Les sanctions commerciales européennes contre la Russie
La notion de « sanction commerciale » couvre une grande diversité de mesures mises en place pour contraindre, réguler voire empêcher l’activité commerciale extérieure d’un État ou d’une entreprise et de perturber par conséquent son fonctionnement interne dans le but d’obtenir un résultat bénéfique ou de mettre fin à une action jugée néfaste. Dans le cadre des sanctions commerciales à l’encontre de la Russie du fait de l’invasion de l’Ukraine déclenchée par Moscou en février 2022, l’Union européenne n’a pas été la seule à mettre en place ses mesures coercitives : ses États membres, ainsi que ses partenaires comme les États-Unis ou le Canada, on également rejoint cet effort pour faire plier la position russe en poussant à un cessez-le-feu et à des négociations. Mais le poids de l’Union est conséquent, puisqu’elle est depuis le début des années 2000 la première partenaire commerciale de la Fédération de Russie (là où la Russie n’est qu’en troisième position pour elle).
Ici, les sanctions n’ont pas été uniquement commerciales mais également financières, politiques et administratives. Toutefois, le volet commercial est sans conteste l’outil le plus probant des institutions européennes, malgré des disparités dans la dépendance de certains États membres à l’égard de la Russie en matière énergétique. De plus, la question des sanctions commerciales contre la Russie se place bien sûr dans le cadre des sanctions mises en place depuis février 2022, mais également depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Toutefois, ces mesures se sont vues renforcées cette année et ont vraiment changé la donne en termes d’équilibre commercial et d’échanges avec la Russie, notamment pour les ressources énergétiques. Par ailleurs, il s’agit de traiter uniquement les sanctions à l’encontre de cet État, car d’autres mesures européennes ont été également prises en à l’encontre de la Biélorussie ou des dirigeants des territoires sécessionnistes d’Ukraine : mais les relations commerciales sont différentes et ne peuvent être comparées ici.
L’enjeu de cette synthèse est de définir la portée des sanctions commerciales mises en place par l’Union européenne à l’encontre de la Russie et d’analyser leur impact sur les relations bilatérales de l’Union avec la Russie et sur l’économie de cet État.
Ainsi, les sanctions commerciales contre la Russie sont-elles efficaces ou démontrent-elles la faiblesse de l’Union européenne à imposer sa volonté sur le plan international ?
Si dans un premier temps l’Union européenne a mis en place plusieurs volets de sanctions commerciales pour faire plier la Russie sur sa position dans le conflit avec l’Ukraine, il faut se questionner dans un second temps sur l’impact réel de ses sanctions sur l’économie russe.
Les sanctions commerciales contre la Russie sont comme indiqué plus haut le résultat de relations plus que dégradées entre l’Union européenne et cet État depuis l’annexion non-reconnue et condamnée de la Crimée par la Fédération de Russie en 2014 suite à un référendum contesté. Toutefois, il convient aujourd’hui de les analyser dans le cadre de la guerre actuelle en Ukraine déclenchée le 22 février 2022, car elles marquent un réel tournant des relations commerciales entre l’Union et la Russie, à travers les huit volets de sanctions successives au cours de l’année 2022.
De manière assez logique, les sanctions commerciales contre la Russie visent tout d’abord les exportations d’armes et de technologies militaires vers ce pays. L’objectif étant d’empêcher la poursuite des opérations militaires en fermant l’approvisionnement en ressources susceptibles d’être mobilisées pour la guerre. Ces interdictions d’exportation avaient déjà été mises en place dès 2014 avec une efficacité limitée, et ont donc été accentuées dans le cadre des différents volets. Le deuxième volet (25 février) a très rapidement ciblé les lacunes de la Russie en termes d’équipement militaire, visant notamment les technologies de précision et les semi-conducteurs. Le cinquième volet (7 avril) vient compléter avec un embargo sur le charbon et les hautes technologies. Le dernier « train » de sanction (8 avril), vient quant à lui préciser la nature des interdictions concernant les équipements militaires. Si la Commission européenne déclare ces interdictions et enjoint l’ensemble de ses États membres à travers le Conseil à la suivre, c’est bien en coopération avec des grands producteurs militaires comme la France ou l’Allemagne que ces sanctions prennent forme.
De plus, les sanctions commerciales contre la Russie sont menées à l’encontre des importations de produits spécifiques ou à l’exportations de technologies dont la Russie est dépendante pour certaines de ses activités économiques. Ainsi, dès 2014, l’Union européenne met en place un embargo sur le matériel de haute précision utilisé pour les activités de forage en Arctique. En 2022, c’est le secteur de l’aviation qui est visé par le deuxième volet (25 février) qui interdit l’exportation de pièces détachées nécessaires pour ce secteur. En ce qui concerne les importations vers l’Union européenne, les sanctions ont visé les productions nationales où la Russie est la plus compétitive. Ainsi, le quatrième volet (15 mars) interdit l’importation du fer, de l’acier mais également de produits de luxe comme la vodka ou l’or. Mais l’Union européenne a également ciblé les “matières premières et matériaux critiques” avec le cinquième volet (7 avril) en complément des sanctions sur l’embargo du charbon. Ce sont donc des marchandises très spécifiques qui font l’objet de restriction, dans le but de paralyser l’économie russe. La méthode de l’Union européenne est en ce sens de s’attaquer à des cibles de précision.
Enfin, les sanctions commerciales contre la Russie concernent l’importation de ressources énergétiques, qui constituent la grande majorité des échanges commerciaux avec l’Union. Et c’est précisément ce qui marque, aujourd’hui et dans un avenir proche, la complexité de ces mesures pour les États membres. En effet, des économies comme celle de la Roumanie ou celle de l’Allemagne sont dépendantes des approvisionnements énergétiques gaziers et/ou pétrolier depuis la Fédération de Russie, rendant problématique tout blocus des oléoducs et gazoducs. Ceci explique notamment pourquoi les premières restrictions dans le domaine énergétique à l’encontre de la Russie ne sont mises en place qu’à partir du sixième volet de sanctions (6 juin), du fait notamment d’un blocage mené par la Hongrie pour obtenir des garanties d’approvisionnement. L’Allemagne et la Pologne ont également aussi annoncé mettre fin à leurs importations par oléoduc d’ici à la fin de l’année, ce qui permettra à “l’UE [de] tarir de 90 % les livraisons de pétrole russe″ d’ici là, selon le président du Conseil européen Charles Michel. De plus, un délai d’une année a été accordé à la Roumanie. Toutefois, pour éviter que la Russie ne trouve d’autre débouchés pour ses exportations, le dernier « train » de sanctions (8 octobre) prévoit un plafonnement des prix d’exportations du pétrole russe vers les États tiers, en coopération avec le G7.
Avec le cas de ces questions énergétiques, la portée des sanctions commerciales contre la Russie semble atteindre une certaine limite, notamment au vu de l’impact négatif pour les États membres. Alors, qu’en est-il vraiment de leur efficacité ?
Il est donc important de se questionner sur la portée et sur l’impact actuel et prévu des sanctions commerciales contre la Russie. Depuis mai 2003 et le projet des quatre « espaces communs » (économique, judiciaire, sécuritaire et culturel), la Russie et l’Union sont devenues des partenaires essentielles pour leurs économies. Ainsi, l’Union est le premier partenaire commercial de la Russie (55 % des exportations russes ont été dirigées vers l'Union européenne et 49 % des importations de la Russie provenaient de l'Union en 2005). Les mesures énoncées devraient donc être efficaces a priori.
Il faut tout d’abord observer un échec « simple » de ces sanctions : la guerre en Ukraine n’est pas terminée, la Russie ne s’est pas retirée. Malgré un recul net des forces russes sur le territoire ukrainien, grâce à l’envoi de matériel militaire aux forces de Kiev par l’OTAN, la Russie occupe toujours une bonne partie des territoires envahis, notamment les régions annexées et conflictuelles depuis 2014. Sur un court terme, les sanctions n’ont pas poussée le régime russe à cesser les opérations et à s’asseoir à la table des négociations : le but principal de ces actions n’a donc toujours pas été atteint et il ne semble pas pour le moment. Malgré des manifestations et des propos critiques de la part d’élus en Russie, le régime ne semble pas devoir s’effondre. Comme l’indiquait Jean-Claude Ripert, ancien ambassadeur de France en Russie sur France Culture en septembre 2022, « personne ne peut dire avec certitude si le régime de Vladimir Poutine est vraiment en mauvaise posture ». De plus, malgré les sanctions européennes et la première position de l’Union comme partenaire commerciale de la Russie, cette dernière cherche à créer de nouveaux accords avec la Chine ou l’Inde, rendant d’autant plus compliqué les négociations pour un potentiel plafonnement des prix des exportations de pétroles proposé par la Commission aux partenaires, notamment du G20.
Toutefois, la réalité économique semble donner raison aux sanctions européennes et expliquent le maintien de cette politique par l’Union comme moyen de coercition privilégié. Ainsi, avec le dernier volet de sanctions (6 octobre) l’import de produits sidérurgiques russes finis et semi-finis est également frappé d’interdiction, avec un manque à gagner pour Moscou estimé à sept milliards d’euros. De plus, la situation économique est de plus en plus alarmante du fait de ces sanctions, au regard notamment de l’impact de la baisse des exportations et des importations russes, notamment avec l’Union européenne. La Banque mondiale estime ainsi que la chute de la croissance du PIB devrait continuer à suivre le glissement annuel et dépasser les plus bas niveaux connus lors de la crise du COVID. À cela s’ajoute également que l’Union européenne avec d'autres partenaires, a adopté une déclaration se réservant le droit de cesser de traiter la Russie en tant que nation la plus favorisée dans le cadre de l'OMC.
Pierre Jouin