Le philosophe est une ordure
J’aurais dû écrire ça un 25 décembre quelconque… tant pis ! Tant pire mon ami… Oui, le philosophe est une ordure. Bonne nouvelle ! il y a très peu d’ordures ! Comment peut-on le qualifier autrement ? Il ne faut rien attendre de lui, il ne fait aucun cadeau : il se donne en chair et en os, envoyant son langage personnel et son écriture clairvoyante à une foule indifférente. Comment peut-il donc résister à cette force enivrante qui le mène dans les souterrains de la taverne et au-delà de la caverne ? Seule est l’ordure mais devant elle s’érige l’humanité entière.
Par son Verbe, le philosophe dit non : comment peut-il oser redistribuer ainsi les cartes ? Comment peut-il oser proposer une autre axiologie ? C’est une ordure sur un trottoir, qui attend une pièce qui ne viendra pas, qui se met à genoux devant son désir d’être aimé.
La nouveauté ! la nouveauté ! Qui en réclame ? Qui la cherche ? Il peut bien parler, se défendre ou même se fendre en deux, il restera une ordure aux yeux de la plupart. Il restera une ordure, c’est-à-dire un être qui souille la marche rassurante et livide de l’existence. Et, la souillure, on s’en débarrasse ! « Je verserai sur vous une eau pure et vous serez purifiés de toutes vos souillures. » Le peuple d’Ezéchiel s’est auto-proclamé pur et rejette par conséquent ce qu’il considère comme étranger, barbare, impur. Il s’agit de quelques ordures, d’irréductibles Gaulois obligés de concevoir une potion magico-langagière afin de résister à l’assaut de la bêtise mondaine.
La philosophie est sacrée et, de ce fait, est un tabou : elle est à la fois pure et souillée ! Elle se trouve tout en haut, sur le mont Olympe, et pourtant son représentant n’est qu’une ordure. Cette ambivalence plonge le philosophe dans une position inconfortable ; il illumine et déçoit, il se sent fier et déchu. Car, il faut le répéter ! le philosophe est une ordure : il veut une valorisation de sa propre activité, pour décréter sa suprématie au sein de la connaissance ! Ah qu’il est détestable, celui qui essaie de penser l’existence et de créer un nouveau paradigme pour ceux qui, justement, le méprisent ! Il écrit seul devant le monde (et souvent le cul dans le beurre !) ; il souffre en privé et dans la rue, grand et pourtant invisible…
Répétons : le philosophe est une ordure ! Car il a la volonté de hiérarchiser, de valoriser, dans un monde où tout se vaut, où tout est coupé à la même hauteur, où une formation vaut autant qu’un doctorant, où un cul bombé vaut davantage qu’une carrière respectable. Le philosophe souille la positivité nulle revendiquée à tous les coins de rue ; il écrase l’instant et propose le présent, cette infamie pour les esprits vidés de leur temporalité. Mais le philosophe joue-t-il ? On doit le reconnaître, il s’échappe du miroir de la mort en se divertissant avec ses concepts. Est-il un salaud sartrien, qui trompe les autres et lui-même en faisant croire aux autres yeux qu’il est quelque chose ? Est-il cet être qui aime se tenir en contradiction avec lui-même ? Remplit-il son moi, comme les autres, car il sait qu’il est vide ? Mais, au moins, cette ordure en a conscience ! Piètre consolation sans doute.
Spécialiste de la joie fatiguée, le philosophe est l’ordure qui a tout appris à l’école des filles : il est et doit être un être joyeux d’être éreinté.
Jean
Vous aimerez aussi :