateur y contribue, rien n’est de trop ! De la sensualité sans sexualité, des discours sans mots inutiles. En fait, ce film est doux, tout comme les plats confectionnés dans ce dernier. Pour reprendre une image du film, la séance est comme la meringue de l’omelette norvégienne : elle nous protège de l’extérieur durant un instant. À titre informatif, c’est le chef étoilé Pierre Gagnaire, présent en tant qu’acteur, qui a œuvré dans la confection des menus et plats.
Ce film de Trần Anh Hùng nous montre bien que le 7ᵉ art est bien un art ! À l’image du film Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma, 2019), chaque scène est ici un vrai tableau, tant par la composition, les couleurs, les lumières que par le jeu des acteurs qui arrivent sans souci à nous transmettre des émotions sans l’aide de musique. Seulement deux seront
utilisées dans le film, dont une pour le générique de fin. Et oui, les violons, pianos et autres instruments à cordes ne sont pas forcément nécessaires pour esquisser une larme.
La cuisine retourne ici à sa plus juste place : l’art ! Et comme tout art, elle peut, elle aussi, transmettre des émotions, des sentiments, des passions.
Simon