Enquête : Franc-maçonnerie, les voies de l'initiation
Deuxième partie : le premier coup de marteau
Notre première partie nous a mené à travers la mythologie biblique et les mythes fondateurs de la franc-maçonnerie. Elle nous a permis ensuite de retracer l’histoires des bâtisseurs de cathédrales, ces compagnons qui se transmettaient des techniques de création et s’entraidaient dans l’Europe médiévale. Pourtant, ces deux récits, bien que revendiqués par les différentes obédiences maçonniques, sont très certainement des mythes purement symboliques et il est difficile d’établir une pure filiation entre les architectes antiques et médiévaux et les premiers frères maçons.
Alors, comment dater le début de la franc-maçonnerie en tant que société discrète de réflexion et d’analyse du progrès et des évolutions sociétales ? Il nous pour cela traverser la Manche, et nous rendre chez nos chers voisins britanniques.
Du mythe opératif à la réalité spéculative : naissance la franc-maçonnerie moderne
C’est l’analyse qu’en fait l’historien et docteur en droit franc-maçon Paul Naudon, qui souligne dans son ouvrage La Franc-maçonnerie que « La franc-maçonnerie de métier ne fut jamais purement opérative. Aux buts professionnels s’ajoutaient des préoccupations ‘spéculatives’ ». Si le terme de « spéculatif » peut hérisser les poils des anticapitalistes, c’est en réalité une idée de solidarité et de culture commune qu’il désigne. Ainsi, la franc-maçonnerie n’a jamais été un pur partage de techniques manuelles et de savoir-faire, mais plutôt une quête de la connaissance et une recherche spirituelle vers la perfection.
Paul Naudon, affirme ainsi que la franc-maçonnerie dans ses débuts est particulièrement liée avec la tradition cultuelle catholique romaine. Ses rites d’initiation, réservés aux frères, s’inspirent directement ainsi de certaines cérémonies chrétiennes comme le baptême. L’historien conclut alors qu’on ne peut remettre en cause la parfaite orthodoxie des origines de la franc-maçonnerie. Quoiqu’il en soit, la franc maçonnerie doit donc être envisagé sous sa forme de quête spirituelle et non par un pur rassemblement de personnes effectuant le même métier.
Et c’est cette question de la solidarité, notamment autour de la religion, qui nous amène alors au début du XVIIIe siècle à la création de la franc-maçonnerie moderne, c’est-à-dire la franc-maçonnerie tournée vers la question de l’Homme et de son progrès.
« Le jour de la Saint Jean Baptiste, la troisième année du règne du Roi Georges I, en 1717, l’Assemblée et la Fête annuelle des Maçons Libres et acceptés se tint à l’auberge mentionnée précédemment, L’Oie et le Grill »
Cette citation énigmatique, solennelle et quelque peu étrange est issue de la version de 1738 des Constitutions d’Anderson, traités à l’origine rédigé par le pasteur presbytérien James Anderson en 1717 et qui après de nombreuses modifications est devenu le texte fondateur de la franc-maçonnerie mondiale, et en particulier de la première obédience, la Grande Loge d’Angleterre. Elle date un évènement très précis, la première tenue maçonnique moderne officiellement reconnue par la quasi-totalité de la franc-maçonnerie internationale.
Sauf que cela n’est pas aussi simple. Cette date n’existait pas dans la version de 1721 des Constitutions d’Anderson, mais n’apparaissait que dans la version de 1723, tout comme l’évocation des membres où d’une quelconque tenue de la Grande Loge d’Angleterre. C’est ce que fait remarquer dès le XIXe siècle l’historien franc-maçon Robert Freke Gould dans son ouvrage History of Freemasonry, qui déclare que malgré toute la bonne volonté de créer une histoire commune, les données sur lesquelles se base cette affirmation sont « insatisfaisantes ».
Qu’à cela ne tienne, cette date n’a jamais vraiment été source de débat et cette construction historique de la franc-maçonnerie autour de cette rencontre dans une auberge londonienne en 1717 est plébiscitée et accommode à la fois les historiens mais également les garants de l’histoire maçonnique. Mais alors, qui étaient ces premiers maçons ?
De Westminster à Paris
Gardons donc la date de 1717 comme point de départ de la franc-maçonnerie et intéressons-nous alors à la Grande Loge d’Angleterre.
La situation de la société britannique à l’orée de ce XVIIIe siècle, c’est un peu celle de toute l’Europe ravagée et malmenée par l’opposition entre les différents courants du christianisme, hérité des guerres issues de la Réforme protestante et des contre-attaques catholiques. Le Royaume-Uni est marqué par les conflits entre les dynasties des Hannovre (anglicans) et des Stuarts (catholiques), et par l’expérience de la Glorieuse Révolution. Le but pour la monarchie et le pouvoir britannique, c’est donc de préserver cette paix civile durement acquise.
Indirectement, la franc-maçonnerie s’inscrit dans ce processus en traversant toutes les couches et les religions de la population. Ainsi, comme le rappellent les professeurs Roger Dachez et Alain Bauer, francs-maçons, dans leur ouvrage La franc-maçonnerie, « Si le premier Grand Maître, Antony Sayer, n’est qu’un très modeste libraire, son successeur, en 1718, George Payne, est un agent du Trésor. Mais en 1719, c’est la surprise : le nouveau Grand Maître est Jean-Théophile Désaguliers (1683-1744), ministre de l’Église d’Angleterre ».
Si la franc-maçonnerie, dans ses origines, ne concerne qu’une dizaine de petites loges disséminées en Angleterre et en Écosse et est essentiellement composée de notables locaux, elle devient en une dizaine d’année une organisation importante de centaines de loges rassemblant des nobles fortunés et des intellectuels de renom, contribuant ainsi à la force du fameux establishment britannique.
Mais cette expansion se remarque également dès 1725 en France, avec les conséquences de la fuite massive des jacobites, les sympathisants des Stuarts catholiques, depuis l’Angleterre. C’est donc des raisons principalement politiques qui poussent la franc-maçonnerie à traverser la Manche. La noblesse anglaise et écossaise exilée devient donc le fer de lance de cette franc-maçonnerie sur le Vieux continent, et qui ne cessera alors de se répandre au-delà des frontières et des océans.
À suivre
Pierre Jouin
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