NPA : Nietzsche Partisan Anticapitaliste


 
Friedrich NietzscheCaroline AndrieuLigne de crédit: Le Monde

Friedrich Nietzsche

Caroline Andrieu

Ligne de crédit: Le Monde


Nietzsche est le philosophe dont on entend sûrement le plus parler sur Youtube. Sa philosophie est reprise partout et connait un véritable renouveau, beaucoup voyant en elle une réponse aux problèmes de notre temps. Cependant Nietzsche apparait pour certains comme un « philosophe de droite ». Du moins, il est aisé de penser qu’il en est une sorte d’ancêtre tant il est repris et cité par des gens se revendiquant de droite ou associés à cette affinité politique. Est-ce vrai ? Nietzsche est-il de droite ? Est-il un apôtre du libéralisme économique et du conservatisme moral ? 

Conservateur, Nietzsche l’est foncièrement, je ne vais pas m’étendre sur ce point, il n’y a qu’à lire ces quelques citations pour s’en rendre compte. 

Il définit la démocratie dans Humain, trop humain comme

« un stade décadent, où l’homme s’amoindrit, tombe dans la médiocrité et se déprécie » 

Dans Ainsi parlait Zarathoustra,  il évoque le sexe féminin de la sorte

« Tu vas voir les femmes ? N'oublie pas ton fouet !" 

Notre philosophe est, on le constate, véhément lorsqu’il s’agit des femmes, de la démocratie mais aussi pour ce qui est des droits pour les classes sociales inférieures. On s’éloigne donc largement de l’archétype du progressiste. Cette haine du progrès et la défense d’un ordre réactionnaire et irrationnel sont les seules constantes que l’on peut trouver au sein de l’oeuvre nietzschéenne. Pour autant, l’idée d’un Nietzsche de gauche a pu être défendue par des figures plus ou moins éminentes en philosophie (on pense notamment à Deleuze). Lukács, philosophe marxiste, attaque violemment Nietzsche dans son ouvrage La destruction de la raison, comparant sa pensée à un “fatras d’idées en lambeaux” signifiant ainsi qu’en sélectionnant quelques aphorismes au sein de son oeuvre, il est possible de faire dire tout et n’importe quoi à Nietzsche. Je vais ainsi vous prouver, dans les paragraphes qui vont suivre, qu’en choisissant quelques aphorismes isolés, il est possible de faire de Nietzsche un défenseur de la classe laborieuse et un fervent critique du capitalisme:

“En ce qui concerne le libéralisme, le tableau est bien plus nuancé et complexe. Nietzsche n’était pas un fervent libéral mais plutôt un vif critique du capitalisme. Loin de moi l’idée de vous démontrer que Nietzsche puisse être de gauche, cela n’aurait que peu de sens et serait contraire à ma démarche; j’espère simplement par quelques exemples, exposer en quoi il faut relativiser son appartenance idéologique qui apparait si naturelle à l’aile droite.  


Prenons d’abord cette citation de l’Aurore (204), où il écrit ;

« Si les trois quarts de la société s’adonnent à la fraude licite et prennent leur part de la mauvaise conscience de la bourse et des spéculations : qu’est ce qui les pousse ? Non le besoin véritable, leurs affaires ne vont pas si mal, ils mangent et boivent peut-être même sans soucis, mais ce qui les pousse jour et nuit, c’est une impatience terrible lorsqu’ils voient l’argent s’entasser trop lentement, et la joie et l’amour également terribles qu’éveillent en eux l’argent entassé. Ce que l’on faisait autrefois « pour l’amour de Dieu », on le fait aujourd’hui pour l’amour de l’argent. »

Ainsi, on peut voir que Nietzsche critique de manière acerbe le capitalisme. Quand on connait toute son aversion pour la religion, qui s’exprime notamment dans sa Généalogie de la morale, on ne peut qu’imaginer cette même aversion dirigée contre le capitalisme lorsqu’il compare volontiers l’argent à une nouvelle divinité. Tout ce qu’il voit ce sont des Hommes soumis, qui n’ont plus aucun intérêt pour l’Instant, mais qui se contentent d’engranger toujours plus demain. Dès lors le bourgeois ne vaut pas mieux qu’un ascète puisqu’il refuse l’amor fati, à savoir apprécier son destin au jour le jour pour exercer concrètement sa volonté dans des activités qui apportent un développement aussi bien physique qu’intellectuel. Si le capitaliste ne croit pas nécessairement comme le religieux en un après monde qui le pousse à négliger le monde terrestre réel, il agit comme tel car il attend, via la croissance exponentielle de ses capitaux, des sommes toujours plus conséquentes, infinies. La richesse à venir supplante le paradis attendu du croyant. Cette quête étant sans fin; l’aboutissement ne vient jamais et contraint le capitaliste à « tourner à vide », c’est-à-dire à négliger le présent pour un objectif aussi futile qu’irréalisable. 

Nietzsche confirme cette vision à la citation 206 de l’Aurore où il demande : 

« Êtes-vous complices de la folie actuelle des nations, (vous les ouvriers qui réclamez davantage de salaire) ces nations qui veulent avant tout produire beaucoup et être aussi riches que possible ? C’est à vous de leur présenter un autre décompte, de leur montrer quelles grandes sommes de valeur intérieure sont gaspillées pour un tel but extérieur ! »

On comprend donc que sans pour autant prendre partie pour le prolétariat comme le ferait un penseur de gauche ou communiste, il n’en demeure pas moins critique à l’égard du système capitaliste. 

Nietzsche penseur de droite donc ? Je dirais ceci : tout d’abord il faut éviter à tout prix de laisser un quelconque courant politique s’approprier une figure que celle-ci soit philosophique, politique et/ou historique. Cette impression que l’on peut avoir est imputable à la personne qui nous a “transmis” la pensée de l’auteur. Ainsi découvrir Nietzsche via une vidéo de la chaîne d’extrême gauche ou par une conférence d’un penseur d’extrême droite influencera forcément notre conception de l’auteur et de ses idées.”

Voyez comme il est aisé d’utiliser un auteur pour lui faire soutenir une thèse complètement inverse à sa pensée. Nietzsche, plus que d’autres, est à interpréter avec précaution tant ses écrits peuvent être décousus, brefs, et plus littéraires que proprement philosophiques. Lukács, dans ses propos, si durs qu’ils puissent paraitre, a su analyser avec précision les limites de la forme aphoristique chez Nietzsche.

Emilien Pigeard



Bibliographie :

L’Aurore, Nietzsche

Humain, trop humain, Nietzsche

Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche