Le capitalisme et sa fin, de Schumpeter à Marx
Qui n’a jamais entendu les discours apocalyptiques d’une fin annoncée et inévitable du capitalisme ? Une fin qui, pour poursuivre la métaphore christique, se fait attendre et semble même sur de nombreux aspects s’éloigner.
Ces visions d’un avenir funeste pour le capitalisme, on les retrouve évidemment chez Marx et tous ses disciples ultérieurs. Or il n’est pas le seul à penser ainsi. Et si cela peut sembler paradoxal, ce sont parfois de véritables promoteurs du capitalisme qui finissent par tomber sur la même conclusion implacable: le capitalisme va mourir.
Pour autant si les conclusions de certains pro et de certains anti capitalistes convergent, il est important de souligner que les raisons qu’ils invoquent sont largement diverses et incompatibles entre elles. C’est cette opposition de point de vue menant à un même résultat que nous allons analyser en prenant deux penseurs diamétralement opposés, que sont Marx et Schumpeter.
Marx et la mort du capitalisme contenue dans son principe.
Pour Marx et de nombreux anti-capitalistes, le capitalisme doit sombrer de par les règles qui le constituent. Les conditions de sa mort sont au coeur de ce qui lui permet de croître pendant un temps.
A ses yeux, le capitalisme repose sur la propriété privée des moyens de production. Cela signifie que chaque capitaliste possède son entreprise et les machines qui y sont contenues. Il doit embaucher des travailleurs pour réaliser une plus-value, de l’argent qu’il pourra réinvestir. Le capitaliste étant en concurrence avec les autres capitalistes, il doit jouer sur la variable des salaires pour se distinguer. Il aura ainsi tendance à payer ses travailleurs au minimum pour rester dans la course, augmenter ses marges et acquérir des technologies plus performantes.
Or, pour Marx, ce processus mène à l’intensification d’un problème majeur du système capitaliste: les antagonismes de classes. Ainsi en provoquant une paupérisation progressive des classes laborieuses, le capitaliste suscite la contestation sociale et la prise de conscience par l’exploité de son exploitation. In fine, cette contradiction interne doit finir par l’autodestruction du capitaliste achevée par les masses exploitées.
Une autre des raisons que Marx distingue pour soutenir sa thèse d’autodestruction du capitalisme est l’instabilité intrinsèque du capitalisme. Comme on l’a vu, par un phénomène de concurrence, chaque capitaliste est amené à se moderniser sans cesse pour rester compétitif. Marx en déduit que le capitalisme est un système en crise perpétuelle où la stabilité ne saurait exister. Dès lors, les modernisations frénétiques des outils de production engendrent une mise au chômage de nombreux employés devenus inadaptés à ces nouvelles conditions. Encore une fois, on voit comment ce nouvel aspect mène à nouveau à la pauvreté puis à la contestation sociale…
Schumpeter et une mort du capitalisme malheureuse causée par ses effets
Pour Schumpeter, admirateur du capitalisme, le système ne durera pas éternellement. En revanche, il s’oppose à Marx sur les raisons qui mèneront à sa disparition. Si le socialisme doit advenir, ce n’est pas pour les raisons qu’a pu évoquer Marx.
Il rejoint Marx sur l’aspect mouvant du capitalisme qui cherche en permanence à se renouveler. Or, si Marx y voit des répercussions négatives pour les employés, Schumpeter avance que c’est la vertu même du capitalisme.
C’est par des innovations sans cesse plus nombreuses que le capitalisme tonifie l’économie, la revivifie et permet à tous d’obtenir indirectement de meilleures conditions de vie, riches comme pauvres. Il place alors sur un véritable piédestal la figure de « l’entrepreneur » qui n’hésite pas à prendre des risques pour inventer et proposer de nouvelles manières de produire et de consommer. C’est grâce à cette catégorie sociologique de « l’entrepreneur » que le capitalisme a pu se maintenir dans le temps. Si son innovation est fructueuse, alors le système n’en sera que plus efficace à tous les niveaux (management, production, …) tout en apportant un dynamisme économique temporaire.
Plus précis que Marx, Schumpeter fait la différence, au sein de ce que le premier cataloguerait comme « les capitalistes », entre les entrepreneurs qui sont le véritable moteur du système, les chefs d’entreprise qui ne sont pour lui que des gestionnaires et les rentiers.
Pour autant, et c’est l’aspect négatif de la théorie, ces réussites des entrepreneurs les amènent à développer des entreprises à la taille conséquente; certaines finissant en position de monopole sur le marché qu’elles ont créé. On comprend que les barrières à l’entrée deviennent infranchissables pour de potentiels nouveaux entrepreneurs.
De plus, les entrepreneurs victorieux, par leurs créations dynamiques, vont attirer d’autres talents vers eux, qui vont privilégier un poste sécurisé et bien rémunéré dans une grande entreprise déjà en place plutôt que de se lancer dans une carrière plus risquée.
En d’autres termes, la réussite des entrepreneurs contribue à développer le capitalisme mais également à faire baisser des réussites potentielles futures d’entrepreneurs et donc par conséquent, à affaiblir progressivement le système…
Emilien Pigeard
Bibliographie :
Joseph Schumpeter, Capitalisme, Socialisme et Démocratie
Raymond Aron, Le Marxisme de Marx
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