La Nouvelle Culture, ou comment le Monde est devenu geek


« Lunch Atop a Skyscraper », par Dan Avenell

« Lunch Atop a Skyscraper », par Dan Avenell

 

Retrouver mon interview sur le sujet pour Euradio ici !

Qu’est-ce que c’est donc que cette nouvelle culture dont on entend souvent parler ? Cette « pop culture » ou « culture geek » pour certain. Est-ce vraiment la sous-culture qui fut si longtemps décrite et décriée par nombre d’intellectuels trop attachés à la pseudo-sacralité de leur discipline ? Qu’est-ce qui en fait partie, ou pas ?

Tant de questions auxquelles répondre, sur un sujet si vaste et prenant ! Commençons sans plus tarder.

Être geek, d’une insulte ancienne à un mot connu et reconnu

Ce terme de « geek », un anglicisme passé dans la langue courante aujourd’hui, désignait voilà des siècles un fou, un monstre, une bête de foire : en résumé une personne en dehors de la norme et de la société. Encore parfois utilisé de nos jours pour parler de manière péjorative de quelqu’un attaché à cette nouvelle culture, il évoque en réalité un passionné de l’informatique, des nouvelles technologies, de la science-fiction et du fantastique en général, des jeux vidéos, etc.

Évidemment, ce genre d’intérêt en fait une cible facile de critique, de moquerie, dans la lignée des luttes entre classiques et modernes. Mais, aujourd’hui, nous assistons à une véritable transformation de ce rapport, entre une culture plus ancienne, et qui s’accroche à ses classiques et ses propres éléments, et cette nouvelle culture qui se développe sans cesse depuis 40 ans, qui se réinvente sans cesse, en particulier depuis l’apparition d’internet et de ses révolutions.

Les éléments de la Pop culture, en première ligne le jeu vidéo, ont longtemps été critiqués pour leur manque de sens, d’intérêts, d’intelligence et d’utilité. La méconnaissance du plus grand nombre, couplée à des mouvements sociaux et médiatiques, en ont longtemps fait dans l’esprit général une sous-culture, un rassemblement d’idiots, d’imbéciles et d’inadaptés. Mais, le rapport de force s’est profondément modifié, avec la prise d’importance de la nouvelle culture, désormais celle de la plus grande partie de la population, non seulement française, mais mondiale. Aujourd’hui, n’importe qui, ou presque, sait qui sont Mario et Luigi, Dark Vador, Sauron. Ces classiques de la Pop culture, immenses succès commerciaux et médiatiques, ont ouvert la porte à l’assimilation de nombreux éléments, de la littérature fantastique aux jeux vidéos, à la culture de masse, globale et mondiale.

Internet a permis à cette culture de se mondialiser rapidement

Internet en est aussi le grand artisan, ou encore un moyen de partage. Là où, avant le milieu des années 90 et sa démocratisation, les gens ne voyaient dans les « geek », les passionnés de ces nouveaux arts, que des ratés isolés et puérils, Internet a entrouvert à leurs yeux un univers hors norme, ultra-connecté, où la culture s’échange plus facilement que jamais, en éclipsant au passage toutes les autres. En effet, il est aujourd’hui bien plus facile de parler avec un jeune adulte de World of Warcraft ou Star Wars que de Maupassant et Virgile. Et ce n’est pas forcément un mal, une catastrophe pour l’intelligence humaine. Et oui, la culture est avant tout une construction sociale, faite par des échanges et des créations partagées petit à petit. Ce qui est passé ne saurait mourir aujourd’hui : les classiques littéraires du XIXème ne disparaissent pas pour autant. Ce n’est que leurs rapports à la société qui a changé. Là où certains se plaignent que cette culture n’apportent que l’idiotie, là où les bons vieux bouquins et les vieux films sont des monuments intouchables et parfaits à jamais. Ce serait oublier que le cinéma était avant tout un spectacle de fête foraine à l’origine, que les romans étaient décriés pour leur manque d’intérêt et leur idiotie, la peinture encore avant, et ainsi de suite. Il n’y a pas de culture éternelle et intouchable.

Aujourd’hui, tout va plus vite, les éléments culturels sont des « memes » sur Internet, dont la durée de vie dépasse rarement quelques mois. Une musique en remplace une autre, un film un autre, etc. Nous faisons face pour la première fois à une culture qui se redéfinit, se redessine constamment, sans en voir le bout. Et la jeunesse en est le fer de lance, une jeunesse née dans les mêmes conditions que cette culture, habitués à la vitesse, à l’échange et à la connexion ininterrompue. Le cinéma de science-fiction a gagné ses lettres de noblesse avec Star Wars et 2001 : l’Odyssée de l’Espace, le fantastique avec Le Seigneur des Anneaux. La vision du grand public du jeu vidéo a beaucoup changé, en particulier depuis que les anciennes générations voient que les joueurs ne sont pas des idiots inadaptés, mais bien des personnes qui peuvent, comme tous les autres, être engagés. Citons uniquement le Z-Event, cet événement français caritatif sur Internet qui a su récolter, en 2020, 5M700 € en 2 jours, en réunissant 12 millions de personnes, ce qui en fait le plus important événement caritatif en ligne au monde.

Nous sommes tous touchés par cette culture; à des degrés différents

Aujourd’hui, quand on sait que 6 français sur 10 jouent régulièrement aux jeux vidéos, on prend facilement conscience de l’étendue de cette nouvelle culture « geek », la culture du plus grand nombre, qui nous touche tous d’une manière où d’une autre, et dont nous faisons tous, à divers degrés, parties. La Pop culture est ainsi aujourd’hui bien plus prise au sérieux, la culture mondiale par excellence, celle qui s’est imposée avec le plus de force et de rapidité dans l’Histoire. Il est normal pour ceux qui l’ont vu arriver sans en faire partie, d’être perdu au milieu de toutes ces nouvelles références, de toutes ces modifications sociales qu’elles apportent avec elles. Là où l’intelligence artificielle, la robotique, l’espace et internet étaient rattachés à cette culture comme des « trucs de geek pas sérieux », ils sont devenus notre réalité, notre manière de vivre.

Quoi qu’il en soit, il serait idiot de rejeter en bloc tout cela, par peur de la nouveauté, par snobisme intellectuel ou par manque de curiosité. La nouvelle culture est aujourd’hui notre culture, une culture qui assimile sans difficulté les autres, et permet en fait de les découvrir : combien de personnes ont découvert Les Misérables grâce à l’immense succès du manga adapté de l’histoire de Victor Hugo, avant d’aller lire eux-mêmes l’original ? Combien en France ont commencé à apprécier le cycle Arthurien grâce à la série d’Alexandre Astier Kaamelott ? L’éducation est partout, la découverte également. Il suffit de savoir où et comment chercher. La nouvelle culture est la porte d’entrée parfaite pour les plus ou moins jeunes vers une culture plus spécifique, car moins complexe tout en attisant la curiosité.

Nicolas Graingeot


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