Le Choc des Civilisations face aux critiques


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Le Choc des civilisations de Samuel Huntington a fait couler beaucoup d’encre, nombreux sont les ouvrages qui se sont prononcés pour ou contre ses thèses, dans sa lignée ou sous son patronage. Le but de cet article est de revenir brièvement sur les thèses centrales du livre d’Huntington afin de les soumettre à la critique tout en reconnaissant la pertinence de certaines d’entre elles. 

De l’article au paradigme

« Le Choc des civilisations », c’est avant tout un article sorti en 1993 dans la revue de géopolitique Foreign Affairs. Il suscita de nombreuses réactions qui ont poussé Huntington à se servir de ce succès pour en faire un livre portant le même nom quelques années plus tard en 1996. 

Si j’évoque le terme de paradigme, c’est parce que la vision défendue par Huntington et le système qu’il a mis en place ont une influence dont la portée dépasse celui de l’ouvrage universitaire classique. La postérité du livre est toujours visible dans les débats politiques actuels. On peut penser aux différents politiciens américains influencés par ses thèses mais aussi à Pascal Boniface ou Eric Zemmour qui, en France, questionnent ou utilisent dans leur rhétorique des éléments proposés par Huntington. 

Les thèses

Mais que dit le livre ? Et bien, pour Huntington, l’analyse des relations internationales doit selon lui se pencher sur les civilisations et non plus sur les idéologies en déclin. Pour avancer cela, il s’appuie sur la disparition des gouvernements fascistes et sur la dislocation de l’Union Soviétique qui vont de pair avec la perte d’influence de leurs idéologies respectives. Le capitalisme et le libéralisme économique ne sont également plus des ‘totems’ fédérateurs puisque, selon Huntington, en perdant leur opposant idéologique, leur besoin d’être défendus a perdu en signification. 

D’où le développement du concept de « civilisation » qui est au coeur de cette vision géopolitique moderne proposée par Huntington. La civilisation constitue:

  • l’entité culturelle la plus large, « le plus grand ‘nous’ » qui s’oppose à tous les autres « eux »

  • un ciment unificateur entre les êtres humains comprenant des valeurs, des croyances, des institutions ou encore des structures sociales communes.

  • un concept stable qui résiste aux aléas politiques, aux remous de l’histoire. Prenons l’exemple de l’Occident, qui malgré les invasions barbares, les guerres de religions, les apparitions et disparitions des monarchies, a conservé son appellation « d’Occident ».

En outre, l’ouvrage s’appuie sur la théorie sociologique de la « distinction », liée directement à la mondialisation que connait l’humanité: 

  • Il montre qu’avec la mondialisation, le commerce et les voyages se sont multipliés et par extension tous types d’interactions entre les civilisations. Or c’est en se confrontant à l’altérité que l’on prête plus attention à son identité, à ce qui nous différencie d’un point de vue civilisationnel de « l’Autre ».

  • Huntington s’appuie sur une analyse de la mondialisation pour confirmer sa thèse: l’anglais a beau être utilisé aux 4 coins de la planète, le monde n’est pas plus ‘Anglais’ pour autant. La langue a été vidée de sa substance culturelle pour devenir un outil véhiculant des différences. (On peut notamment penser aux messages de propagandes anti-occidentaux de Ben Laden où il utilise l’anglais)

Le monde d’Huntington laisse donc place à des blocs civilisationnels divisés, qui s’éloignent les uns des autres à mesure qu’ils prennent conscience et confiance de leur singularité culturelle, religieuse et donc civilisationnelle. 

Quelques critiques

Face à ces thèses aux conséquences géopolitiques graves, voici quelques références permettant de nuancer le constat d’Huntington:

  • Le Milieu des mondes, de Jean-Pierre Filiu, expose des conflits internes qui peuvent exister au sein d’une même civilisation et prendre le pas sur d’hypothétiques relations hostiles avec des nations extérieures. Comment ne pas évoquer les guerres de successions pour dominer le monde musulman qui se sont tenues après la mort du prophète ?

  • Le destin des immigrés, d’Emmanuel Todd, qui rend compte du fait qu’il n’y a pas de mur insurmontable en ce qui concerne les relations entre populations venant de « civilisations » différentes. Si les différences de religion et l’immigration non-contrôlée peuvent engendrer des tensions, il montre que 25% des descendants d’immigrés se marient à des Français (un taux stable depuis les années 90), ce qui implique une assimilation de fait, s’étalant sur 2 ou 3 générations. La thèse d’Huntington, si elle peut conserver sa pertinence sur les relations entre Etats, ne semble pas efficace sur l’analyse des faits interpersonnels.

  • Et enfin, Notre Joie, de François Bégaudeau où il évoque la rhétorique de l’extrême droite et de nombreux militants identitaires qui ont tendance à reprendre à leur compte des arguments de l’ouvrage d’Huntington. L’auteur critique la contradiction qui existe entre leur usage du terme « identité » qu’ils essentialisent à outrance (esprit français millénaire, de Clovis à De Gaulle, …) tout en ayant peur qu’elle soit altérée. Cette critique peut donc s’appliquer également à Huntington qui essentialise les civilisations en leur attribuant des valeurs invariables millénaires faisant fi des influences et des modifications qui ont pu survenir à travers le temps. 

Emilien Pigeard

 

Bibliographie:

Le Choc des Civilisations, Samuel P. Huntington

Le Destin des immigrés, Emmanuel Todd

Notre Joie, François Bégaudeau

Le milieu des mondes, Jean-Pierre Filiu



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