Un livre pour vivre
Le livre dont je vais vous parler est à mi chemin entre la philosophie et la littérature. Il s’agit des Nourritures Terrestres de Gide. Littéraire car la recherche du style est prégnante à chaque page, le narrateur s’adresse au monde, à des personnages qu’il croise ou qu’il veut rallier à sa vision des choses. Philosophique car plus qu’une histoire, c’est une véritable façon d’appréhender le temps, l’espace et le monde qui est proposée. Gide via son narrateur se fait précepteur et même n’ayons pas peur de le dire, guide spirituel. Ces quelques extraits et maximes permettent de saisir le ton prophétique quasiment religieux du narrateur :
« Je ne veux t’enseigner d’autre sagesse que la vie »
« Que l’importance soit dans ton regard, non dans la chose regardée »
« Que mon livre t’enseigne à t’intéresser plus à toi qu’à lui-même - puis à tout le reste plus qu’à toi »
Cette dernière phrase me permet de faire la transition vers un autre point qui fait de ce livre un ouvrage fascinant. Gide se pose en prophète d’une religion qu’il souhaite simplement léguer, il n’est pas un gourou puisqu’il promeut le détachement complet de son oeuvre après la lecture. Cette « nouvelle religion du Livre » trouve son initiative dans le livre mais ne s’accomplit pas avec lui. Contrairement aux religions réelles, le texte n’est pas une fin en soi, le lecteur n’est pas voué à y revenir pour mieux le comprendre. Il s’agit juste de lancer la réflexion, de proposer une pure philosophie sans exiger du lecteur qu’il s’y plie et suive absolument les dogmes.
Ce livre est également touchant dans la manière qu’il a de puiser dans des références philosophiques pour les mettre en pratique et je dirai même pour nous implorer de les mettre en pratique. On retrouve ainsi des éléments très nietzschéens avec la récurrence de l’importance accordée à « l’instant » et à la volonté de puissance :
« Place tout ton bonheur dans l’instant »
« Terre et ciel ne me valent plus rien au-delà »
« Si notre âme a valu quelque chose, c’est qu’elle a brûlé plus ardemment que quelques autres ».
On y trouve également des inspirations antiques allant du stoïcisme au mobilisme universel héraclitéen :
« Ne désire que ce qui vient à toi. Ne désire que ce que tu as »
« Heureux pensais-je, qui ne s’attache à rien sur la terre et promène une éternelle ferveur à travers les constantes mobilités. »
Lire cette oeuvre de Gide c’est donc éprouver une experience philosophique riche, composite, qui ne s’attarde pas sur la théorie mais qui chante la vie dans tout ce qu’elle d’unique en s’appuyant sur ces éléments philosophiques.
Si je devais choisir un autre aspect qui pourrait vous convaincre de lire Les Nourritures terrestres, j’évoquerais la situation actuelle.
Dans cette atmosphère morne ou la vie est affaiblie ou nos interactions avec le monde et les autres Hommes sont plus que jamais réduites, ce livre a un véritable effet curatif. Il nous pousse au rêve, à la rencontre, à tenter absolument toutes les experiences pourvu que notre vie n’en soit que plus intense et complète. De Marseille aux paysages du Maghreb, de Strasbourg à Alger, le narrateur décrit ses voyages en faisant appel le plus possible à ses sens. Sentir, voilà ce qui est nécessaire. Vivre, plus que jamais, car la vie est « l’unique bien », chaque instant est irremplaçable, notre être également. Alors vivons et si les temps nous contraignent, vivons par procuration un court moment aux côtés des narrateur de ce merveilleux livre.
Pour conclure, je laisse la parole à ce fameux narrateur qui précise la mission de son propos, en espérant vous avoir donné l’envie de vous procurer cet ouvrage pour prendre part à ce voyage, à cette authentique ode à la vie.
« Quand tu m’auras lu, jette ce livre- et sors. Je voudrais qu’il t’eut donné le désir de sortir - sortir de n’importe où, de ta ville, de ta famille, de ta chambre, de ta pensée »
Emilien Pigeard
Bibliographie :
Les Nourritures terrestres, Gide
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