Albert Einstein : l’homme derrière le physicien
Cet article a pour vocation de vous faire découvrir les faces cachées d’un des plus grands physiciens du XXème siècle, en l’occurrence Albert Einstein. Ce dernier a en effet fait basculer le monde – si je puis dire – dans une autre dimension en publiant deux articles majeurs dans le domaine de la physique : l’un en 1905 sur, en autres, la théorie de la relativité restreinte ; l’autre en 1915 où il expose la théorie de la relativité générale. Dans cette dernière théorie, il envisage (et cela est révolutionnaire) la gravitation comme une déformation de l’espace-temps et non plus comme une force gravitationnelle qui s’exercerait à distance entre les corps. Nous allons néanmoins laisser de côté la science pour nous intéresser à ce que pensait Einstein de la communauté, de la religion ou encore de la morale.
Einstein : un indépendant uni au monde
Au-delà du domaine de la physique, nous rencontrons un Albert Einstein sensible aux idées du Beau, du Vrai, pour qui les satisfactions personnelles et immédiates s’avèrent être des entraves à l’accomplissement d’un savoir intellectuel global. Il poursuit ainsi un idéal qui associerait le bien, le beau et le vrai. Nous découvrons un savant du XXème siècle qui a passé sa vie à essayer de faire avancer la connaissance humaine, et qui est par conséquent fatigué d’y avoir contribué. Bien qu’il soit parfois dur vis-à-vis des autres humains (« J’ai expérimenté l’homme. Il est inconsistant [1]» ; « l’humanité se passionne pour des buts dérisoires. Ils s’appellent la richesse, la gloire, le luxe. Déjà jeune je les méprisais [2]»), il continue de se battre pour une meilleure compréhension du monde ainsi que pour une communauté humaine plus juste et plus morale.
Ce qui ressort ici, c’est surtout la volonté d’un homme qui se sacrifie pour le savoir humain – qu’il soit d’ailleurs artistique ou scientifique – qu’il considère comme une valeur indépassable. « Ceci équivaut à être prêt à se laisser emprisonner, à se laisser ruiner financièrement, en bref à sacrifier ses intérêts personnels pour les intérêts culturels du pays [3]». Bien qu’il se considère comme un solitaire, il a pleinement conscience qu’il est un être toujours en contact avec les autres (cela fait évidemment penser à Aristote : l’homme est un animal politique ; ou même à Heidegger dans la mesure où le Dasein est toujours et déjà un Mitsein, c’est-à-dire un être déjà pleinement avec les autres). Tous ses actes n’ont qu’un seul but, en l’occurrence celui du progrès de la communauté. Indépendant mais uni au groupe : voilà la situation d’Einstein.
Bombe atomique, pacifisme et régime nazi
Abordons à présent sa responsabilité vis-à-vis de la constitution de la bombe atomique. Finalement, il a contribué à sa création pour les Etats-Unis car il avait conscience – tout comme le gouvernement étasunien – que l’Allemagne désormais nazie était aussi sur le point de découvrir ce type d’armement. Bien qu’il soit profondément pacifiste, il se devait de contribuer à l’élaboration de la bombe atomique dans la mesure où cela pouvait entraîner des conséquences dévastatrices (conséquences qui ont, finalement, touchées les Japonais…). Einstein a conscience, déjà à l’époque, que l’humanité peut désormais s’autodétruire avec cette bombe et qu’elle est par conséquent responsable de sa propre survie.
Einstein abhorre l’armée dans la mesure où elle est, selon lui, l’institution qui entraîne les peuples à se tuer. En outre, il voit dans le service militaire le signe de la décadence d’une société, en l’occurrence d’une société qui va droit vers la guerre et vers un nationalisme mortifère. Il prône donc un antimilitarisme fort : « Le service militaire obligatoire doit être combattu puisqu’il constitue le foyer principal d’un nationalisme morbide. [4]»
Il se méfiait terriblement du régime nazi et prévoyait déjà des catastrophes à l’avenir. Il reprend une analogie chère à Platon en expliquant que le système économique et politique d’Hitler sonne l’arrivée d’une prochaine maladie sociale. Il analyse le corps politique allemand de son époque comme un corps organique qui est atteint d’une maladie qu’il faut impérativement combattre. Le national-socialisme est ainsi selon Einstein le début d’une décrépitude tant au niveau social qu’au niveau de la conscience individuelle. Albert Einstein quitte alors l’Académie des Sciences de Prusse et quitte l’Allemagne car il ne peut supporter de vivre dans un pays qui ne respecte plus la loi et qui impose des idées malveillantes aux individus (nous remarquerons néanmoins, avec l’analyse de Hannah Arendt sur le totalitarisme, que ce régime politique ne consiste pas à imposer des idées et des convictions aux êtres mais bien de faire en sorte qu’ils ne soient plus capables d’en former aucune).
La question de Dieu et du judaïsme
Il reste fortement influencé par la pensée occidentale de son époque dans la mesure où il considère que le monde des phénomènes physiques est – dirons-nous – dominé par une Raison ordinatrice. Le monde est ainsi un espace géométrique difficilement déchiffrable et l’être humain se doit d’essayer de le déchiffrer. Cela fait terriblement penser au Timée de Platon où un démiurge donne forme à la matière déjà présente en développant son esprit de géomètre (Einstein écrit même qu’il existe une « architecture du monde »).
En accord avec Platon, Einstein défend la thèse selon laquelle l’univers est une architecture déchiffrable mathématiquement que nous pouvons appréhender grâce à la raison : le monde est fait d’équations que la raison peut saisir. Einstein croit au fait que les phénomènes naturels peuvent être connus avec les mathématiques, comme finalement tout physicien qui se respecte un minimum. Cela est acceptable. Cependant il va trop loin lorsqu’il affirme qu’une théorie donnant accès aux choses elles-mêmes, ou du moins les représentant parfaitement, est réalisable. En effet, la physique n’a pas vocation à dévoiler la réalité intime de l’univers.
La raison s’actualisant et se dévoilant dans l’univers est ce qu’appelle Einstein l’idée de Dieu. Cependant sa relation avec la religion juive et avec Dieu lui-même évolue avec le temps, en témoigne sa lettre de 1954 (par conséquent un an avant sa mort) envoyé au philosophe Eric Gutkind. « Le mot Dieu n’est pour moi rien d’autre que l’expression et le produit des faiblesses humaines, et la Bible un recueil de légendes vénérables mais malgré tout assez primitives », écrit-il notamment. Alors même que dans les années 1930 Einstein avait des discours sionistes, certes modérés, son positionnement se transforme : il assume de dire que le peuple juif est un peuple comme un autre et qu’il n’est pas plus élu qu’un autre. Cela signifie que son sionisme est en réalité une réaction pure et dure de l’antisémitisme et du nazisme des années 1930.
Dieu désigne pour Einstein une certaine logique de l’univers ; cela signifie qu’il refuse le Dieu des monothéismes. Cependant cela ne veut pas dire qu’il soit athée. Finalement, et même lui l’avait remarqué, sa conception de Dieu se rapproche fortement de celle de Spinoza. Dieu est celui qui se révèle dans l’harmonie de tout ce qui existe mais il ne s’occupe pas des affaires des êtres humains.
En outre, il défend le fait qu’il y ait une religiosité scientifique, réconciliant ainsi deux domaines que l’on a tendance – surtout à notre époque – à dissocier. Cette religiosité consiste à s’extasier devant l’harmonie des lois de la nature (tout en essayant de les déchiffrer) afin qu’elles nous révèlent notre impuissance et notre néant. Cependant, il pointe du doigt le fait que la science n’est pas un socle afin de bâtir une société humaine et morale. Ce qui peut favoriser ce type de société est davantage l’art et la compréhension ainsi que « le partage des joies et des souffrances ». Einstein avait par conséquent conscience de faire partie de l’humanité et de contribuer à son avancée.
Dès lors, il n’a pas hésité à sacrifier son temps pour sa communauté : « la plus grande joie pour un ami des hommes réside là : au prix de terribles sacrifices, une entreprise collective s’organise avec pour unique objectif le développement de la vie et de la civilisation [5]».
[1] Albert Einstein, Comment je vois le monde, Champ Flammarion, 2009
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
Jean
Vous aimerez aussi :