Les fondements d’une métaphysique générale de l’être (Kant)


Emmanuel Kant (tableau du XVIIIème siècle)


La critique transcendantale kantienne repose sur le fait, non pas d’élargir les connaissances, mais de rectifier les connaissances déjà formulées. La théorie transcendantale, prenant appui sur la sensibilité par laquelle les objets nous sont donnés ainsi que sur l’entendement par lequel ils sont pensés, regroupe une théorie des éléments – l’Esthétique transcendantale – et une théorie de la méthode – la Logique transcendantale. L’Esthétique transcendantale est la science des principes de la sensibilité a priori ; elle consiste donc à ne prendre en compte que la sensibilité en la séparant absolument de l’entendement, par conséquent des concepts. Déterminant cette science, Kant admet qu’il existe deux sortes de connaissance de la sensibilité a priori, en l’occurrence l’espace et le temps. L’espace et le temps sont par conséquent les formes pures de l’intuition sensible qui rendent possible des propositions synthétiques a priori, c’est pourquoi l’Esthétique transcendantale n’est constituée que de l’espace et du temps. Ce n’est que par l’intermédiaire des formes pures de l’intuition qu’un objet peut nous apparaître. Par conséquent, l’espace et le temps contiennent a priori la condition de possibilité des objets en tant que phénomènes. Nous avons des représentations a priori, autrement dit des présentations, que sont l’espace et le temps. Paradoxalement, des conditions subjectives de la pensée ont une valeur objective en tant que la subjectivité fournit les conditions de possibilité de toute connaissance des objets.

La tâche de la Logique, quant à elle, est de montrer les germes de l’essence de la raison finie et pure à partir de son fondement propre. Dans la Logique, l’Analytique transcendantale expose les objets universels et nécessaires de l’entendement qui se présentent comme des critères de la vérité. Bien que ce critère de la vérité soit la « condition négative de toute vérité (1)», il est nécessaire afin d’examiner une connaissance quant à sa forme. Ce critère indispensable et négatif relatif à la connaissance est la condition de possibilité pour qu’une connaissance accède à une vérité positive concernant son contenu. L’Analytique des concepts s’emploie à montrer quels sont les concepts purs de l’entendement et à montrer que ces concepts, les catégories, ont une valeur objective en tant qu’elles sont les conditions a priori rendant possible une expérience. L’Analytique des principes s’emploie quant à elle à identifier quels principes découlent de ces concepts afin de montrer quelle est l’expérience qui est rendue possible par ces derniers.

Le rôle principal de la philosophie critique kantienne est de déterminer l’essence même de la raison et de déterminer ce qu’elle a de particulier.

La critique au sens kantien signifie la délimitation du domaine de la raison pure et donc la délimitation de l’être de l’étant. Cela doit aboutir à la formulation des principes de l’entendement et à la mise en garde de leur unification pour les placer en système. L’Analytique est une théorie de l’étant en général en tant qu’objet de l’expérience possible ; elle est par conséquent une ontologie générale.

Les principes a priori semblent en effet indispensable pour la possibilité de l’expérience elle-même. Car comment la connaissance peut atteindre une quelconque certitude si elle repose sur des principes a posteriori, donc forcément contingents ? Kant veut donc fonder une science avec la Critique de la raison pure, la science philosophique qui analyse la possibilité des connaissances a priori. Son objectif est d’analyser les conditions de possibilité des propositions découlant de la raison pure afin de bâtir la connaissance sur des fondements solides et non sur des chimères de l’esprit. Il pose alors la question capitale qui donne forme à son projet philosophique : comment des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? C’est sur ce type de jugement que se fonde la métaphysique.

Kant nomme ainsi transcendantal ce qui relève des conditions de possibilité des connaissances a priori des objets.

Les critères de l’a priori sont le nécessaire et l’universel. L’apriorité est par conséquent indépendant de l’expérience parce que l’expérience ne peut jamais nous donner une chose qui soit nécessaire et universel.

Kant recourt à deux termes lorsqu’il parle du principe. Il utilise le terme de Grundsatz lorsqu’il veut parler du fondement. Par exemple, il utilise ce terme quand il s’agit de l’entendement dans la mesure où l’entendement est le pouvoir des règles, ces règles constituant l’expérience. Il utilise l’autre terme pour dire principe, Prinzip, pour désigner le commandement, l’idée de commencement, et utilise ce terme quand il s’agit de la raison dans la mesure où la raison a un désir inconditionné et fonctionne en toute autonomie. Car, ce qui différencie essentiellement l’entendement de la raison repose sur le fait que l’entendement ne peut rien commencer de lui-même.

Donc, les catégories trouvent leur application dans les principes de l’entendement pur, ces principes étant des jugements synthétiques a priori. Ils possèdent une validité universelle et sont les lois suprêmes de la nature dans le sens où ils opèrent nécessairement un nexus entre les phénomènes ; ils forment ainsi une unité, unité réunissant les lois particulières de la nature. Par conséquent, ils déterminent ce qui doit être considéré comme expérience objective et véritable. La table des catégories donne une indication significative et naturelle concernant la table des principes parce que ceux-ci sont les règles de l’usage objectif des catégories. L’expérience n’est possible qu’à partir de principes synthétiques a priori ; la tâche que se donne Kant est dès lors d’exposer ces principes de la manière la plus claire et la plus précise. Le système des principes de l’entendement pur est ainsi le centre philosophique et métaphysique qui maintient l’œuvre tout entière.

 

Le centre métaphysique de la philosophie de Kant repose sur la détermination et la délimitation de l’objectivité de l’objet. Ainsi la Critique de la raison pure est une refondation de l’ontologie à partir de l’imagination transcendantale, c’est-à-dire du temps – et non, comme l’ont prétendu les néo-kantiens de l’Ecole de Marbourg, l’exposition d’une théorie de la connaissance. Cela signifie que Kant n’a aucunement nié la métaphysique en tant que telle et n’a pas critiqué la raison pour la destituer mais pour réhabiliter son statut véritable. Chez Kant la réflexion sur l’Être est une réflexion portant sur le rapport de l’Être avec les capacités de l’entendement. L’Être est la position, c’est l’acte de poser relatif à une pensée définie comme une opération de l’entendement.

Depuis Kant, la subjectivité est mise au rang de principe et est par conséquent au centre de toute connaissance. Dans la relation de connaissance objet-sujet, l’objet se règle sur la structure de la subjectivité connaissante composée de la sensibilité et de l’entendement. Ainsi les objets dépendent de notre manière de connaître. Dès lors la révolution copernicienne ne consiste pas à dire qu’au fondement de la connaissance se trouve un sujet absolu qui existe indépendamment de toute réalité. Le véritable sens de la révolution copernicienne est la préséance de la connaissance ontologique sur la connaissance ontique. Pour qu’une connaissance ontique soit possible, il faut nécessairement qu’il y ait une connaissance ontologique qui la précède, d’où l’importance portée par Kant au développement d’une autre forme de métaphysique.

« L’instauration du fondement de la métaphysique en totalité équivaut donc à dévoiler la possibilité interne de l’ontologie (2) » : voilà le véritable sens de la révolution copernicienne.

Une connaissance ontique n’est possible que si une connaissance ontologique la précède ; dit autrement, la connaissance empirique dépend de la constitution de la vérité ontologique. Cela signifie que « la Critique de la Raison pure n’a rien à voir avec une « théorie de la connaissance ». Si l’on pouvait admettre une interprétation de la Critique de la Raison pure comme théorie de la connaissance, il faudrait dire : la Critique de la Raison pure n’est pas une théorie de la connaissance ontique (expérience) mais de la connaissance ontologique (3)». La révolution copernicienne de Kant réside dans le fait de rapporter le problème de l’ontologie à une place majeure, centrale.

C’est ainsi que Kant se pose la question essentielle de la possibilité des jugements synthétiques a priori. Ces questions permettent de mettre en évidence l’être de l’étant avant tout contact empirique avec l’étant. Par conséquent l’ontologie kantienne devient une philosophie transcendantale, une philosophie qui s’occupe de la possibilité a priori de l’objet plutôt que de l’objet saisi empiriquement. Par l’exposition de l’Esthétique transcendantale et de l’Analytique transcendantale, Kant fonde une métaphysique générale de l’être comme tel dont les principes de l’entendement closent le fondement.

Si vous voulez approfondir le sujet, une version développée de l’article est disponible : https://www.leparrhesiaste.com/les-fondements-dune-mtaphysique-genrale-de-letre-kant-version-developpee


(1) Kant Emmanuel, Critique de la raison pure, Paris, GF Flammarion, 2006, p.149

(2) Heidegger Martin, Kant et le problème de la métaphysique, Paris, Tel Gallimard, 1953, p.72

(3) Ibid., pp.76-77

Jean


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Pour approfondir le sujet :

Les fondements d’une métaphysique générale de l’être (Kant) - Version développée

Dimanche 18 septembre 2022