L’ère Meiji, ou comment le Japon est devenu une puissance mondiale en 30 ans


La Grande Vague de Kanagawa, par le peintre Hokusai, membre du mouvement Ukiyo-e, 1830, tiré de ses Trente-six vues du Monts Fuji

La Grande Vague de Kanagawa, par le peintre Hokusai, membre du mouvement Ukiyo-e, 1830, tiré de ses Trente-six vues du Monts Fuji

 

Il y a 116 ans, en 1905, le Japon gagnait une guerre contre la Russie.

Si cet événement semble anecdotique comparé aux conflits mondiaux du XXème siècle et à la participation du même Japon, en particulier durant la Seconde Guerre Mondiale, il n’en est pas moins le point de bascule entre l’ancien et le nouveau monde. Un monde où les nations européennes ne sont plus les plus puissantes du monde, lorsque de nouvelles forces se lèvent, en Amérique avec les USA, et en Asie avec le Japon.


Pour la première fois, une armée européenne battait en retraite face à celle d’un pays asiatique. Ce fut une secousse diplomatique d’une rare puissance car, depuis des siècles, l’Europe dominait le monde. La Chine était, depuis 1942 et la Guerre de l’Opium, soumise aux ambitions européennes. Le Japon lui, au contraire, a su faire en quelques décennies ce que des pays ont mis des siècles à faire : devenir une puissance industrielle et militaire de premier plan. C’est ce qu’on appelle l’ère Meiji, ou comment le Japon est devenu un pays moderne et occidentalisé en 30 ans.


Mais pour bien comprendre comment ce pays en est arrivé là, il faut faire un bond dans le passé, jusqu’aux environ de 1600, lorsque le Japon s’est finalement unifié sous la férule d’un Shogun, un dictateur militaire, Tokugawa, qui fonde le shogunat Tokugawa, qui gouverne le pays pendant 2 siècles et demi. C’est à cette époque que Tokyo, alors appelée Edo, devient la capitale du pays, pendant que l’Empereur devient un fantoche sans aucun pouvoir. Au XVIIIème siècle, Edo devient la plus grande ville au monde grâce à la pays durable établie, comptant plus d’1 million d’habitants, symbole de la centralisation du pouvoir. Jusqu’alors, les seigneurs japonais se rapprochaient de seigneurs féodaux européens, ayant tout pouvoir sur leurs terres, et répondant à une vassalité envers l’Empereur. 


Un âge d’or économique, culturel et politique, l’ère Edo

Ce que font les différents shoguns qui gouvernent le Japon, c’est de transformer la caste militaire, composée entre autres des samouraïs, en fonctionnaire au service de l’État. Cela permet au pays de connaître une longue paix. Cette paix provoque une effervescence culturelle accentuée par l’ouverture d’écoles dans tout le pays : le théâtre se développe très rapidement, un style de peinture spécifiquement japonais né, le Ukiyo-e, qui reste aujourd’hui le style le plus connu du pays. La littérature permet l’apparition d’un premier sentiment national, en rejetant l’influence étrangère considérée comme néfaste pour la pureté de la nation, alors que les européens commencent petit à petit à pénétrer au Japon, en particulier les Hollandais, seuls étrangers autorisés à y commercer, et qui y ouvrent des écoles où sont enseignées les connaissances occidentales scientifiques et techniques. 


Par peur de l’influence étrangère et des dégâts qu’elle pourraient provoquer dans le pays, le shogunat interdit aux étrangers de venir dans le pays, en dehors d’un seul port ouvert, Nagasaki, et aux japonais de quitter le pays, sous peine de mort. Le christianisme est aussi interdit, à cause de ses idées contradictoires avec les valeurs nationales : les convertis sont souvent mis à mort s’ils refusent d’abandonner leurs nouvelles croyances. Tous les échanges commerciaux avec l’étranger sont étroitement surveillés par le gouvernement : la Chine, la Corée et les Pays-Bas sont les seuls pays autorisés à échanger des biens avec le Japon.


Mais la crise s’installe alors que le Japon se renferme sur lui même

Cette politique isolationniste pousse le pays à devenir autosuffisant, en développant les terres cultivables, en asséchant les marais, en défrichant les forêts. L’effervescence de la société japonaise se ressent dans l’explosion urbaine du pays, entre autres avec Edo et Kyoto, qui gagnent en taille, en population et en richesse plus rapidement que jamais. Ce développement démographique sans précédent, il y a 3 fois plus de personne vers 1850 qu’en 1600, prend de court le pays, qui ne peut bientôt plus, vers le XVIIIème siècle, répondre à la demande de nourriture de toute cette population : les famines deviennent récurrentes durant le XVIIIème et le XIXème. Les paysans, écrasés par les taxes nouvelles créées pour répondre à ces problématiques, préfèrent le plus souvent quitter la campagne pour aller en ville. Cela provoque un cercle vicieux où le manque de nourriture et la surpopulation entraîne l’abandon de terres cultivables et l’entassement des villes à nourrir.


Début XIX, la crise est installée, les révoltes se multiplient alors que l’économie stagne. Entre 1800 et 1850, le gouvernement tente beaucoup de réformes pour régler la situation, mais rien ne marche, l’État est impuissant. Cela se traduit par une perte de contrôle  sur les périphéries du pays : dans le sud, certaines villes vendent à prix d’or ce qui est acheté pour une misère aux étrangers, tout en bafouant les règles instaurées à Edo, ce qui participe au creusement d’une profonde inégalité entre le shogunat et le Sud. Le shogunat est affaibli, pauvre et suit l’ancien modèle, alors que le sud s’enrichit sur son dos tout en se modernisant grâce à l’aide des occidentaux, en pleine politique coloniale, et qui ébranle cet État à bout de souffle.


Après la Première Guerre de l’Opium, la situation se précise : le Royaume-Uni a en effet après ce conflit, imposé à la Chine l’ouverture de ses frontières et de son commerce, et le Japon semble le prochain sur la liste. En 1853, les États-Unis envoient une flotte devant la capitale japonaise pour les forcer à ouvrir eux aussi leurs ports aux étrangers. Le shogunat refuse et lance une vaine politique de modernisation de l’armée pour résister, mais bien trop tard. Lorsque la flotte revient en 1854, le gouvernement courbe le dos et accepte de signer la Convention de Kanagawa, qui ouvre 3 ports aux américains. Puis, en 1858, le Traité Harris ouvre 4 ports de plus et impose des droits de douanes très faibles, à l’avantage des États-Unis, ce qui participe encore plus à l’appauvrissement du Japon. Rapidement, les autres pays européens que sont la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Russie obtiennent les mêmes avantages.


La guerre civile approche alors que le gouvernement central se délite

Le shogunat est très affaibli, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du Japon : la fin de ce gouvernement s’annonce alors, c’est le bakumatsu. Avec cette crise latente, plus les ambitions occidentales, le chômage monte très rapidement, le prix des biens augmente, l’inflation explose et les maladies européennes ravagent le pays. Un mouvement anti-étrangers et anti-shogunat se forme autour de l’Empereur et se renforce : ce sont les Ishin Shishi. La guerre civile s’annonce, certains membres du gouvernement sont assassinés. Pour calmer les différentes factions, le shogunat tente d’intégrer des réformateurs dans les décisions de l’État, alors qu’en 1863, pour la première fois depuis 263 ans, l’Empereur prend une décision pour le pays en ordonnant l’expulsion des étrangers : des britanniques sont exécutés alors que l’ambassade américaine flambe, les navires étrangers sont la cible des canons japonais s’ils s’approchent des ports. En réponse à cette décision, les occidentaux bombardent plusieurs ports, et demandent une forte indemnisation, que le Shogunat ne peut qu’accepter face à une telle puissance de feu. 


Cette situation pousse, après une tentative de coup d’État, les province riches du Sud a vouloir abattre le shogunat, devenu incapable de les protéger. Elles forment une alliance secrète avec les étrangers, qui les forment et les arment. La guerre civile commence alors, lorsque ces provinces rebelles écrasent une armée du shogunat en 1866. Après cette victoire, la mort du Shogun suivie de peu par celle de l’Empereur, les provinces demandent au nouveau shogun, désormais presque seul face à tout le reste du pays, d’abdiquer en faveur du nouvel Empereur.  Il accepte à condition de devenir le premier ministre du nouveau gouvernement, c’est-à-dire de garder tout le pouvoir. Cette annonce relance la guerre : les armées du Sud marchent sur Kyoto, et libère le jeune Empereur, Mutsuhito, qui est restauré en janvier 1868 et prend le nom de Meiji, gouvernement éclairé. 


Cela provoque directement la seconde guerre civile, la guerre de Boshin. Les forces de l’ancien shogun sont vaincues car moins bien entraînées, équipées et modernisées que les forces du Sud. En juillet 1868, le shogun se rend pacifiquement, alors qu’une poche de résistance se forme sur l’île d’Hokkaïdo, au Nord, l’éphémère république d’Ezo, qui résiste 1 an encore. Ainsi, en 1869, le Japon est finalement de nouveau unifié et en paix. Edo devient Tokyo, la nouvelle capitale, le drapeau devient celui que nous connaissons aujourd’hui.


L’ère Meiji, le fracas de l’entrée du Japon sur la scène internationale

L’ère Meiji, cette période de réforme et d’industrialisation, commence en octobre 1868 sous le slogan « enrichir le pays, renforcer l’armée ». Les anciens seigneurs donnent leurs terres à l’État, qui réorganise le pays en départements, les castes sont abolies, le yen devient la nouvelle monnaie, en papier, le calendrier grégorien est adopté, l’enseignement devient obligatoire pour tous, l’armée nationale se compose, la justice est réformée. En 20 ans, entre 1869 et 1889, le pays se retrouve couvert de lignes de télégraphes, de voies de chemins de fer. En 30 ans, la production d’acier japonaise rattrape puis dépasse celle de l’Allemagne. Les gens commencent à s’habiller à l’occidentale, à adopter leurs valeurs : la culture ancienne, martiale et féodale est remplacée en 20 ans par celle de la petite bourgeoisie. Cet ébranlement est trop rapide pour beaucoup de japonais, même pour ceux ayant combattus pour la restauration de l’Empereur : des révoltes violentes éclatent vers 1875, mais sont rapidement écrasées par la nouvelle armée impériale, très bien entraînée et équipée. Enfin, en 1889, le Japon se dote d’une constitution à la prussienne, avec un pouvoir surtout militaire, et un parlement à deux chambres élues.


En quelques années, le Japon a su rattraper les puissances occidentales, aussi bien du point de vue économique que politique, et enfin militaire. La preuve en fut donnée en 1905 avec la défaite de la Russie, que personne n’avait prévue et qui prit de court le monde entier. Cette démonstration de force permet enfin au Japon de renégocier les accords inégaux qui lui avaient été imposés au XIXème siècle. Sur le modèle européen, le Japon entre alors dans une démarche colonialiste, qui ouvre un pan nouveau de son histoire.

Nicolas Graingeot


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