Molière réécrit, et si c’était de sa faute ?


 
Ligne de crédit: Wikipédia

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Ce scandale a fait grand bruit; vous en avez surement entendu parler. Molière réécrit car trop complexe pour les étudiants. Le débat était lancé, opposant les défenseurs de la tradition littéraire française aux progressistes les plus fervents. 

Si cet article a ensuite été démenti, (le titre était trompeur, il ne s’agissait en fait que d’une réécriture pour des étudiants polonais) la polémique soulevée est intéressante. Que penser des réécritures des chefs d’oeuvres littéraires ? Serait-ce synonyme d’un nivellement par le bas, d’un abrutissement généralisé qui va de l’avant ? 

Vous vous en doutez, je ne suis pas de cet avis. Les réécritures ne datent pas d’hier, il suffit de se tourner vers des oeuvres parues il y a plusieurs siècles pour en avoir la manifestation flagrante. On peut en effet évoquer Les Essais de Montaigne qui seraient bien ardus à comprendre si le texte était toujours en français du XVIe siècle. De même pour Les Regrets de Du Bellay, ce monument de la poésie française publié en 1558 serait-il encore lu de nos jours si les éditions ne présentaient pas en bas de page des traductions des tournures d’un autre temps ou des modernisations de certains termes ? Pour vous en convaincre, il vous suffit d’accéder aux textes originaux, disponibles facilement sur internet, et de passer ensuite à une édition disponible dans le commerce. Comparez, jugez vous-mêmes si la « modernisation » conduit indubitablement à un appauvrissement du discours.

Plutôt qu’un appauvrissement, j’y vois une accessibilité plus grande. Il ne faut pas oublier que la langue est un outil et qu’elle est aussi la « photo » à l’instant t des usages du temps. En d’autres termes, une langue, et par extension les textes qui découlent de cette langue, n’étaient pas « plus intelligents » auparavant, ils étaient juste l’expression des habitudes propres à cette période. Les français du XXIe siècle ont bien évidemment d’autres « tics » langagiers, d’autres formulations bien à eux qui disparaitront avec les générations qui viendront après. Elles seront alors, à juste titre, moins compréhensibles pour les contemporains, cela ne signifie pas que ces gens seront dotés d’une intelligence moindre, simplement, les mots et expressions employés auront changé. Toute langue est vivante, la figer c’est la tuer. 

Pour vous convaincre que la réécriture n’est pas un crime, je vais m’appuyer sur le Théâtre et son double d’Antonin Artaud, acteur et écrivain français. L’extrait qui va permettre d’apporter des éléments de réponse s’intitule « En finir avec les chefs-d’oeuvres ». Le passage suivant permet de synthétiser le but de cet article : 

« Si, par exemple, la foule actuelle ne comprend plus Oedipe-Roi, j’oserai dire que c’est la faute à Oedipe-Roi et non à la foule »

Il en va de même pour Molière, si d’aventure il n’était plus compris par les étudiants français, alors ce serait de la faute du texte, non des étudiants qui ne font que suivre l’évolution de la langue vivante qu’on leur a transmis. Pour être plus provocateur, je cite également ces deux passages d’Artaud : 

« Toute parole prononcée est morte et n’agit qu’au moment où elle est prononcée »

Les textes anciens, s’ils ne sont plus compris dans leur forme originelle sont devenus

« une parole frelatée, qui appartiennent à des époques mortes et qu’on ne recommencera jamais plus. »

Que les protecteurs de la tradition se fassent donc une raison, la langue change sans cesse, à chaque instant. Les français ne parleront jamais plus comme dans une tragédie de Racine (si tant est qu’ils ont un jour parlé ainsi) ou comme dans une comédie de Molière. Entre ces oeuvres et nous, des siècles nous séparent. Des siècles de pratiques, d’oralité, d’expressions, de rencontres entre divers langages. Retrouver ou préserver une langue immuable est une utopie, et plus précisément une dystopie.

 Emilien Pigeard

 


Bibliographie :

Le Théâtre et son double, Antonin Artaud


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