Nietzsche et la science
« Vous croyez que le vaccin contre le COVID-19 est efficace ? » « Êtes-vous persuadés que l’épidémie s’arrêtera d’ici quelques mois ? Ou dans plusieurs années ? » Ce type de phrases agite le débat public depuis des mois; peu importe votre avis sur la question et la réponse que vous donnerez, ces phrases ont un point commun : elles ne reposent que sur un jugement personnel sur un sujet scientifique. On est assez mal à l’aise lorsqu’il s’agit d’exprimer une pure opinion dans ce qui relève du domaine scientifique qui nécessite rigueur et objectivité. Il est en effet commun d’affirmer que la science et la subjectivité ne font pas bon ménage, du moins les derniers siècles ont ardemment contribué à forger cette idée. La science est érigée comme discipline objective par excellence; une discipline qui se défait des croyances et des opinions de chacun pour se tourner exclusivement vers une quête de vérité. Le seul et l’unique objectif étant d’expliquer le fonctionnement des phénomènes naturels.
Et pourtant, un philosophe a réexaminé ce présupposé : La frontière entre objectif et subjectif ne serait pas totalement hermétique. Ce philosophe qui a développé cette idée c’est Nietzsche.
Il écrit d’abord ceci :
« En science les convictions n’ont pas le droit de cité » (aphorisme 344)
Avec cette phrase, il ne fait que rendre compte de notre conception a priori de la science qui se charge d’assurer une non-subjectivité et une impartialité absolue. Pour paraphraser il énonce avec cette maxime que ce qui dépend d’un jugement subjectif, doit être mis à l’écart de la science. La conviction, le sentiment ou encore le pressentiment et l’instinct, ne donnent et ne donneront jamais de crédit à la science.
Ainsi, toute conviction qui s’immiscerait dans le domaine scientifique devrait être contrainte de « s’abaisser modestement au niveau d’une hypothèse ». Le philosophe la considère même comme dangereuse, en témoigne cette métaphore qui préconise de placer la conviction « sous surveillance policière, sous la police de la méfiance ».
On voit le rôle paradoxale de la subjectivité se construire sous nos yeux. En effet elle semble néfaste en premier lieu comme on vient de le voir, cependant la science accepte des éléments subjectifs en son sein via la notion « d’hypothèses ».
La démonstration touche donc à son but. La conviction est rejetée en majeure partie dans la démarche scientifique, pour autant elle a une influence cruciale sur celle-ci. La subjectivité est, de fait, nécessaire à la naissance de la science. Nietzsche l’exprime en ces mots; pour que science il y ait il faut « une conviction si impérieuse et inconditionnelle , qu’elle sacrifiât pour elle toutes les autres convictions ». Autrement dit, tout scientifique lorsqu’il s’agit de démontrer quoi que ce soit a acquis au préalable l’intime conviction qu’il y avait quelque chose à découvrir ou à questionner. Sans conviction Copernic n’aurait jamais entrepris de remettre en cause le géocentrisme, sans conviction Einstein n’aurait jamais entrepris la démonstration de la relativité.
Ce qui est au commencement de toute démarche scientifique, c’est donc un désir de savoir, de creuser en profondeur, de critiquer. Tout cela n’a rien d’objectif. La croyance fait partie de la science. Si les constats et les conclusions sont objectives, l’initiative ne relève que du subjectif.
Pour conclure, je vous laisse sur cette citation de Nietzsche qui conclut ce bref essai :
« La science aussi repose sur une croyance, il n’y a guère aucune science sans présupposition ».
Emilien Pigeard
Bibliographie :
Le Gai Savoir, Nietzsche
Vous aimerez aussi :