Contre le peuple de Protagoras
Je vois apparaître des êtres d’ennui, satisfaits de leur propre personne et de leur propre mesure (« je suis la mesure de toute chose ! », clament-ils avec entrain à tous les coins de rue, dans tous les bars). Cette suffisance suppose une bêtise, c’est-à-dire une paresse (merci Jacques !)… une rage m’habite contre vous et pour sûr vous me direz élitiste. Or, il n’en est rien : je suis exigeant ! Je déteste cracher… mais il y a un trop… Après quelques verres, il n’y a qu’à se lâcher un peu… le lieu ne s’en souviendra pas… le verre ne s’en souviendra pas…
Vous êtes pour vous-même votre propre Dieu : en voilà pourtant une misère ! et vous l’assumez en plus ! L’être moderne que vous représentez ne s’intéresse au monde que dans la mesure où celui-ci reflète votre propre image (et vous présentez au monde une face indifférente…). Nous voilà dans une pauvre démocratie, où chaque citoyen peut prendre la parole sur tous les sujets sans connaissances qui la justifient (c’est regrettable…). Car apparemment, une parole en vaut une autre ! Oui ! je parle bien de valeur, vous m’avez bien entendu !
Vous pensez l’emporter toujours car vous élevez votre sentiment sur la plus haute montagne de l’humanité, et pourtant… vous êtes les victimes de l’idéologie dominante, d’un système que vous ne comprenez pas. Alors relativisme ! ou plutôt individualisme ! « Tout le monde a sa philosophie » : on dirait Amel Bent… Cette phrase anodine, entendue de multiples fois, témoigne d’une chute spirituelle, de la vôtre. Si tout le monde a sa philosophie, à quoi bon son étude ? Si je dis que tout le monde a sa science, à quoi bon l’étude de la physique ou de la biologie ? Il faut néanmoins reconnaître une chose déplorable : la philosophie en France a mauvaise réputation. Elle est cette matière pour les « défoncés », les « futurs chômeurs », les « mecs en sarouel », les « filles dans la lune »… bref ! pas pour des gens sérieux ! Apparemment, il faut être un illuminé pour disserter… De plus, nous assimilons trop aisément l’enseignement de la philosophie à celui de la littérature. Cela vient peut-être du fait que le vingtième siècle français a été marqué par l’émergence des Camus, Sartre et de Beauvoir, à la fois philosophes et écrivains… et c’est oublier les Descartes et les Pascal !
Peu importe… Encore un verre ! Encore le bruit assourdissant de la paresse ! Revenons à nos moutons… Il y a peu, un film sur Napoléon. Beaucoup d’historiens sont revenus sur cette adaptation dans la mesure où celle-ci trahissait une part de l’histoire. Son réalisateur, Ridley Scott, leur a répondu en disant : « Vous y étiez, vous ? Oh, non. Alors comment vous pourriez savoir comment ça s’est vraiment passé ? » Quel toupet ! Scott est tombé dans ce peuple qui suit Protagoras. Rendez-vous compte, il a remis en cause l’étude même de la science historique ! Mais, vous, vous le suivez dans sa bêtise à coup sûr… « L’histoire, à chacun de faire la sienne » ; « tout le monde a sa philosophie »… Du pareil au même, comme deux bières industrielles !
Cela vous convient parfaitement d’un point de vue individuel de dire que chaque personne a sa philosophie propre (ou que chaque personne peut refaçonner à sa guise l’histoire…), donc que toute pensée se vaut : vous pensez ainsi car vous savez, au fond de vous, que vous n’avez pas assez de volonté ni d’exigence envers vous-même pour rivaliser avec ceux qui se sont tués à la tâche pour faire progresser la connaissance humaine. Vous remettez en cause bêtement la connaissance des êtres qui ont passé leur vie à rechercher une réponse pour vous consoler de ne rien connaître vous-même. Votre relativisme est une façon pour vous de ne pas faire d’effort, de vous complaire dans votre doxa bien ancrée. Et vous êtes doublement victimes car doublement ignorants… vous ne savez pas et vous vous illusionnez en pensant savoir ! Vous ne savez rien d’autre que vous-même… Cela vous suffit-il ?
« Tout le monde a sa philosophie »… Si chaque personne a sa philosophie, et que chaque philosophie se vaut, alors je revendique haut et fort une philosophie de la pédophilie ! Qu’en dites-vous ? Si vous vous révoltez, vous le faites contre votre propre proposition ! Je suis ivre et alors ? J’ai les neurones alcoolisés et les naseaux en sang ! Là n’est pas… A vrai dire, vous ne prenez pas même la mesure de ce que vous dites en disant ça… vous annihilez la philosophie elle-même ! Mais cela rejoint finalement votre basse logique inconsciente : en refusant la philosophie, vous refusez du même coup vos contradictions intérieures. Or penser, n’est-ce pas engager un dialogue avec soi-même, autrement dit se combattre ? Votre plus grand mal est de nier que cohabitent en vous des paradoxes qui torturent, des profondeurs insondables, des mystères ineffables… Je vous le dis : votre pensée n’en vaut pas une autre, d’abord et avant tout parce qu’elle n’a pas d’assises, ni d’arguments, ni de nuances, et qu’elle manque la réconciliation… Être un porc satisfait plutôt qu’un Socrate insatisfait, voilà votre sort, voilà ce que vous défendez haut et fort !
En plus de me combattre moi-même, je vous combats et vous combattrai, soyez-en sûrs… cul-sec et ciao !
Jean
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