Les relations entre l’Union européenne et Israël


Sur la photo, de gauche à droite, le ministre israélien du renseignement Elazar Stern et le Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell lors d’une rencontre à Bruxelles le 3 octobre 2022 (Crédits : Conseil de l’Union européenne)


 À l’heure où cet article est écrit, il faut rappeler la situation d’Israël et de l’état de ses relations avec l’Union européenne. 

Suite aux attaques terroristes du groupe terroriste du Hamas le 7 octobre 2023 contre des civils et des postes frontières, l’État d’Israël entreprend d’imposer un blocus total de ce territoire palestinien et de le bombarder, au mépris des règles du droit humanitaire international, qui régit toutes les situations de conflit. Les Gazaouis, pour la majorité des civils, sont ainsi enfermés sur une étroite bande de terre sans aucun moyen de s’échapper et sans ravitaillement humanitaire viable.

Si l’Union européenne se range derrière le peuple israélien et son gouvernement lors des attaques subies et des ripostes visant à chasser les combattants terroristes, le choix d’entrer dans une logique de vengeance aveugle en bombardant l’ensemble de l’espace habité de Gaza n’est pas sans provoquer de vives protestations chez les gouvernements des États membres de l’Union européenne. Ces réactions sont parfois à replacer dans un contexte national d’attaques terroristes récentes (France, Belgique, Suède…) et peuvent ainsi différer dans leur intensité. 

Toutefois, lorsque la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, prend le parti de soutenir publiquement le “droit à la riposte” israélien sans aucune nuance, les Membres du Parlement européen ainsi que les différents gouvernements dénoncent un outrepassement de ses fonctions et une appropriation de la position européenne sans consultation.

Cet article se penche ainsi sur les relations complexes mais néanmoins profondes qu’entretiennent l’Union européenne et l’État d’Israël mais qui illustrent bien la particularité de l’action extérieure européenne. L’idée n’est toutefois pas d’uniquement se concentrer sur le conflit israélo-palestinien même s’il est omniprésent, puis que l’Union entretient des relations bien précises avec le Fatah (ou Autorité palestinienne) et la société civile, et que cela nécessite un article à part entière.




DE LA RELATION ÉCONOMIQUE À L’ÉTROITE COOPÉRATION 



Un premier constat de cette relation entre l’Union européenne et Israël est que cette dernière est mutuellement bénéfique au niveau économique. En 2019, l’Union représentait près de 32,2% des importations du pays, faisant d’elle la principale partenaire commerciale. À titre de comparaison, les exportations d'Israël vers le reste du monde ne dépassent pas les 22%. 

Il s’agit du résultat d’une relation établie dès les débuts de la construction européenne, lorsque la Communauté économique européenne établit des relations diplomatiques officielles avec le jeune État israélien en 1959. Sur le plan purement économique, un accord de libre échange est signé dès 1975 et Israël devient ainsi un partenaire incontournable pour les intérêts européens dans la région. À l’heure actuelle, cette relation économique est organisée dans le cadre de la politique européenne de voisinage et des différents plans d’action cadre qui favorisent le développement continu de la société israélienne à travers les instruments européens, comme par exemple le programme Organisations de la société civile et Autorités locales au titre de l’Instrument de coopération au développement qui met à disposition sur la période 2014-2020 près de 14,6 millions d’euros pour des initiatives de développement locales (consultations citoyennes, centres culturels…). 



De plus, le lien particulier entre Israël et l’Union européenne s’explique par une relation forte au niveau sociétal, héritière de l’immigration des populations juives européennes suite à la Seconde Guerre mondiale et la Shoah vers le nouvel État hébreu. Cela est particulièrement vrai notamment dans le domaine de la recherche, avec la participation depuis 1996 aux programmes cadres de recherche européens (PCRD) ou plus récemment à travers l’accord d’association d’Israël au programme Horizon 2020. Mais cela se remarque également au niveau de la mobilité de populations, avec le bénéfice d’un régime d’exemption des visas qui permet notamment une forte mobilité universitaire (8 415 étudiants, chercheurs et personnels universitaires sont allés travailler dans l’Union entre 2015 et 2020, et presqu’autant inversement) et la facilitation des voyages entre les deux espaces avec l’accord aérien « Ciel ouvert » en juin 2020 qui augmente drastiquement le flux aérien civil.



Mais c’est bien à travers le volet politico-diplomatique que la relation entre l’Union et Israël est la plus singulière. En effet, la création du “statut spécial” en 1994 par le Conseil européen (les chefs d’État des États membres) puis du Conseil d’association dans le cadre de l’Euromed en 1995 (qui se mue  en politique européenne de voisinage “Sud”) permet de rapprocher Israël du fonctionnement même de la politique extérieure et de sécurité commune (PESC). Et il s’agit bien là d’un des objectifs principaux d’Israël : s’intégrer au “camp” occidental dont il se sent héritier, quitte à se détacher un maximum de ses voisins régionaux dont les relations mutuelles sont toujours très instables. Même si les questions européennes n’occupent que très peu la politique nationale israélienne, l’État dispose d’une grande force dans la représentation de ses intérêts auprès des institutions européennes. Ainsi, dès 2007, le Conseil européen, pourtant en contradiction avec la majorité du Parlement, choisit de faciliter la capacité d’Israël à participer à tous les niveaux aux réunions de l’UE sur les questions de sécurité et de dialogue stratégique, aux délibérations du Conseil sur le Maghreb et le Machrek (deux régions d’Afrique du nord) et sur les activités de l’UE au sein de l’ONU, avec presque le même impact qu’un État membre.



Sur ce dernier point pourtant, il faut bien nuancer l’importance gagnée par Israël, notamment au regard du refroidissement considérable de ses relations avec l’Union européenne au cours de la dernière décennie.



UN RAPPORT DE FORCE SOUS TENSION CONTINU


Il y a bien souvent en relations internationales un “péché originel”. Par exemple, pour la République populaire de Chine et le Japon, on peut parler des crimes de guerre des forces nippones sur les populations chinoises. Pour les États-Unis et la France,  on peut considérer le refus français de soutenir la guerre en Irak. 

Entre l’Union européenne et Israël, il y en a quatre. Les Britanniques (encore eux et malgré le Brexit) ont tout d’abord publié un Livre blanc limitant l’immigration juive en Palestine en 1939, puis ont “abandonné” l’administration de leur ancien territoire sans faciliter le plan de partage onusien en 1947. Les Allemands ont pendant longtemps été associés pour des raisons historiques à la nation ayant permis l’essor du nazisme en Europe, et cela malgré les excuses des chefs d’État allemands. Enfin, la France a refusé d’apporter son soutien militaire en 1967 à une armée israélienne trop proche de ses intérêts dans le Sinaï et au canal de Suez. Enfin, c’est bien le conflit israélo-palestinien qui a fragilisé la relation étroite avec l’Union européenne, avec comme point de départ la déclaration de Venise de juin 1980 critiquant l’occupation et affirmant le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Ces différents éléments ont nourri et nourrissent toujours une certaine méfiance envers l’Union par les gouvernements et certaines franges de la population israélienne qui préfèrent tout naturellement l’allié infaillible, les États-Unis.


En plus de cette méfiance très palpable envers les gouvernements européens, il faut noter que l’Union et Israël ne partagent pas le même point de vue sur les relations internationales. Si les institutions européennes sont les porte-paroles (et la preuve) de l’efficacité d’une politique multilatérale et d’un rapprochement régional comme gage de stabilité, Israël mise davantage sur le rapport de force bilatéral (comme pour les États-Unis sic.). Ceci explique notamment l’évolution du rapport à travers la politique européenne de voisinage, l’État israël préférant passer du cadre multilatéral et régional de l’Euromed aux plans d’action cadre dès 2005, plus bilatéraux. Il s’agit là d’une raison de plus pour l’incompréhension des populations européennes quant au conflit israélo-palestinien. L’Union européenne voit en effet l'établissement d’un État palestinien et donc d’un interlocuteur stable comme un gage de sécurité dans la région, là où Israël préfère se concentrer sur son ouverture à des acteurs bilatéraux plus éloignés et puissants comme la Russie ou l’Arabie Saoudite. 


Enfin, et malgré l’ensemble des relations précédemment citées, l’Union européenne et Israël ont mutuellement gelé leurs relations et leurs accords d’association pendant près d’une décennie à partir de 2009. Alors que les deux espaces collaborent activement sur les questions d’antiterrorisme et de sécurité stratégique, la relation prend du plomb dans l’aile, celui de l’opération “plomb durci” où Tsahal (armée israélienne) bombarde et envahit la bande de Gaza afin de faire cesser les tirs de roquettes du mouvement émergent du Hamas à partir de décembre 2008. Et malgré un dégel apparent dès 2011 suite à des déclarations communes, le refroidissement est quasiment permanent à partir de 2013 où Israël annule des discussions annuelles car conformément aux accords d’associations, les politiques européennes différencient leur aide apportée à la population vivant dans le territoire israélien et celle résidant dans les colonies, illégales au regard du droit international. En réponse à ces violations continues, les États européens empêchent même le retour d’Israël au sein des groupes de travail auxquels il était précédemment invité et associé.


C’est seulement à partir de 2022 que la relation semble repartir sur des bases plus solides, notamment sur les questions de sécurité et de lutte antiterroriste. Le retour des relations euro-israéliennes à une dynamique plus forte est également causé par le contexte international, puisque Israël, grand producteur gazier offshore, représente une alternative au gaz russe dans le contexte de la guerre en Ukraine. Et malgré la poursuite des tensions, notamment sur la question du nucléaire iranien avec une tentative de normalisation des relations avec Téhéran par l’Union, et d’autre part  la volonté des institutions de travailler avec un maximum d’acteurs de la société civile palestinienne (même ceux considérés comme des menaces par les Israéliens), la situation internationale semble pour le moment jouer en faveur du rapprochement. Par exemple, la Banque européenne d’investissement a financé à hauteur de 50 millions d’euros la relance économique israélienne suite à la crise sanitaire et a permis en partie de juguler les effets de la crise économique sur la crise politique que connaissait alors le pays.



QUELLE INFLUENCE  DE L’UNION EUROPÉENNE POUR L’AVENIR ?


La récente sortie d’Ursula von der Leyen montre bien que les Européens ne sont pas tous sur la même longueur d’onde concernant Israël, notamment à travers le conflit avec les Palestiniens et le respect des droits humains. Les États membres sont divisés et même au sein de la société civile, cette question n’est pas sans soulever de vives tensions entre les différentes communautés. 


Il semble toutefois que l’influence européenne est palpable et que par sa taille commerciale, l’Union peut tenter d’infléchir la position israélienne sur sa politique de colonisation et ses violations des droits humains. Si la lutte d’influence est particulièrement forte avec notamment la Russie et les États-Unis auprès du gouvernement israélien, l’action extérieure européenne et la Commission peuvent se pencher sur de nouvelles méthodes plus innovantes, en touchant par exemple davantage la société civile israélienne qui partage dans sa grande majorité les valeurs et la culture des acquis de la construction européenne.

Reste à trouver la volonté politique, et cela sur le long terme.

 

Pierre Jouin

SOURCES

  • Commission européenne, “Israël, Voisinage Sud”, Voisinage et élargissement (consulté le 25/10/2023)

  • du Plessix, Caroline “L’Union européenne et Israël”, Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 2011

  • de Wangen, Sylviane. « Union européenne-Israël. Que veut-on ? », Confluences Méditerranée, vol. 67, no. 4, 2008, pp. 37-43.

  • Bertrand-Sanz, Agnès, “Les relations UE - Israël : promouvoir et faire respecter le droit international”, EuroMed Rights et Aprodev, 05/2012

  • Brzozowski, A. “L’UE disposée à renouer des liens plus étroits avec Israël après une décennie de stagnation” www.euractiv.fr. (2022, 19 juillet)


Écrivez-nous

Du même rédacteur :

Les sanctions commerciales européennes contre la Russie

L’enjeu de cette synthèse est de définir la portée des sanctions commerciales mises en place par l’Union européenne à l’encontre de la Russie et d’analyser leur impact sur les relations bilatérales de l’Union avec la Russie et sur l’économie de cet État.