L’Angleterre est un mal pour les Irlandais


 
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Depuis quelques semaines, l’Irlande du Nord connaît une flambée de violences entre les forces de l’ordre, les loyalistes et des groupes nationalistes. Cela fait beaucoup de « -istes » n’est-ce pas ? Laissez-nous vous parler de la façon dont des dirigeants, des idées et des ambitions ont façonné une île. Laissez-nous vous parler de la responsabilité de la perfide Albion dans une des plus grandes aberrations de l’histoire européenne.

 

 

Briser le passé…

 

Lorsque le roi d’Angleterre Henri VIII s’autoproclame roi d’Irlande en 1541, c’est dans une logique du prévenir au lieu de guérir. Le souverain a en effet déclaré la guerre à la Papauté en créant l’anglicanisme au sein de son royaume, et la proximité d’une île à grande majorité catholique est une menace directe pour son pouvoir. En effet, la guerre n’est pas seulement spirituelle, elle est aussi stratégique et l’Espagne ainsi que la France pourraient tout à fait débarquer et bénéficier de l’aide d’Irlandais turbulents pour renverser la monarchie anglaise. L’Irlande se retrouve ainsi au centre d’enjeux politico-religieux, auxquels viennent s’ajouter une mainmise économique et culturelle de la couronne anglaise, notamment avec le système inégalitaire des plantations qui provoquent au cours du XVIIème siècle l’exil de nombreux seigneurs gaéliques.

 

Partie intégrante du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, l’île est avant tout une terre colonisée où les colons protestants affluent en face avec les encouragements des gouvernements anglais, qui voient là un excellent moyen de réduire la misère en Angleterre et de déconstruire progressivement et à long terme la culture gaélique et l’Église catholique irlandaise. Politiquement, l’Irlande et son Parlement se retrouve totalement soumis à Westminster et à la Couronne, de sorte que toute tendance à la volonté d’indépendance soit étouffée au sein des élites irlandaises. D’ailleurs, ces dernières sont le plus souvent anglo-irlandaises, afin d’asseoir l’autorité britannique sur la conscience collective de l’île. L’Union de 1801 consacre cette mainmise et semble alors tracer un avenir radieux pour les Irlandais sous la coupe des Anglais.

 

Pourtant, comment oublier la réaction inhumaine du gouvernement londonien dans les années 1845_1852, où le système des plantations détenus par des riches colons britanniques, les mauvaises récoltes ainsi qu’un champignon déclenchent une des plus terribles famines de notre Histoire. La volonté de considérer les Irlandais comme un peuple « assisté » et le peu de prise de conscience des Anglo-irlandais sur la situation de leurs compatriotes poussent plus d’un million d’Irlandais à émigrer vers les États-Unis. Malgré le Home Rule de 1912 qui donne une plus grande autonomie à l’île c’est tout naturellement, suite à une longue lutte clandestine, politique et militaire, qu’une République d’Irlande gagne son indépendance et ampute le Royaume de 6 comtés. 

 

 

… et fragiliser l’avenir

 

Indépendance ? Plutôt partition. Partition d’une île qui voit trois de ses plus riches comtés rester sous la coupe britannique au sein d’un Ulster qui compte près de 2/3 de Protestants-Anglicans, bien souvent descendants des colons britanniques et fidèles à Londres. Un Parlement contrôlé par Westminster qui est censé agir comme un alter ego monarchiste de celui de l’Eire, la jeune République d’Irlande. Cette dernière est passablement troublée avec les conséquences du compromis bancal faisant office de traité d’indépendance négocié par les Anglais et les chefs républicains irlandais.

 

Mais c’est en Ulster que va alors se déchirer véritablement le peuple irlandais, et déboucher sur des « troubles » qui persistent jusqu’à nos jours. Le gouvernement britannique, avec l’aide des élites anglo-irlandaises loyalistes, met en place une politique ségrégationniste à l’encontre des catholiques et de tous les nationalistes nord-irlandais, en grande partie favorables à l’unification avec l’Eire. Pas directement certes, mais les catholiques de l’Ulster sont bel et bien relégués au rang de citoyen de seconde zone. Avec la crise économique et la croissance du chômage qui plonge l’Irlande du Nord dans le marasme économique et la dépendance au Royaume-Uni, le contexte est parfait pour exacerber des tensions communautaires entre catholiques et protestants, entre loyalistes et nationalistes. À ces tensions, le Royaume-Uni répond par la force, comme lors du Bloody Sunday en 1972, et après la rigueur de Thatcher, il faut l’influence européenne et américaine pour aboutir enfin au fragile Accord du vendredi Saint en avril 1998.

 

L’Union européenne apparaissait comme une alternative pacifique pour régler la situation en Irlande, avec la fin de la frontière entre Ulster et Eire. Malgré la stagnation du système politique nord-irlandais, de part et d’autre les échanges et la Politique Agricole Commune permettaient une croissance économique relative. Les Irlandais ne vivaient plus dans la peur d’une frontière « dure » entre les deux parties de l’île et la possibilité à terme d’une unification politique après la zone économique commune amenait une paix relative chez les nationalistes. Le référendum du Brexit n’a clairement pas pris conscience des conséquences pour l’Irlande, dont les citoyens britanniques, loyalistes et nationalistes, ont voté à 56% à l’encontre du départ de l’Union. Les promesses non tenues, l’abandon chronique du DUP nord-irlandais par les Tories favorables au Leave et le rétablissement d’une frontière maritime entre la Grande-Bretagne et l’Ulster exacerbent non seulement les nationalistes, mais également les pro-britanniques qui se trouvent dans une confusion la plus totale suite à cette séparation douanière avec l’Angleterre. La situation d’une jeunesse nord-irlandaise héritière d’une violence encore récente, grandissant près des « murs de la paix » et souffrant du chômage annonce un avenir sombre pour l’enclave britannique.

 

 

            Cet article peut paraître anti-anglais, antibritannique voire nationaliste. Il est clair que des horreurs ont été commises par les Républicains, il est clair que la position de l’Eire concernant l’indépendance et la réunification est des plus ambigüe. Mais le Royaume-Uni et en particulier le gouvernement anglais ont une trop grande responsabilité dans l’histoire d’un pays qui reste très meurtri. L’Angleterre est certes nécessaire pour l’Irlande du Nord aujourd’hui, mais force est de constater que cette situation n’a que trop duré. La réunification est la suite logique des choses, et il faut la préparer.

 

Pierre Jouin