Pensées d’un insomniaque et l’insomnie pensée
J’entends du bruit dehors ; des voitures ; une ambulance ; je regarde ; elle n’avance pas vite ; il doit être dans un sale état…
Bon… je vais me faire un thé ; je fais tomber mes lunettes ; je les ramasse ; en les ramassant, je vois un livre que j’ai oublié ; que j’ai triplement oublié ; j’ai oublié que je l’avais, j’ai oublié que je l’avais lu et j’ai oublié l’histoire (car c’est un roman) ; mémoire défectueuse et œil lent.
Je bois mon thé ; je vais aux toilettes (à cause du thé) ; plusieurs fois.
Je me noie dans un livre ; puis dans un film ; puis dans le ciel noir où même la lune s’est absentée.
Les pensées fusent ; des pensées pas bien importantes côtoient des pensées fondamentales :
Pourquoi ils aiment tous le football ?
Les seins refaits, aucun intérêt.
Les téléphones…
Vélo à réparer.
Penses-tu que l’on puisse bâtir un édifice avec des fragments ?
Cours à rattraper.
Demain ?
Qu’est-ce que tu attends ?
Les abysses séduisants mènent à la folie.
Combien sur la carte bleue ?
Faire du sport : motivé ce soir, blague demain.
J’ai envie de faire du ski.
Pourquoi pas aller à la mer et ne jamais revenir ?
La nuit, il vaut mieux garder les yeux fermés.
Faible lumière…
Une mort pour une nouvelle vie.
Fantasmes splendides et perfides.
Fulgurances ! Eclair !
Me perdre dans l’immensité blanche.
Dissertons un petit peu naïvement et sans prendre de notes… Focalisons-nous !
Le se produisant, le ce qui arrive, provoque une réaction subjective, encore faut-il que le sujet soit en capacité de réagir à ce qu’il vit.
Tout simplement alors, le sujet devient la situation elle-même, il ne vit que par elle, il est complètement absorbé, enveloppé par elle, il est elle. La chair est trouée. Il est immensément vivant, encore et toujours rempli de vie, et fatalement en état de dissolution constante. …Il est grand et petit, magnifique et laid, admirable et ridicule.
Nous ne serions pas si angoissés par toutes les libertés qui s’entrecroisent, par tous les possibles envisagés et envisageables… sans être libres nous-mêmes.
Lorsque l’existence ne se résume qu’à des réveils, à chaque minute, à chaque seconde, alors l’inquiétude naît nécessairement car cet être-là perpétuel signifie que l’infini traverse le fini, encore et encore, sans relâche, sans repos, sans rêve, sans sommeil… seulement des suites de réveils qui déchirent l’être parce qu’il est dans le là constamment.
Il faut apprendre à vivre dans la non-pensée : l’énergie est là.
Vivre, c’est surprendre le monde.
Maintenant que je suis là, il faut bien que je fasse quelque chose.
Il faut qu’à chaque pas l’homme ait la force de défier le monde !
Le monde est en nous et le monde nous sauvegarde.
Le monde est une carte écrite au crayon de mine.
Refuser ou adhérer : il y a participation au monde.
Allons-y franchement ! Engouffrons-nous à présent dans notre propre esprit… et essayons de saisir ce qui se produit maintenant !
La grande complexité qui réside dans l’insomniaque est qu’il est à la fois obsédé par le réel et dégoûté par ce dernier ; il refuse totalement le réel tout en ressentant une crainte à le quitter pour le rêve ou le néant. Attaché à la veille qui l’angoisse, il ne peut s’empêcher d’observer : tout bon insomniaque est un voyeur. Car c’est finalement dans la suspension du bruit vivant que se produit l’analyse de ce bruit (c’est parfois dit et cela a déjà été écrit : il faut être en dehors de la vie pour la saisir, alors même que l’esprit est encore de la vie). Il devient donc, dans une chambre ténébreuse, son propre objet d’observation (à qui le dis-tu !). Jamais détaché du réel, il l’affronte sans cesse et s’épuise dans cette lutte merveilleuse et féconde, bien que remplit de drames. Même en savant pertinemment que d’autres insomniaques rôdent dans les parages, il a la certitude du oui des autres pour le sommeil tandis que de son côté il lui dit non ; ou plutôt, peut-être, que la nécessité de rester est trop forte pour qu’il lâche prise. L’insomniaque est un soleil qui résiste jusqu’au bout à la fin du jour et de sa personne appartenant à ce jour. Il appréhende moins la paix que lui donnera le sommeil que le jour suivant qui lui fera changer d’apparence.
…Nous y sommes ! Nous ? Oui, je crois que tu n’es plus tout à fait seul…
Des étoiles ! Aux portes des rêves les yeux imaginent des formes changeantes, déformantes, transformatrices. Des étoiles encore ! Des comètes ! Des vagues de poussière ! Une roche dure…
Jean
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