Max Weber, penseur de l’Occident et du capitalisme


Crédit : Wikipédia

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L’Occident est un concept géographique et géopolitique, en effet elle représente l’idée d’une civilisation commune représentée comme développée, chrétienne et démocratique, et dominée aujourd’hui par les Etats-Unis. Mais qu’est-ce qui caractérise fondamentalement l’Occident et le capitalisme qui y règne ? Quel est le monde dans lequel nous vivons ? Max Weber (1864-1920), penseur critique allemand de la modernité occidentale, a tenté de répondre à ces questions. Il a trouvé ainsi cinq caractéristiques au monde occidental : premièrement le « désenchantement du monde », autrement dit le fait, grosso modo, que les sciences prennent le dessus sur les croyances ; deuxièmement la « rationalité instrumentale » qui se caractérise par le fait que la raison veut tout comprendre et que la tradition est oubliée ; troisièmement la « domination bureaucratique rationnelle » qui est le fait que les structures de l’Etat sont constituées par la raison de manière organisée (ce qui pour Max Weber n’est pas forcément négatif) ; quatrièmement « la différenciation des sphères » qui réside dans le fait que chacun s’occupe de son domaine de compétence, ce qui peut faire naître un sentiment d’aliénation ; et enfin, cinquièmement, le « polythéisme des valeurs », en effet au sein de la société moderne occidentale, de nombreuses valeurs entrent en concurrence et cela donne lieu à des conflits.

Définissons d’abord avec Weber ce qu’est le capitalisme moderne. Le monde occidental se caractérise par la rationalisation mais cette rationalité ne se contente pas d’être scientifique, elle est aussi économique. Cette rationalité économique se caractérise par une optimisation des rendements par la raison. Le capitalisme moderne accumule des profits en exploitant le travail de salariés libres au sein d’entreprises organisées de façon rationnelle. Par ce travail, les entrepreneurs dégagent donc un profit et accumule du capital. Cela a pour conséquence que l’humain occidental règle sa vie de manière rationnelle, il essaye à tout prix d’organiser efficacement son quotidien, prévoit pour réussir dans le domaine professionnel et optimise ses moyens. L’intellectualisation est présente dans tous les domaines, qu’il soit religieux, politique, économique, scientifique, artistique et même érotique. Cette rationalisation, prenant ancrage en Occident, s’exprime par l’économie capitaliste et par la bureaucratie.

Weber pose par conséquent le problème du capitalisme et met en cause la modernité et l’impérialisme occidental. Pour poser le problème du capitalisme, il s’intéresse aux dispositions éthiques qui ont permis l’essor de ce système.

 

L’éthique protestante du capitalisme

Le capitalisme s’est d’abord développé avec l’avènement de la profession-vocation. La profession et la vocation ont la même origine en allemand, en effet ces deux termes viennent du mot « Beruf ». Le capitalisme repose donc sur le Berufmensch, l’être humain se caractérisant par son travail et qui vit pour son travail. Ceux qui ne travaillent pas n’ont par conséquent aucune valeur dans ce système. Mais d’où vient cette disposition éthique face au travail ? Comment cet ethos du capitalisme est fabriqué et incarné ?

Weber répond à ce problème dans son ouvrage intitulé L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme écrit en 1905. Il opte pour une démarche historique pour comprendre l’évolution du phénomène et travaille sur les religions car ce sont elles qui ont façonné les types d’être humain. Chaque civilisation façonne en effet son type d’être humain dans la mesure où chaque individu est lié à une culture. Weber analyse par conséquent les structures internes des croyances religieuses pour comprendre le monde moderne et, selon lui, c’est le protestantisme qui a engendré un type spécifique d’ethos au travail. Pour résumer : l’éthique protestante devient éthique du capitalisme. Il parle alors de Luther (1483-1546) et défend l’idée selon laquelle la réforme religieuse du protestantisme de ce dernier inscrit le travail dans la morale. La conséquence est que devient amoral celui qui ne travaille pas : cela rompt donc fondamentalement avec la tradition catholique qui considère le travail comme un labeur dans le sens où le travail est une conséquence du péché originel car c’est à partir du moment où Eve croque dans le fruit défendu que l’humanité doit travailler (l’Eden garantissant gratuitement tout ce qu’il faut pour vivre).

Le protestant veut être un travailleur engagé et sérieux car il croit au destin mais il sait que seulement quelques élus seront acceptés au Paradis. Il se demande alors s’il est prédestiné, il cherche des signes pour étouffer ses angoisses et le meilleur signe de la réussite semble être l’argent donc son but est d’accumuler. Le protestant pense que la réussite matérielle lui donnera une place dans l’au-delà. Max Weber remarque qu’en Allemagne les régions moins protestantes sont moins dynamiques. En effet dans ses recherches, il remarque que le capitalisme est né dans les pays protestants et donc que c’est bien l’éthique protestante qui a fait naître l’éthique du capitalisme, le capitalisme ayant sécularisé l’idée d’accumulation. L’esprit capitalisme a donc dans cette optique un ancrage religieux. En prenant appui sur des textes puritains du XVIIème siècle, le puritanisme étant un mouvement venant du protestantisme, Weber prouve que ce mouvement religieux ne condamnait pas l’accumulation de richesses mais la jouissance découlant de la richesse. Les puritains se réfèrent aux paroles évangéliques dans le but d’affirmer que l’être humain doit travailler pour assurer son salut : le travail est ce qui permet d’assurer son salut, c’est même la volonté de Dieu, le but de toute vie humaine. Ils prennent notamment appui sur ces paroles de la deuxième épître aux Thessaloniciens dans le Nouveau Testament : « (...) si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus ! Or, nous entendons dire qu’il y en a parmi vous qui mènent une vie désordonnée, affairés sans rien faire. A ces gens-là, nous adressons, dans le Seigneur Jésus Christ, cet ordre et cette exhortation : qu’ils travaillent dans le calme et qu’ils mangent le pain qu’ils auront eux-mêmes gagné. »

 

Le protestantisme : seul facteur de l’avènement du capitalisme ?

Néanmoins est-ce seulement l’éthique du protestantisme qui a créé l’esprit capitaliste ? Weber prend le protestantisme comme seul facteur de l’avènement du capitalisme mais il existe d’autres facteurs. Le protestantisme a provoqué un nouveau type d’ethos qui repose sur l’investissement au travail où la conduite est rationnelle mais qu’est-ce qui manque à ce propos ? Est-ce seulement après Luther que le capitalisme existe ?

La famille florentine des Médicis remet en cause la problématique de Weber, en effet au XVème siècle les Médicis deviennent une famille bancaire. Ils ont des banques à Genève, Lyon, Avignon, Venise, Londres, Rome... ils ont au total dix banques en Europe, cela signifie qu’avant Luther et l’apparition du protestantisme, il existait au moins une entreprise capitaliste.

De plus, comment expliquer la « banane bleue » de l’Europe qui s’étend de Londres à Milan ? Comment expliquer la naissance de cette région économique ? La thèse de Weber ne nous aide pas à comprendre cela. Ce qui explique plutôt cette région, c’est la densité de population et le développement des grandes villes : cela a favorisé les échanges et le commerce. A partir de cette constatation, nous pouvons distinguer deux sortes d’ethos : celui de l’urbain qui vit dans un monde qui se renouvelle sans cesse et qui est réglé par la dimension culturelle et celui du rural, qui vit dans un monde traditionnel qui répète ce qu’il connait déjà. L’urbain est habitué aux changements, en ce sens l’habitus de ce type d’humain a contribué à l’essor du capitalisme. Nous pouvons par conséquent dire que l’urbanisation (création de richesses, formation, éducation) complète la thèse de Weber.

Nous pouvons aussi nous référer à Marx, qui, dans Le Capital, définit les conditions essentielles au développement du type de production capitaliste. Il aborde la question dans un sens pratique en parlant de la « fertilité du sol ». En effet le sol a une incidence majeure dans la mise en place du capitalisme car ce modèle économique ne peut voir le jour seulement là où le sol est fertile dans une juste mesure. Parce que, explique Marx, ce mode de production a comme objectif de contrôler socialement les éléments naturels dans le but de produire avec régularité de la richesse. Il utilise alors une comparaison pour mettre en lumière le rapport de l’humain et de la nature : si la nature se développe à une vitesse trop élevée, il restera « un enfant » vis-à-vis d’elle dans la mesure où c’est elle qui réglera la vie humaine. Alors que, dans l’idéal du capitaliste, l’humain doit dominer la nature, être son père et la guider vers le profit, unique horizon de ce modèle. Donc, « la terre nourricière du capital n’est pas le climat tropical avec sa végétation luxuriante, mais la zone tempérée », écrit Marx. Cette analyse est intéressante car il suppose le fait que le capitalisme ne pouvait en aucune façon naître dans des zones géographiques où la nature est difficile à dompter : il existe donc une condition géographique indéniable à l’émergence de la société capitaliste. Le capitalisme dépend alors plus de la variété du sol, qui forme la division du travail et par conséquent une productivité accrue, que sa « fertilité absolue » où l’humain ne maîtrise pas les éléments naturels. L’objectif de ce modèle économique est par conséquent de contrôler la terre, les forces naturelles en général, ce qui permet de développer une société industrielle où la nature est d’abord manipulée dans le but d’augmenter le profit et la richesse accumulée. Il est nécessaire de développer ce type de production et ce type de rapport entre l’humain et la nature, tout en étant dans une zone géographique adéquate, pour mettre en place une organisation capitaliste.

Avec ces divers exemples, nous pouvons dire que la thèse de Weber est complétée. Sa thèse est incomplète mais elle nous donne à penser la modernité et offre un facteur de l’avènement du capitalisme, qui une fois complétée, rend les choses plus claires. Donc, le capitalisme repose essentiellement sur divers facteurs, en l’occurrence le contrôle de la terre dans une zone géographique adéquate, l’habitus de l’urbain découlant du développement de grandes villes ainsi que l’éthique protestante.

 

Bien que Max Weber soit un penseur critique, l’essentiel de sa recherche (et de la recherche en général) est de connaître le monde et non le transformer. Critiquer vient d’ailleurs du terme grec « krinein » qui signifie faire le tri, choisir, être capable de discernement. Par conséquent, s’adonner à la critique, c’est le sens même de la recherche épistémologique.

Weber essaye de saisir ce qui constitue la modernité occidentale et l’esprit du capitalisme sans les dénoncer mais en tentant de comprendre le monde dans lequel il vit. Il garde d’ailleurs de l’espoir, car ce n’est pas parce que le monde est désenchanté qu’il existe une abolition des valeurs. Néanmoins, il nous met en garde dans la mesure où le trop-plein de rationalisme crée de l’irrationnel (les deux Guerres mondiales, le développement des idéologies et la bombe atomique en sont les témoins). Le seul conseil que nous donne Weber est de ne pas tomber dans le piège du rationalisme, qui une fois trop développée créera de l’irrationalisme et transformera l’humanité : nous deviendrons alors « inhumains à force d’intelligence » (Charlie Chaplin – Le Dictateur – 1940), si ce n’est pas déjà le cas...

Jean


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