Le Nationalisme chinois et la démocratie
En 1912, la Chine voit disparaitre son système impérial installé depuis des millénaires. La république naissante dans ce contexte troublé est faible et en proie à tous les dangers. C’est dans cette période d’incertitude qu’un parti politique gagne en importance, mettant en avant sa structure centralisée et forte. Ce parti qui va dominer la scène politique durant toute la première moitié du XXe siècle, c’est le Guomindang, littéralement “parti de la nation”. Si le parti place au coeur de ses idées la mise en oeuvre d’un projet démocratique, sa prise de pouvoir progressive montre une réalité bien différente.
Un héritage lésé
En 1925, Sun Yat-sen, père fondateur du parti et théoricien politique sur la question démocratique, meurt. Chiang Kai-shek, homme fort du parti, prend sa succession. Pour assurer une transition sans heurts, Chiang se présente en digne héritier de Sun Yat sen et rend hommage à son passé républicain. Il dote même l’architecture institutionnelle d’une séparation des pouvoirs entre 5 yuan (ministères). Cet aspect clé pour l’existence d’une démocratie viable était largement développé dans les textes de Sun. Et pourtant s’il semble qu’un principe démocratique est bien respecté, ce n’est qu’une illusion puisque les ministères ont une importance très inégale. Comme le montre l’historien Robert Bedeski dans State Building in Modern China, le Yuan exécutif est le plus prépondérant. Si le yuan judiciaire revêt aussi une importance notable, ce n’est pas le cas des yuan législatif, de contrôle et des examens qui s’avèrent anecdotiques dans les prises de décisions. La structure du parti nationaliste sous Chiang Kai-shek présente aussi des organisations comme le comité exécutif central et les congrès nationaux. L’objectif reste le même, donner un “sentiment” de démocratie. Pour autant, comme le rappelle l’historien Xavier Paulès, ce n’est qu’un leurre puisque cette fausse impression de collégialité ne permet en aucun cas d’avoir une influence sur les décisions de Chiang. A noter qu’en 1930, les militaires fournissent la majorité des membres du parti, laissant peu de doutes quant à la nature du pouvoir de Chiang.
On comprend donc que la démocratie en Chine trouve en la personne de Chiang Kai-shek un opposant dans la mesure où ce-dernier sous couvert d’une illusion démocratique, met en place un système fascisant et autocratique où il est le seul détenteur de l’exécutif. Rare sont ceux qui s’opposent au renforcement de son pouvoir.
La démocratie “libérale”, alternative sans lendemain
L’unique mouvement alternatif à la dictature de Chiang dans ces années 1920-1930 est celui des libéraux. Leur isolement marque cependant le caractère « à contre courant » d’une potentielle application d’une démocratie chinoise.
Fondé au début de la décennie 1930 par deux intellectuels, Hu Shi et Lui Longji, proches du « groupe des droits de l’homme », le mouvement a pour but de dénoncer les abus de pouvoir du régime en place. Pour les libéraux, la démocratie en Chine doit demeurer un idéal qu’il faut atteindre. On peut citer par exemple les travaux du libéral Ding Wenjiang analysés par l’historien Edmund Fung dans son ouvrage In search of Chinese democracy, qui en 1935, propose qu’un groupe de sages soit chargé de définir ce qu’est le bonheur pour le plus grand nombre. On fait donc du citoyen libre la pierre angulaire de ce projet démocratique. Néanmoins, pour le mouvement libéral, il est nécessaire de passer par une institutionnalisation de l’Etat afin de mettre en place une démocratie concrète. Ce point est la divergence majeure qui oppose le courant libéral au cooncept de parti-Etat défendu par le parti nationaliste.
La démocratie en Chine ne peut donc être mise en place par la volonté seule du parti libéral qui est pieds et poings liés, demeurant sous l’autorité du parti nationaliste. Minoritaires quantitativement et isolés idéologiquement face au Guomindang, paradoxal protecteur et opposant idéologique, les libéraux n’ont aucune marge de manoeuvre.
La démocratie chinoise étouffée par le concept du Parti-Etat
Le Guomindang, on l’a vu, se tourne vers une idéologie prônant l’essor d’un parti Etat sans médiation avec les institutions. Il inculque une discipline idéologique stricte ou les récalcitrants sont emprisonnés dès qu’ils commencent à acquérir une relative aura politique.
L’idée démocratique a donc permis une réforme en profondeur de la culture et de l’approche du politique. L’effervescence d’échanges d’idées autour du concept est palpable, en témoigne la création du mouvement libéral. La naissance d’une multitudes de courants de pensées et de thèses de philosophie politiques divergentes rendent compte de cette refonte complète de la mentalité chinoise quant à son gouvernement. Néanmoins, dans une situation d’instabilité politique et institutionnelle les idéologies contraire à l’essor de la démocratie se sont renforcées en Chine. Le parti-Etat du Guomindang en est la principale manifestation. L’idée d’une démocratie chinoise au XXe siècle a donc suscité de nombreux questionnements qui ont mené paradoxalement au renforcement des mouvements en faveur d’un Etat total…
Emilien Pigeard
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