Du communisme politique au communisme de marché, le communisme de marché est-il possible ?
« Un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme. » Cette citation, extraite du Manifeste du parti communiste (1848) écrit par Karl Marx et Friedrich Engels, montre que le communisme et la peur de celui-ci remonte à loin. Raymond Vancourt, dans l’introduction de son ouvrage Qu’est-ce que le Communisme ? donne les dispositions d’esprit pour aborder l’étude du communisme « Il faut éviter d’abord tout sentimentalisme. […] C’est avec la froide raison et la lumière de la science qu’il faut l’apprécier. […] éviter les interprétations qui déformeraient la véritable pensée communiste ; il faut absolument nous garder d’en présenter une caricature. ». Ici nous allons analyser la formation du communisme, puis l’instauration d’un régime politique fondé sur le communisme et enfin sa transformation en communisme de marché opérée en Chine.
Une formation ancienne du communisme
Avant même d’être un régime, le communisme est une doctrine. Il met du temps à se former mais c’est une idée ancienne. Le communisme c’est mettre en commun. A l’origine, ce terme désigne une forme d’organisation sociale dans laquelle les biens sont mis en commun entre tous les individus qui la composent. Ce concept présente des points communs avec la société idéale définie par Platon dans son ouvrage La République. Cette cité n’est possible qu’en appliquant des principes stricts d’égalité. Beaucoup d’auteurs au cours des siècles, se penchent sur cette question recherchant le meilleur système permettant aux hommes d’être égaux, notamment les utopistes.
Certains pensent que le communisme est la base des sociétés primitives et que celles-ci se sont perverties et affranchies de celui-ci à cause de personnes désirant le pouvoir et la richesse. Pendant la Révolution Française, certains comme Marat ou Babeuf veulent l’égalité et donnent certaines bases sur lesquelles Lénine s’appuiera. Cette idée n’est jamais véritablement morte puisqu’elle est présente chez des révolutionnaires radicaux du 19ème siècle comme Auguste Blanqui. Puis le mot devient un élément du vocabulaire socialiste. En effet, Marx et Engels se revendiquent communistes, le mot désignant les partisans d’une société réorganisée de fond en comble. Sa véritable généalogie trouve son origine en Russie, au moment des grandes réformes de 1861. En effet, la révolte est ce qui est nécessaire pour que le communisme, en tant que courant politique, se forme.
C’est le cas en Russie, une crise politique fait monter l’indignation et les revendications. Pour l’exploiter, il faut une doctrine, un parti et des circonstances, ces éléments forment l’idéologie communiste. Le bien de la communauté et l’égalité attire de nombreuses personnes déçues des pouvoirs politiques en place. Jean Jaurès dira que « le communisme doit-être l’idée directrice et visible de tout le mouvement », ce qui explique la prise d’importance de celui-ci. Ainsi tous ces éléments vont permettre au communisme d’aboutir en une forme politique.
Le communisme politique en URSS
« Le communisme est l’opium de l’intellectuel », cette citation de Clara Booth Luce (1903-1987) montre que celui-ci est porté par les intellectuels. En effet, la révolution de 1917 est portée par Lénine qui est un idéologue, s’attachant à l’idée de société égalitaire. Il profite de la chute de l’ancien régime russe des tsars et de la guerre pour prendre le pouvoir. Il lance une première campagne de collectivisation des terres russes afin de contrecarrer les espoirs de contre-révolution de l'ancienne noblesse russe. Lénine fonde l'URSS sur les décombres de l'Empire russe.
L’URSS devient ainsi le premier pays communiste. Son objectif est la lutte des classes et suivant cette phrase de Karl Marx « la chute de la bourgeoisie et la victoire du prolétariat sont également inévitables », il veut aller jusqu’au bout car il est sûr que cette évolution est inéluctable. Cette certitude du résultat final, la société égalitaire et le renversement des barrières sociales, est pour eux une certitude scientifique, rationnelle. C’est ainsi que va se mettre en place un régime dictatorial, au sens où les personnes sont soumises à ce que veut le pouvoir, avec l’arrivée de Staline au pouvoir en 1923. Pour conserver l’unité du Parti et la stabilité du régime lorsque la croyance en l’utopie s’estompe, il va fournir au peuple de nouvelles forces spirituelles et des avantages matériels, tout en contrôlant par la force. Alain Besançon affirme que « si la révolution ne peut se faire que grâce à la rencontre de la révolte et de l’idéologie, elle ne peut se continuer qu’à travers l’association de l’idéologie et du nationalisme ». C’est pour cela que les dirigeants en URSS ou dans d’autres pays utilisent le sentiment national pour faire triompher leur politique.
De plus, les communistes vont augmenter la vision noire du capitaliste pour montrer au peuple que son sort est plus enviable que celui des capitalistes qui sont condamnés d’avance à la disparition. L’utilisation de la propagande par les dictateurs communistes permet le maintien au pouvoir. C’est la lutte entre deux idées capitalisme et communisme, une seule peut vaincre. Tous ces moyens de survie ne suffisent pas. En effet, un régime communiste pur et dur, c’est très vite le désert, la mort de faim, la disparition de tout. Pour mieux comprendre il faut suivre l’histoire de la politique communiste en URSS. Bien sûr le contrôle était total, la population soumise, mais on ne peut contrôler la nature. En effet, dans les plans quinquennaux, le gouvernement voulait que telle personne ne produise que du blé par exemple sans discontinuité, cependant la terre a besoin de repos ce qui empêche cette planification de réussir. De plus, le secteur économique a été délaissé au profit du secteur militaire. En effet, pour rester au pouvoir il faut une armée.
Or avec l’amélioration de celle-ci dans les autres pays, il faut la réformer, C’est ainsi qu’en URSS, le secteur de l’armement fut privilégié. Pour avoir une bonne armée, il faut des technologies recherchées et des industries qualifiées. Cependant avec la concurrence des USA, l’URSS a craqué, elle ne pouvait plus suivre en raison de son économie minimum. Elle s’est effondrée face aux révoltes intestines comme en Tchécoslovaquie ou en Hongrie. La chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 que Gorbatchev n’a pu empêcher, accélère la fin de la Russie communiste. « Les soviétiques ont été victimes d’avoir conservé jusqu’au bout le programme léniniste de révolution mondiale » et de vouloir étendre la domination de Moscou sur les autres pays qui auraient dû se soumettre à elle. L’effondrement de l’URSS permit à d’autres pays communistes de se maintenir en se réformant et d’éviter le même sort.
Une application différente du communisme en Chine
« Notre État est un État de dictature démocratique du peuple. » Cette citation du président Mao Tsé-toung montre bien que la Chine est devenue un pays communiste et que c’est assumé. En 1949, lorsqu’elle change de régime, le parti communiste souhaite réformer de manière modérée pour ne pas faire fuir les gens. Le pays, ravagé par la guerre, doit se reconstruire. Dans les premiers temps, Mao décide de suivre la politique soviétique par le traité d’alliance de février 1950, en mettant en avant la « solidarité prolétarienne ». Cependant, en 1956 la politique de déstalinisation décidée uniquement par Khrouchtchev fit comprendre à Mao que s’il continuait sur la lancée de l’alliance, il n’y aurait plus de Chine. Aussi il cessa cette politique et commença de décider par lui-même en instaurant un communisme avec des spécificités chinoises.
C’est l’apparition du maoïsme, Mao ajoute au communisme des concepts comme la Nouvelle Démocratie et la guerre populaire. Pour lui, l’opposition se fait entre campagnes et villes. Il cherche à remodeler la société et les mentalités par une politique volontariste de modernisation économique. Après les échecs du communisme utopique avec le « Grand Bond en avant », qui doit rendre les campagnes riches, et la Révolution culturelle, campagne de propagande contre les opposants de Mao, la Chine est sur le point de s’écrouler. A la mort de Mao, le redressement va se faire. Depuis 1977, sous la conduite de Deng Xiaoping, la Chine s'engage dans la modernisation. Tout en conservant la dictature politique et le rôle dirigeant du parti communiste, Deng bouleverse l'économie chinoise. Il comprend qu’il faut s’appuyer sur le nationalisme et sur la capacité de travail des chinois. Il introduit un régime de marché : il laisse les paysans cultiver, il lâche les prix. Il décide d’ouvrir la Chine sur le plan international. Elle devient nationaliste tout en conservant un parti unique socialiste communiste qui garde la main sur tout.
Si le système économique ne cesse de s’éloigner du communisme, avec l’afflux de produits chinois sur le marché mondial, le pays reste communiste. Les pays sont en face d’une Chine nationaliste, « qui n’envisage nullement de s’intégrer dans un système international quelconque, mais seulement de profiter des failles de ce système, pour mieux s’imposer face à ses rivaux ». Il ne reste rien du communisme, en tant qu’il signifie « la solidarité prolétarienne », de la Chine en matière de politique internationale. En matière économique, le communisme n’est pas net puisque depuis la politique d’ouverture, le pays s’est progressivement engagé dans une nouvelle expérience dite « d’économie socialiste de marché », c’est une économie socialiste classique plus une économie presque entièrement capitaliste, dominé par l’intérêt privé et la loi du marché. Ce système a des limites car à côté d'une grande masse d'urbains et de ruraux qui vivent sans pouvoir faire d'excès, se développent une classe moyenne et une petite frange de nouveaux riches qui vivent confortablement. Le parti communiste chinois maintient une politique de répression contre les opposants politiques et a installé une censure étroite des moyens de communications modernes. Malgré cela, la Chine est devenue une des plus grandes puissances mondiales.
Ainsi le communisme a connu diverses formes. De politique en URSS, il devient économique en Chine. Même si dans ce pays on ne parle pas de communisme de marché, il n’en reste pas moins un pays communiste qui s’impose face aux autres pays et reste fidèle à son modèle politique communiste. On peut dire que cette phrase « le communisme n'est qu'une science, c'est seulement un moyen scientifique d'accorder la production à la consommation » de Claude Simon, illustre ce qui se passe en Chine. Il existe d’autres pays communistes comme la Corée du Nord, qui applique un communisme politique et non de marché, mais aucun n’a encore atteint la puissance chinoise. La Chine communiste tient les autres pays grâce à ses investissements.
Marie Ouazana