Le jeu vidéo à la française : Entretien avec David Duriot, Producer du studio La Poule Noire
Oui. Oui un nouvel article sur les jeux vidéo ! Comprenez-moi, c’est important de nos jours ! Non arrêtez, j’essaie de vous apprendre des choses !
La France est un pays réputé à travers le monde pour ses créations audiovisuelles. De son cinéma culte à ses artistes influençant un nombre incalculable de créations et de mouvements. Aujourd’hui, notre pays est réputé pour une nouvelle raison, une réputation qui ne cesse de croitre, de plus en plus : le milieu du jeu vidéo. Et, si la France n’est pas le centre des plus grands développeurs, sa production a su prendre un tournant intéressant et fructueux : le jeu vidéo indépendant !
Mais, qu’est-ce que c’est que ça, le jeu vidéo indépendant ?
Vous allez me dire que vous ne comprenez pas ce que je suis en train de vous raconter : “Mais Nicolas, nous on est des boomers, explique-nous !”. Calmez-vous, je m’en occupe : personne n’est vraiment sûr, avec exactitude, de ce que le terme de jeu vidéo indépendant signifie. De manière globale, cela englobe toutes les productions faites par des équipes réduite, en général moins de 10 personnes, avec des moyens très limités comparé aux plus importants des éditeurs. Comme vous le voyez, cette définition ne touche que la production, mais pas le contenu, pas la forme que prennent ces “indés”.
Car, en effet, la liberté est totale dans ces mesures-ci : d’un jeu classique en 2D à de la réalité virtuelle, d’un sujet sérieux ou comique, sur des thèmes réels ou inventés, tout est possible dans ce milieu en développement constant.
Ce type de production est aussi vieille que le jeu vidéo lui-même : il est apparu dans les garages des développeurs des années 70s et 80s, avant de se démocratiser petit à petit. Le véritable tournant est l’apparition d’Internet et de ses innombrables possibilités. Dès les années 2000, le jeu vidéo indépendant a su trouver dans la vaste étendue d’Internet un espace fertile, permettant à ce genre de projet de finir par être un modèle de développement viable.
Le plus grand succès du jeu vidéo indépendant est connu par presque tout le monde : Minecraft, le titre le plus vendu de l’histoire, et qui fut de sa création en 2009 à sa rachat par Microsoft en 2014, le porte étendard du jeu vidéo indépendant : au départ la création d’une unique personne, Notch, sans grands moyens financiers, popularisé et diffusé grâce à et via Internet.
Aujourd’hui, le jeu vidéo indépendant est florissant : en 2020, ce sont près de 11 000 jeux de ce genre qui ont été publiés sur la principale plateforme du genre, Steam. De plus en plus de développeurs se lancent dans ce genre d’aventure, pour faire connaitre leurs idées, leurs points de vue, leurs mécaniques et leurs vision du jeu vidéo. Idée originale, adaptation depuis un autre média (littérature, cinéma principalement), réadaptation d’anciens jeux, tout est possible avec cette manière de faire.
Et la France est l’un des centres du jeu vidéo indépendant, des centaines de studios en sont originaires et participent au développement
Mais je crois que la meilleure façon de prendre conscience de cela est encore d’en discuter avec quelqu’un au cœur de ce système, de cette vision du jeu vidéo. J’ai eu l’honneur d’échanger ainsi avec David Duriot, producer au studio La Poule Noire, basé à Angoulême depuis 2018, et auteur de deux titres, dont l’un à paraitre en 2022.
Entretien avec David Duriot, Producer de La Poule Noir, studio indépendant angoumois
Question : Vous avez créé votre entreprise en 2018 et les jeux vidéo indépendants connaissent un essor incomparable depuis ces dernières années. Avez-vous vu / ressenti de grands changements dans votre milieu, dans votre façon de travailler
Réponse : Non je pense que nous sommes actuellement sur un plateau en termes d’évolution, et ce depuis plusieurs années, avec plusieurs versions finales de ce que peuvent être des studios de jeux vidéo indépendants. Nous avons même des appellations économiques comme les grandes boîtes (i, ii, iii en comparaison des a, aa et aaa). Il suffit de voir les différents débats sur ce qu’est un jeu indépendant pour s’apercevoir que plusieurs philosophies s’affrontent. Ces débats me font penser qu’on est donc dans un état stable qui attend sa prochaine révolution.
Q : Quelles sont, selon vous, les avantages d'être un studio indépendant (français) aujourd’hui ?
R : La liberté, tout le temps. L’idée que nous pouvons décider des avancées du studio, des projets, ne pas travailler quand on a pas envie, le faire d’où on veut.
Q : Vous êtes actuellement basé dans la ville d'Angoulême, connue entre autres pour ses nombreuses écoles en lien avec l’animation et le jeu vidéo. Dans quelle mesure la présence de tous ces étudiants impacte votre propre travail ? Y trouvez-vous une potentielle manne de talents à employer ?
R : Mis à part Amélie notre directrice artistique, les personnes qui travaillent ou ont travaillé avec La Poule Noire sortent toutes d’écoles d’Angoulême. Nous savons que certaines formations dispensées sont de très bonne qualité et il est important pour nous de développer le tissu local et participer au développement de la ville.
Q : On entend souvent que le milieu vidéoludique en France ne propose pas beaucoup de nouveaux emplois comparé aux nombre d’étudiants qui sortent des écoles. Est-ce que cela est réel ? Quelles sont selon vous la meilleure chose à faire en sortant diplômé d’une école de jeu vidéo / animation ?
R : Je ne suis pas assez informé sur les chiffres de l’emploi actuellement mais il me semble que cette industrie a explosé très vite et très fort, que de nombreuses personnes ont été très réactives pour créer des écoles sans se soucier de ce que pouvait attendre certaines entreprises des futur·e·s diplômé·e·s. Je ne pense pas qu’il y ait une voie à prendre pour se démarquer en sortant de l’école. Ssi je devais donner un seul conseil, ce serait celui de s'amuser pendant que vous y êtes, c’est nettement moins drôle une fois en entreprise.
Q : Le milieu du jeu vidéo est aujourd’hui très peuplé, des milliers de studios cohabitent dans un marché de plus en plus ouvert. Est-ce que cela impacte votre studio ? En quoi celui-ci, selon vous, se démarque-t-il ?
R : On se positionne uniquement par rapport aux salarié·e·s de La Poule Noire sans se soucier de ce qu’il se passe autour de nous, on fait avec nos envies du moment. L’impact le plus visible qu’on puisse identifier facilement c’est que nous avons les ressources pour faire des portages consoles et nous sommes de plus en plus sollicité·e·s pour en faire. La Poule Noire ne se démarque en rien des autres studios, on ne le souhaite pas. La concurrence et la compétition sont des concepts qui nous épuisent. A l’image du cinéma, on estime que les gens peuvent apprécier toutes sortes d’œuvres de tous les styles et que donc qu’il y a de la place pour tout le monde. Après, comme toute forme d’art, on doit prendre en compte qu’il peut être très difficile de convaincre, mais on le découvre généralement assez vite.
Q : Vous allez, en 2022, publier un nouveau projet, To Hell with the Ugly, une adaptation du roman de Boris Vian. Pourriez-vous nous en parler ?
R : Nous avons lu le livre et conclu que le rythme imposé par Vian et l’histoire farfelue collaient bien à notre ligne éditoriale. Une fois la décision de partir sur ce projet prise, nous avons contacté les éditions Fayard et nous sommes tombé·e·s au bon moment. Iels préparaient le centenaire de la naissance de Boris Vian et étaient en train de créer plusieurs projets pour faire ou refaire découvrir son œuvre. Ensuite Arte a découvert le projet et nous accompagne depuis en tant que coproducteur et éditeur.
Q : Avez-vous déjà une idée de ce que vous aimeriez faire ensuite ? Un nouveau projet déjà en tête ? Une nouvelle technique à explorer ?
R : Oui nous discutons déjà de ce que nous aimerions faire, du projet bien sûr mais aussi des conditions de travail que nous pouvons et voulons améliorer. Il est trop tôt pour sortir quoi que ce soit mais on espère que le prochain projet sera encore une histoire un peu tordue avec une pointe d’humour et un sujet d’actualité inclus.
Nicolas Graingeot