L'ultracrépidarianisme, ou donner son avis sur tout, tout le temps


 
Shane RounceLigne de crédit : Unsplash

Shane Rounce

Ligne de crédit : Unsplash


« L’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance » Charles Darwin


En lisant le titre de cet article, vous vous êtes sûrement dit “Ultracrépi-machin ? Kécécé ?”. Et c’est bien normal, ne vous inquiétez pas ! 


Derrière ce nom, barbare mais scientifique, qu'est l’ultracrépidarianisme se cache une idée très commune, un comportement que nous connaissons tous, et qui nous agace tous : ces personnes qui donnent leur avis sur absolument tout, et en particulier ce qu’elles ne connaissent pas !


Le biais de surconfiance, une malédiction sociale

Cette tendance psychologique, aussi appelée l’effet Dunning-Kruger, ou encore biais de surconfiance, a été démontrée par une étude desdits scientifiques en 1999, aux Etats-Unis. Il s’agit dans les faits d’une difficulté pour les sujets de reconnaître leur incompétence sur un ou plusieurs sujets donnés, mais aussi une incapacité à reconnaître la compétence d’autrui. En résulte une habitude à donner son avis sur tout et n’importe quoi, en étant cependant assuré du bien fondé de leurs idées.


Nous connaissons tous un (attention les yeux !) ultracrépidarien. Et nous sommes tous fatigué d’entendre à longueur de journée ces personnes débattre sans discontinuer. Même dans les médias, ce comportement est commun : combien de fois entendons-nous telle ou telle personne donner son avis, en nous demandant en même temps “mais qu’est ce qu’il y connaît lui ?”. Nous ne comptons plus le nombre de politiciens s’acharnant à défendre une thèse scientifique, ou encore le nombre d’habitués de comptoir expliquant la meilleure façon de gérer une économie dérégulée et mondialisée.


Le meilleur exemple de cette tendance, nous le vivons en ce moment, en pleine crise du Covid-19. Jamais, de mémoire, autant de personnes différentes n’ont eu à se prononcer quant à la gestion de la crise, au fonctionnement biologique de la souche virale, ou à propos du meilleur médicament à donner aux malades. Et, dans le même temps, la parole des médecins, des virologues, des scientifiques, bref des spécialistes, n’a jamais été aussi remise en cause. La faute à ces ultracrépidariens, qui miment et surjoue leurs prétendues connaissances pour attirer vers eux le feu des projecteurs. Ayons une pensée émue pour Christian Estrosi, maire de Nice, qui, le 23 Mars 2020, appelait les médecins à donner de la chloroquine aux malades. Chloroquine qui, on le rappelle, n’avait jamais pu prouver la moindre efficacité sur la maladie (c’est d’ailleurs toujours le cas).


Quelles ont pu être, durant cette crise sociale, économique, politique et sanitaire, les conséquences des actions de ces gens qui souhaitaient à tout prix donner leur avis ? Quelles ont été les souffrances provoquées par cette quête de la reconnaissance et de “l’heure de gloire” ?


La Maladie de Nobel, le fléau des savants

Sur une note moins...tragique (même s’il y a de quoi en être triste), notons une variante de ce comportement destructeur : la Maladie de Nobel, ou Nobelite. Si vous suivez de temps à autre les différentes sessions des prix Nobel, vous savez sûrement que, parfois, certains des lauréats finissent par être la risée du monde scientifique pour avoir défendu sans raison et sans preuve des idées, si ce n’est complotiste, du moins discutable. Cette maladie, une forme très poussée et particulière de l’ultracrépidarianisme, se traduit par une perte de repère de la part dudit lauréat, face à la renommée mondiale et la reconnaissance soudaine de son travail. Il se met à confondre sa connaissance de son domaine, et sa connaissance d'autres domaines n’ayant rien à voir. Pensons à Luc Montagnier, biologiste français nobélisé en 2008 pour sa découverte avec son équipe du virus responsable du SIDA, le VIH en 1983. Aujourd’hui, il est surtout connu pour ses thèses sur la mémoire de l’eau, la téléportation de l’ADN et pour ses positions contre les vaccins. Il est aujourd’hui mis au ban de la communauté scientifique. Son prix Nobel a ainsi provoqué chez lui, comme chez d’autres, l’utilisation de sa respectabilité en tant que biologique du SIDA pour s’exprimer sur des sujets n’ayant rien à voir, sur de très peu scientifiques théories, plus proches du charlatanisme que de quoi que ce soit d’autre.


Combien de temps encore devrons-nous subir l’incompétence de certains ? Combien de temps cette soif de gloire et de lumière assèchera la quête du savoir ?


Très longtemps encore, sans aucun doute.


Mais la seule manière de lutter contre cette tendance humaine reste encore et toujours l’éducation : l’éducation des plus jeunes contre les théories obscurantistes et l’ignorance, l’éducation des moins jeunes à vérifier les informations avant de les accepter. L’éducation de tout un chacun, partout, tout le temps, pour toujours. Car, comme vous l’avez déjà lu plus haut : «L’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance» Charles Darwin.

Nicolas Graingeot


image.jpg

“Cancel culture”: une épidémie de censure