Enquête : Franc-maçonnerie, les voies de l'initiation
Première partie : Aux origines, des mythes et de l'histoire
Si la franc-maçonnerie est aujourd’hui l’objet de nombreux fantasmes, c’est pour deux raisons principales. D’une part, il faut évoquer le caractère discret des rites d’initiations et l’impossibilité pour les non-initiés d’assister aux réunions, les tenues. Je parle de « discrétion » avec la franc-maçonnerie, car les rituels ne sont pas inconnus, ils sont décrits dans de nombreux ouvrages et sur des sites sérieux : on ne peut donc pas les considérer comme étant secrets. D’autre part, il faut reconnaître que même si l’histoire de la franc-maçonnerie est datable, elle conserve une part de mystère dans ses origines et ses inspirations.
Le mot secret d’Hiram
Pour trouver les origines mythiques de la franc-maçonnerie, il faut interroger la mythologie des trois grandes religions monothéistes. Et plus particulièrement, avec le fameux roi David, qui sur son lit de mort fait promettre à son jeune fils Salomon de construire un temple pour abriter l’Arche d’Alliance entre Dieu et l’Homme. C’est là qu’Hiram, architecte réputé ayant appris auprès des maîtres égyptiens, est envoyé à Jérusalem par le roi de Tyr.
Ce dernier prend la direction du chantier et instaure une hiérarchie au sein de la multitude d’hommes qui travaillent. L’homme entre en tant qu’apprenti, regarde et écoute les instructions de ses aînés. Il devient, s’il a bien appris et fait preuve de sérieux, un compagnon, qui peut directement tailler la pierre et contribuer à l’élaboration du savoir-faire. Il peut ensuite, grâce à la nomination des plus anciens du chantier, devenir un maître qui dirigera des travaux et transmettra son savoir aux novices.
Pour recevoir leur paie en fonction de leur grade sur le chantier, chaque homme connaît le mot secret qui lui permettra de recevoir à la fin de la journée ce qu’il mérite. Gare aux paresseux et à ceux qui se reposent sur leurs lauriers ! Il n’est pas impossible d’être renvoyé du chantier si l’état d’esprit ne correspond plus au maintien de la bonne entente du groupe.
Hiram, quant à lui, possède aussi un mot secret… ou un objet, en fonction des interprétations de la légende. Un secret qui remonterait aux origines mêmes du contact entre Dieu et l’Homme. Une idée, un artefact qui viendrait vivifier notre quête de la connaissance et notre créativité. Hélas, trois compagnons, jaloux du secret d’Hiram et désireux de passer outre cette hiérarchie du mérite, le piège et tente de le faire parler.
Placés aux trois portes du Temple fraîchement construit, ils frappent Hiram tour à tour qui, par trois fois, refuse de révéler son secret et succombe à l’ultime coup. Apeurés et terrifiés, les trois criminels emmènent Hiram et l’enterrent dans le plus grand secret au cœur du désert. Les compagnons fidèles de l’architecte, après avoir passé des jours dans des fouilles infructueuses, remarquent une jeune pousse d’acacia qui s’extirpe hors du sable. Le corps de l’architecte, après deux échecs, est finalement exhumé et soulevé à l’aide des cinq points parfaits de la maîtrise, seuls aptes à permettre au profane, grâce à ses frères, d’entrer dans la voie de l’initiation.
L’Europe se couvre d’un blanc tablier de maçons
La légende d’Hiram, en tout cas cet épisode du meurtre de l’architecte et de son exhumation, est partagé par la grande majorité des loges maçonniques du monde entier, quelques soient les nationalités, les religions et les opinions politiques. Elle fixe à la fois les maçons dans cette quête de la vérité et du progrès, mais aussi donne un sens à leurs rituels d’initiation et aux lois qui régissent la fraternité.
Toutefois, même si Salomon, David ou encore Hiram ont peut-être existé, tout cet épisode est comme écrit plus haut issu de la mythologie commune au judaïsme, à l’islam et au christianisme. La religion et la franc-maçonnerie sont étroitement liées, comme nous le verrons tout au long de cette enquête. Mais il a toujours été important pour cette fraternité de se distinguer d’une simple secte catholique ou d’une autre branche du judaïsme. Il a toujours été important de s’identifier à des rapports de connaissance, de savoir-faire et de créativité.
C’est là que la légende rejoint l’histoire, au cœur des chantiers de cathédrales, d’églises, de monastères et de basiliques qui recouvrirent toute l’Europe du XIIème siècle jusqu’au XVIIème siècle pour les monuments les plus tardifs.
Si ces cathédrales se sont répandues dans toute l’Europe, ce n’est pas seulement grâce à l’essor financier de l’Église, ni à la volonté de puissance de certaines villes. Non, ce savoir-faire de la construction, ces chantiers titanesques et pourtant organisés étaient rendus possible par l’itinérance des compagnons bâtisseurs. Architectes, sculpteurs, tailleurs de pierres ou encore fondeurs, ces hommes parcouraient les chantiers d’Europe pour partager leurs connaissances, échanger sur les différentes techniques utilisées et surtout continuer à améliorer les bâtisses à la gloire de Dieu.
La hiérarchie est retrouvée : des maîtres dirigeant des équipes de compagnons talentueux sous l’œil avide de connaissance des apprentis. Les initiés de ce savoir-faire se retrouvaient régulièrement sous les abris de travails, appelés loges, pour échanger sur les avancements, proposer de nouvelles idées et partager les différentes techniques apportées de l’étranger.
Un nouveau frère arrive et ne parle pas la langue ? Qu’à cela ne tienne, les signes et les langages codés sont monnaies courantes et permettent à tous de participer. Les outils sont les mêmes, le compas et l’équerre deviennent plus que des instruments et symbolisent alors cette quête de la connaissance, de la vérité et du progrès.
À suivre
Pierre Jouin