A la base de la pensée chinoise : le Tao Te Ching
Aquarelle traditionnelle chinoise, vers 1300, Unsplash
Si l’éducation aujourd’hui nous met principalement en avant les idées et les penseurs occidentaux, nous ne devons pas oublier que d’autres ont existé partout ailleurs dans le monde, et ont forgé là où ils étaient de très forts courants n’ayant rien à envier à ceux européens.
Aujourd’hui je vous propose de vous pencher sur un penseur plutôt méconnu, mais absolument central dans la manière de penser chinoise : j’ai nommé Lao Tseu et son ouvrage, le Tao Te Ching.
De quoi parle-t-on ?
Le Tao Te Ching est un ouvrage qui remonte au minimum au début du IIIème siècle av. J-C, mais que certains datent aux alentours du VIème av. J-C. Dans la tradition chinoise, il est dit que Lao Tseu, son auteur, fut contemporain du grand Confucius, lui faisant même la leçon.
Ce livre en 81 chapitres sous forme de vers est divisé en 3 livres, le Tao, la “Voie à suivre”, le Te, “la vertue, la qualité, le bien”, et enfin le Ching, “classique”. Il s’agit donc du “Classique sur la Voie et la Vertu”. Il s’agit du texte fondateur du Taoïsme, un courant très important en Chine depuis plus de deux millénaires, et a grandement influencé le Confucianisme et le Bouddhisme de par sa simplicité et son ancienneté.
Lao Tseu ?
La plupart des informations que l’on connaît sur ce personnage proviennent de l’historien Sima Qian (début du Ier siècle av. J-C), au minimum postérieur aux événements de deux siècles.
Tout d’abord, Lao Tseu est un titre chinois signifiant “Le Vieux Maître", son vrai nom ayant selon toute vraisemblance été Li Er Tan, archiviste pour le compte de la dynastie Chou. Dans sa biographie, Sima Qian rapporte deux évènements plus ou moins mythiques :
. Premièrement, il raconte la rencontre entre Lao Tseu et le jeune Confucius, venu voir le vieux maître pour obtenir son savoir. Lao Tseu lui aurait répondu : “Certains disent qu’un marchand sage cache sa fortune et passe pour pauvre. Le sage fait pareil : s’il a une grande vertu intérieure, il semble extérieurement idiot. Arrête d’être arrogant avec tes questions, ta suffisance et tes obsessions. Aucune n’est le vrai toi.”.
. Le second récit est celui du départ du penseur vers l’Ouest (dans la pensée chinoise, l’Ouest est le territoire de la vie après la mort”. Arrivé à la frontière de cette région, le gardien lui demande de noter tout ce qu’il sait sur le Tao. En une nuit, Lao Tseu écrit un livre, et le lui remet en disant : “Ce livre n’est pas différent des autres livres, car c’est un objet tout aussi inanimé. Cependant, tu peux lui donner vie si tu mets en pratique ce qu’il renferme”.
La question qui se pose aujourd’hui est celle de l’existence ou non de ce personnage. Le texte du Tao Te Ching ressemble plus à une anthologie de maximes compilées dans le temps. Mais la grande uniformité de celles-ci suggère une base de pensée commune plus ancienne. Difficile de trancher.
Les thèmes principaux du Tao Te Ching
Le Tao
Le terme de Tao fait passer l’idée d’une Voie spirituelle, mais les premiers vers de l'œuvre lui donnent un caractère énigmatique, presque cryptique, une chose insaisissable, éternelle. Il s’agit d’une Voie de connaissance de la réalité, un chemin infini inatteignable pour l’esprit humain, dans lequel nous baignons tous. Ce Tao est ce qui nous pousse à savoir, à chercher à découvrir : “Plus on cherche le savoir, moins on le comprendra”. Il s’agit donc d’un concept paradoxal, qui appelle à ‘apprendre en désapprenant, et ainsi être capable de comprendre toutes les choses”, dans une ligne de pensée qui nous font immédiatement penser au maître Socrate.
Le Sage
Le Sage chez Lao Tseu est celui qui a su se défaire de tous les concepts et de tous les savoirs et qui est capable de tout connaître grâce au Tao. Le Sage devient un être sans désirs propres, sans identité qui s’oppose au savoir. Il finit par ne faire qu’un avec cet étrange Tao.
Au final, le Sage est celui qui guide sans agir, qui n’utilise pas la force, qui n’entre pas en compétition, qui ne lutte pas.
La Politique
Selon Sima Qian, Lao Tseu finit par quitter la Chine à cause du déclin moral du royaume, préférant partir plutôt que d’assister à l’échec des gouvernements.
La datation actuellement admise du livre le place en plein dans la période dite des “Royaumes Combattants” (480-222 av. J-C), une époque de chaos où la Chine était divisée entre de très nombreux seigneurs de guerre luttant sans arrêt pour la domination. Ce chaos correspond avec les conseils politiques donnés dans le Tao Te Ching.
“Les meilleurs souverains sont ceux dont le peuple connaît à peine l’existence”, “les serviteurs de leur peuple” car “seul celui qui est le serviteur le plus humble est digne”. Le bon gouvernement est celui qui n'interfère pas :
“Gouverner un pays,
c’est comme frire un petit poisson.
Trop le remuer gâche sa chair”
La simplicité
Le grand âge de ce livre ne l'empêche pas d’être toujours particulièrement lucide sur la nature humaine, les conflits, les quêtes de pouvoir et d’honneurs” :
“S’attacher à la simplicité.
Passer après les autres.
Avoir peu de désirs”
Le Tao Te Ching est une œuvre absolument méconnue en Europe et hors de Chine en général, mais sa lecture est une quasi-nécessité, tant claire et lucide les maximes sont. Même après si longtemps, nous y retrouvons des idées et des concepts applicables et qui éclairent sur notre monde et sur nous-mêmes.
Nicolas Graingeot
