Contre Nietzsche
« La morale en Europe est aujourd’hui celle du troupeau »
Nul doute que Nietzsche maintiendrait voire affirmerait plus avant cette maxime tirée de Par-delà Bien et Mal. Elle illustre le mépris que nourrit Nietzsche envers le système de valeurs de son temps. Dans nombre de ses ouvrages comme l’Antéchrist ou la Généalogie de la morale, il n’a de cesse de critiquer la morale d’esclaves qui ayant connu à ses yeux son premier essor avec la chrétienté, s’est divisée en de nombreux courants. Il ne supporte pas ce qu’il juge vil, populacier, bas, vulgaire, grégaire, … et rêve d’un être émancipé de ces carcans qui amenuisent le déploiement de la vie; le Surhomme.
En opposition à cet être créateur, plein de fougue et de vitalité, définissant ses propres valeurs sans se soumettre à ceux qui font tout pour le retenir, Nietzsche situe toutes les idéologies ou courants de pensée qui ont pour conséquence, selon lui, d’étouffer cet élan.
Dans un précédent article j’avais utilisé cette citation d’Humain, trop humain où il dépeint la démocratie comme
« un stade décadent, où l’homme s’amoindrit, tombe dans la médiocrité et se déprécie »
Ce que souhaite Nietzsche c’est la hiérarchie. Les droits de l’Homme et la démocratie ont donné des droits égaux à tous; absurdité sans nom pour lui; puisque les Hommes ne sont pas égaux dans leur façon de développer leur propre Volonté de puissance. Dès lors le pouvoir et la morale devraient être réservés à ces êtres plus animés qu’à ceux qui limitent leur potentiel.
Nietzsche identifie ces obstacles, ces porteurs de morales de troupeau :
Les chrétiens
Les républicains/ démocrates
Les socialistes
Les anarchistes
Il maintient qu’ils sont coupables d’introduire les germes de la tristesse et de la débilité au sein de la société en faisant preuve d’une pitié collective. En écrasant la volonté de puissance, ils mènent à la degenerescence de l’Homme.
Étant en profond désaccord avec ce paradigme, je vais tenter, dans la mesure de mes moyens, d’expliciter :
Nietzsche critique, on l’a compris, l’idée que les idées républicaines, socialistes, voire anarchistes affaiblissent l’Homme et que pour y remédier, il faut qu’une élite résiste et s’extirpe des codes établis sous cette influence néfaste.
Or j’ai tendance à penser que la société ne peut s’améliorer dans son ensemble que si une grande partie des Hommes s’améliorent également. Plutôt qu’un groupe restreint de Surhomme, il faut tout mettre en oeuvre pour que la plus grande part de la communauté puisse enrichir son génie créatif, son désir de connaissance et sa volonté de repousser les limites.
Plutôt que d’attribuer la cause d’une décadence de l’homme aux socialistes, démocrates, … Ne faut-il pas plutôt diriger nos opprobres contre les maitres, les dirigeants, les castes que Nietzsche prétend supérieures. C’est justement cette hiérarchie dur qui, à mon sens, rend toujours plus faible les classes inférieures et porte préjudice à l’Homme dans son ensemble. C’est également l’homme supérieur de Nietzsche, l’aristocrate, le chef, la classe supérieur qui rend l’humanité plus faible. C’est eux qui maintiennent le « troupeau » dans l’obscurité, qui lui empêchent l’accès à l’éducation, à la philosophie, à la volonté. Si le Surhomme doit croitre en vampirisant les forces d’autrui alors il est nocif à l’espèce.
Au Surhomme je privilégie les Surhommes, c’est vers cela qu’il faut tendre. Lorsqu’on lit les penseurs de ces courants qu’il dénigre tant, on se rend compte qu’ils visent le même but que lui, redonner à l’humanité un caractère élevé, dénué de chaînes, pouvant jouir de libertés plus ou moins grandes mais garanties. Ils veulent faire tendre l’homme à nouveau vers quelque chose de plus grand.
On peut notamment prendre pour exemple des penseurs de la démocratie classique comme Aristote et Cicéron pour qui la démocratie était nécessaire à la grandeur de l’Homme en faisant de lui un citoyen autonome, libre avec une conscience de ses droits et de ses devoirs. Des siècles plus tard Victor Hugo, fervent républicain dans la dernière partie de sa vie estimait que ce régime était lié à un accroissement en parallèle de éducation pour le plus grand nombre. Un dernier exemple parmi les innombrables possibles : dans la Morale Anarchiste, Kropotkine conseille un retour de l’espèce humaine à ce qui constitue sa force depuis la nuit des temps : une coopération sans faille, un sens de la solidarité qui permet de se renforcer collectivement. De plus il prend appui sur des comparaisons avec le règne animal faisant de la question du développement et de la conservation de la vie des thèmes centraux.
Nietzsche critique ces mouvements « populaciers », soit; pourtant, et c’est ma conviction, c’est en élevant la société dans son ensemble que l’on parviendra à multiplier les Hommes d’exceptions, créateurs et justes, non en la maintenant en esclavage, dirigée par quelques hommes « forts », qui restent en place, pour la plupart, par l’accaparement et la menace.
Emilien Pigeard
Bibliographie :
Humain, Trop Humain, Nietzsche
Par-delà Bien et Mal, Nietzsche
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