Les secrets de la négociation
Qui n’a jamais peiné à négocier un objet lors d’une brocante? Ou à s’octroyer une autorisation de sortie par ses parents pour une soirée? Ou encore à obtenir une augmentation de salaire ? Ces exemples, triviaux, sont révélateurs d’une chose; la négociation est une compétence utile à tous, et ce, quasi quotidiennement.
Pour éclaircir les mécanismes d’une négociation réussie, Roger Fisher, ancien professeur à l’université d’Harvard, publie en 1981 un best-seller qui sera réédité à de nombreuses reprises, Comment réussir une négociation?, livre ô combien important dans son domaine, qui va nous servir tout au long de cet article. Il expose une méthode pratique pouvant servir à la fois dans des situations de la vie de tous les jours comme dans les problèmes les plus sensibles, des crises géopolitiques à une prise prise d’otages.
De la négociation « classique » ou de position…
Nous sommes tous des négociateurs, c’est ce qu’affirme le livre dans ses premières pages, pour autant, nous sommes pour la plupart de mauvais négociateurs ou pour le moins maladroits.
D’instinct nous allons nous livrer à ce que Fisher nomme une négociation de position. Le meilleur exemple pouvant être tiré d’un marchandage sur la place du village: le vendeur fixe un prix et l’acheteur tente de l’avoir à moitié prix, le vendeur refuse obligeant l’acheteur à augmenter son offre. On assiste alors à un ping pong verbal où chacun essaie de faire plier l’autre à sa volonté en essayant d’arracher petit à petit des concessions.
Plusieurs problèmes peuvent dès lors apparaitre:
En faisant appel à notre volonté, la négociation peut progressivement se détourner de l’objet initial pour se concentrer sur l’orgueil des deux parties. Un vendeur ne voudra pas céder pour rester cohérent avec le prix affiché, un acheteur ne voudra pas payer plus cher pour garder la face et éviter absolument d’avoir le sentiment de s’être fait berner. La raison s’éloigne et laisse place aux passions.
On suscite des tensions. On cherche à vaincre l’autre, à avoir le dernier mot. On veut avoir ce tableau « 70% moins cher, sinon c’est du vol! ». La négociation de position, comme une guerre de tranchées, ne résout pas le conflit rapidement, on s’enlise, perdant du temps et de l’énergie.
On favorise la fermeture d’esprit et la rupture des discussions. En effet, dans ce type de négociation, le plus intransigeant finit toujours par l’emporter. Le biais cognitif qui entre en jeu ici est celui de l’aversion à la perte. Plutôt que de tout perdre, le parti en difficulté préférera se soumettre aux exigences de l’autre et accepter l’accord même si celui-ci lui est défavorable
On restreint drastiquement les possibilités d’accords: la négociation débouche soit sur une rupture qui ne satisfait personne soit sur un résultat favorisant unilatéralement une des parties.
Comment faire pour sortir de ces situations? Quelle méthode appliquer pour éviter de s’enfoncer dans une position extrême? Sommes-nous condamner à nous battre frontalement pour n’importe quel différend?
A la négociation raisonnée!
C’est la grande thèse défendue par Roger Fisher durant une grande partie de l’ouvrage, la négociation raisonnée NR qui s’oppose à la négociation de position NP. La négociation raisonnée reprend tous les points négatifs de la négociation de position pour y apporter une solution souhaitable et viable. Là où l’entrechoquement des positions engendre un individualisme primaire où personne ne se soucie des besoins de l’autre, la NR cherche à répondre aux intérêts légitimes des 2 parties. Là où la NP donne toujours à l’un l’avantage sur l’autre quel que soit les conséquences, la NR tente de résoudre les conflits d’intérêts équitablement. Et enfin, là où la NP crée de la colère et du ressentiment, la NR favorise un accord qui permet de garder des relations cordiales, fructueuses pour la suite.
Comment la mettre en place ?
La solution s’articule autour de quatre piliers: Les Hommes, les intérêts, les solutions et les critères.
Au sujet des Hommes:
Il faut inviter l’autre partie à résoudre le différend avec nous. Plutôt que de le voir comme un adversaire il faut le considérer comme un collègue ou un coéquipier. Peut-être qu’il a des défauts, qu’on ne lui fait pas confiance, là n’est pas la question: on a tous les deux des intérêts en commun et il est préférable que l’on travaille ensemble pour établir une solution. Il faut donc différencier le différend de notre interlocuteur. Ainsi on évite les passions, les insultes et les attaques ad hominem qui détournent du fond et nous amènent vers une négociation de position.
Au sujet des intérêts:
Pour réussir une négociation, mieux vaut mettre les positions de côté pour se focaliser sur les intérêts. On peut expliciter cette phrase en reprenant l’exemple du vendeur et de l’acheteur sur le marché. Le vendeur a un tableau qu’il vend 100 euros, il ne veut pas descendre en dessous de ce prix. L’acheteur quant à lui, propose 70 euros, il ne veut pas monter au dessus de ce prix. Les positions des deux parties sont ici claires, 100 euros pour l’un, 70 euros pour l’autre. Les intérêts, s’ils sont moins visibles sont pourtant bien plus importants. Ils doivent être repérés pour améliorer la négociation et parvenir à un accord. Ici les intérêts pourraient être: le vendeur veut vendre au plus haut prix pour financer ses vacances, l’acheteur qui vient d’être licencier veut quant à lui faire des économies avec son budget serré. En d’autres termes:
Les intérêts sont les moteurs silencieux de l’action.
Les positions en sont la manifestation bruyante/déformante. l’intérêt qui sous-tend la position est donc souvent maladroitement traduit.
Au sujet des solutions:
La NP a souvent le défaut, comme on l’a vu, de limiter le champ des possibles dans un « à prendre ou à laisser » tendu entre les deux parties.
La NR, au contraire, cherche à multiplier les solutions envisageables, à favoriser le dialogue. Dès lors, les parties peuvent finir par trouver une solution à laquelle ils n’avaient pas pensé à l’origine. Pour trouver plus de solutions, il suffit souvent tout simplement d’interroger les raisons d’une position affichée ou de comparer les intérêts complémentaires, d’être plus conciliant en permettant à l’autre de répondre à ses convictions, …
Au sujet des critères:
Quoi de mieux pour résoudre un problème insoluble que de faire appel à une autorité supérieure, indépendante des deux parties, qui fera office de juge. On peut dès lors faire appel à :
la tradition
La valeur sur le marché
Évaluation scientifique
Précédent/jurisprudence
Décision juridique
Le but est de dépassionner la négociation, d’éviter absolument le combat de coq stérile. A noter qu’on peut utiliser plusieurs critères objectifs. Multiplier les critères objectifs peut permettre d’affiner la négociation.
Voici, en résumé, la proposition de Roger Fisher pour « réussir une négociation ». En partant d’une analyse du réel que chacun peut faire en constatant l’issu des négociations qui peuvent avoir autour de lui, Roger Fisher propose une voie alternative, efficace et qui permet d’être « ferme sur le différend » tout en respectant l’autre partie pour rendre les accords solides sur le long terme. La leçon à retenir est qu’il faut être dur sur le fond, souple avec les Hommes.
A suivre…
Emilien Pigeard
Bibliographie :
Roger Fisher, William Ury, Bruce Patton, Comment réussir une négociation - SEUIL
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