Les révélations devenues simple banalités
Un beau jour, où l’on dit bon-jour, on se pose sur un banc, on dépose notre corps alors même qu’il veut encore. Nous sommes jeunes voyons ! mais parfois un peu de calme… mais parfois silence… Notre regard se fixe alors, se fige plutôt, sur un quelconque objet inanimé – une pierre. La vue, tout d’abord, l’occulte ; la pensée empêche la vue de saisir l’objet visé. On pense sans voir, la pensée vagabonde et le monde part à vau-l’eau ! La vue est à cet égard enfermée sur elle-même, fermée aux choses mondaines, non-ouverte à sa propre possibilité d’ouverture. Puis, peu à peu, le voir se transforme, forme un nouvel espace entre l’œil et la pierre : la pierre est devenue pierre. Nous pouvons la voir, et même l’avoir, la sentir, dans tous les sens – l’essence – du terme.
Les sens n’en restent pas là. Après plusieurs minutes d’observation sensible et sensuelle, le corps entier isole la pierre ainsi que son destin. C’est précisément à cet instant que se manifeste une révélation, cet événement, ce miracle, ce découvrement, ce moment inattendu provoquant un basculement de l’être. La voici, cette terrible révélation : la pierre nous survivra. L’être prend dès lors pleinement conscience de la durabilité potentiellement infinie de l’objet (ici la pierre) mais aussi et surtout de la durabilité nécessairement restreinte et finie de lui-même. La pierre devient événement pour l’être, elle devient, par son inanimation, la révélation ultime de sa propre finitude. La pierre n’est plus une pierre, elle est devenue un défi.
D’autres révélations suivront ; l’exemple de la pierre est a priori le plus extra-ordinaire, le plus originel peut-être. Après celles-ci, on se sent investi d’une mission, en l’occurrence, souvent, celle de les déployer en usant de sa pensée, en les déclinant encore et encore (combien d’œuvres sont en définitive le résultat d’une impulsion primordiale et féconde ?). A noter qu’elles peuvent, ces révélations, être particulièrement destructrices chez un esprit qui ne les supporte pas ; on peut en devenir réellement malade…
On essaie ensuite de prouver ces révélations, de les affirmer (souvent en criant seul sur le toit d’un building !) ; on les questionne juste un peu, on les remet ensuite en cause sans grande conviction, et puis on finit par les assimiler complètement. En les assimilant, les révélations perdent leur statut et leur stature ; elles ne sont plus des événements pour l’être, elles sont fondues dans l’être qui les fait durer par cela même qu’il continue d’être. Par cette assimilation donc, l’être fait durer un événement, autrement dit il annihile la valeur de ce qui n’arrive par définition qu’une seule fois. Les révélations deviennent nôtres, et on finit même souvent par les oublier (les oublier sans les avoir perdues !) : la pierre est re-devenue pierre.
La révélation devient simple banalité pour l’être l’ayant assimilée avec le temps. Bien sûr ! la pierre nous survivra (l’événement révélateur (re)devient un simple fait !). Ce fait nous habite (et nous conduit, parfois, à ne plus habiter le monde), il fait partie de notre fait, et sans doute aussi de notre faîte : par lui, nous déversons les révélations suivantes. Du moins, espérons que d’autres suivront ! Espérons toujours l’inespéré !
Jean
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