ZME : gouvernée par des règles ou des institutions?
Cette question de la gouvernance de la zone euro est particulièrement ancrée dans l’actualité avec les débats autour de la mise en place du plan de relance européen pour faire face à la crise de la COVID-19.
La zone euro est une zone monétaire actuellement composée de 19 États membres et est créée en 1999 avec l’introduction de l’Euro comme monnaie virtuelle commune prévue par le traité de Maastricht. Outre certains critères économiques précis, l’adhésion à la zone euro est conditionnée par l’appartenance à l’Union européenne et constitue un objectif à long terme pour 26 États membres (le Danemark disposant d’une clause de non adhésion spécifique). La question de sa gouvernance par des règles s’explique par la présence de critères économiques relativement strictes qui conditionnent l’adhésion et le maintien dans l’Eurosystème. Elle renvoie également à l’ensemble des traités mais également des règles tacites qui forment la dynamique de la zone et de la coordination entre des membres. L’idée d’une importance moindre des Institutions européennes dans cette gouvernance peut être portée par la soumission de ces dernières, et notamment de la Banque centrale européenne, aux règles précédentes et aux tendances économiques internationales. Mais cette idée se doit d’être nuancée, car le rôle des institutions de la zone euro est souvent mal délimité et ne peut pas se cantonner un simple rapport de soumission à des règles. Enfin, la notion de gouvernance renvoie au rôle majeur des États dans le processus décisionnel de l’UE et a fortiori de la zone euro. Ce dernier mérite d’être confronté au respect des règles et au fonctionnement des institutions gouvernant la zone euro.
Ainsi, dans quelle mesure la gouvernance de la zone euro est-elle soumise davantage à l’influence des règles respectées par les États membres qu’à l’autorité des Institutions européennes ?
Si ces règles sont sans conteste des guides pour le bon fonctionnement de la zone euro, le rôle des Institutions européennes ne doit pas être négligé et permet une forte continuité. Donc cette question de la gouvernance nécessite de s’interroger sur la façon dont les États participent à la direction de la zone monétaire européenne.
La gouvernance de la zone euro est soumise à un ensemble de règles officielles et tacites qui constitue le fil rouge de la politique monétaire commune. Ces règles accompagnent l’Eurosystème depuis ses débuts et assurent son avenir.
Dans un premier temps, cet ensemble de règles fonde la zone euro dès ses débuts. Tout comme la construction européenne dans sa généralité, la zone euro doit trouver à ses débuts des objectifs et des finalités. Ainsi, en 1992, lors du Traité de Maastricht, l’article 25 du texte dispose qu’une Union économique et monétaire doit assurer une politique économique et monétaire commune, notamment via l’établissement d’une zone monétaire dotée d’une monnaie unique. Avec la mise en circulation de l’Euro comme monnaie virtuelle en 1999, puis comme monnaie liquide en 2002, l’Eurosystème devient l’étape suivant l’intégration à l’Union économique et monétaire et obligatoire à long terme pour se maintenir dans le Mécanisme de change européen. Ces règles s’inscrivent donc comme des conditions pour les États.
Dans un second temps, ces règles sont des critères nécessaires pour prétendre à l’adhésion à la zone euro. Même s’ils ne sont pas les seules, les règles économiques restent les conditions en théorie les plus contraignantes pour un pays européen d’accéder à l’Eurosystème. Ce sont les « critères de convergences » qui guident les États membres et les prétendants vers la stabilité et la croissance économique. Le traité de Maastricht requiert donc pour chaque nouvel adhérent une inflation basse, un taux d’intérêt peu élevé, un déficit gouvernemental inférieur à 3% du PIB, un endettement gouvernemental inférieur à 60% du PIB et enfin un taux de change relativement stable. Ces critères de convergences doivent être respectés lors de l’adhésion, et sont censées en théorie être respectés pour se maintenir dans la zone euro. Ils régissent donc les grandes directions économiques nationales et doivent être constamment observés. Ces critères sont considérés comme nécessaire pour la continuité de l’Eurosystème.
Ainsi, les règles monétaires et économiques sont indispensables pour assurer la pérennité de de la zone euro. Cette idée s’appuie sur le fait que la viabilité d’une zone monétaire dépend de la réunion de grandes conditions. Les règles de la zone euro peuvent être ainsi reliée au triangle d’incompatibilité d’une zone monétaire optimale, concept développé par l’économiste Robert Mundell en 1990. Ce « trilemma » impose de réunir à la fois la mobilité des capitaux, un taux de fixe et une politique monétaire souveraine afin d’aboutir à une zone monétaire optimale. Cet aboutissement qui constitue un des plus grands objectifs de l’Union européenne, nécessite pour cela de parvenir à une plus grande intégration économique. La logique de l’intégration constitue ainsi une règle directrice de la zone euro, dans le but d’améliorer la coordination des politiques nationales via le respect des règles communes et des objectifs généraux de l’Eurosystème, à savoir une stabilité des prix et une croissance économique forte.
Mais les règles sont souvent sujettes à des violations et des réajustements, et malgré leur caractère indispensable et dominant, nécessitent le cadre des structures institutionnelles de la zone euro.
La gouvernance de la zone euro est maintenue dans la pratique par la présence et les actions des Institutions européennes. Au centre de l’Union européenne, la place des institutions et ici celle de la Banque centrale européenne est déterminante pour la viabilité.
D’une part, les Institutions européennes forment le cadre pratique et juridique de la zone euro. Elles sont en effet nécessaires au bon fonctionnement de l’Eurosystème qui se base sur une coopération étroite du système bancaire. Ainsi, ce dernier met en relation la Banque centrale européenne avec les Banques centrales nationales qui, comme dans tout système monétaire, gèrent les banques commerciales. L’Eurosystème devient alors un gage de stabilité et de solidité dans les relations entre banques de la zone euro, puisqu’elle propose une institution « suprême » pour fixer le taux de change et coordonner les politiques monétaires nationales. La Banque centrale européenne est le vecteur de l’intégration institutionnelle voire politique des marchés nationaux et facilitent les transferts financiers. Cette institution gagne également une grande crédibilité par sa liberté d’action élevée.
D’autre part, la gouvernance assurée par la Banque centrale européenne est garantie par son indépendance. Toutes les Institutions européennes disposent plus ou moins d’une grande liberté d’action, mais la Banque centrale européenne peut être considérée comme l’une des plus indépendantes. Dans sa structure et ses prérogatives, elle se détache de l’influence des États, puisque les membres du Directoire, organe contrôlant la mise en œuvre des politiques monétaires, occupent leur poste pour un mandat de huit ans. Par ailleurs, cette institution est la seule disposant de son propre budget, afin de mener son fonctionnement en toute impartialité. Mais cette indépendance est en particulier garantie par le fait que sa Charte de création (1998) ne peut être modifiée que par une révision du Traité de Maastricht, et non pas par une simple Procédure de loi ordinaire. La simple législation n’est donc pas suffisante pour réorganiser ou donner de nouveaux objectifs à la Banque centrale européenne. Si cela peut renvoyer à une certaine forme d’inertie, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un gage de stabilité. Cette indépendance constitue alors un moyen de s’affirmer dans la gouvernance de la zone euro.
Ainsi, les Institutions européennes peuvent être considérées comme des piliers inébranlables de la gouvernance de la zone euro. Les évènements et les différents élargissements qui ont suivis la fondation de l’Union européenne ont montré combien il était de difficile de faire appliquer les règles d’adhésion et de maintien dans la zone euro, comme le montre le cas assez surprenant de la Grèce. Toutefois, malgré les violations des règles et les difficultés à les respecter une fois l’entrée dans l’Eurosystème, le fonctionnement des institutions comme la Banque centrale européenne n’a que peu changé et reste voué à maintenir la solidité de la zone euro. La nomination de Christine Lagarde en 2019, ancienne Directrice générale du Fonds monétaire international, n’est pas étonnant. Cela caractérise une recherche constante de la rigueur et du maintien de stabilité recherchée par la Banque centrale européenne.
Alors, cette question de la gouvernance, portée à la fois par des règles et des institutions, peut soulever l’interrogation suivante : comment les États interviennent-ils dans ce processus ?
Donc, la question de la gouvernance par des règles et des institutions renvoie au rôle des États qui définissent leur efficacité et leur champ d’action. L’intergouvernementalisme est la forme de coopération dominante dans l’Union européenne, et dans un domaine aussi sensible que l’économie, il semble logique que leur présence soit conséquente.
Cela se caractérise tout d’abord par l’idée simple mais cruciale que pour que les règles soient efficaces, les États doivent les respecter. Les règles régissent ainsi la zone euro en fonction de la possibilité ou de la volonté des États membres à les suivre. Il n’est pas question ici de montrer comment les règles contraignent voire sanctionnent les États, mais de montrer que les critères d’adhésion, qui sont également des critères théoriques de maintien, ne sont pas toujours respectés dans leur intégralité. Si le cas de la Grèce est de loin le plus connu quant à son entrée plus que discutable dans la zone euro, il est clair que des États « fondateurs » comme la France ou l’Italie ne remplissent plus toujours les critères d’endettement. Si cela conduit à aggraver les conséquences de la crise économique en 2007, il n’en reste pas moins que les règles continuent d’être interprétées en fonction des circonstances. Ainsi, les États jouissent d’une plus grande flexibilité, et des règles et traités devant être à l’origine stricts sont alors considérées comme laxistes, ce jette un voile de discrédit sur les Institutions européennes.
En effet, le fonctionnement des Institutions européennes, visant à faire respecter les règles, reste profondément lié aux positions des pays européens. Les États membres n’ont en effet pas délégué toutes leurs prérogatives économiques à la Banque centrale européenne. Ainsi, outre la politique fiscale et la politique budgétaire nationale, les États restent ancrés dans le processus des politiques monétaires par le biais des banques centrales nationales. La zone euro ne dispose pas en effet d’une politique budgétaire commune ce qui freine considérablement les possibilités de coordination. Cela est flagrant en cas de crise, car les politiques monétaires ne sont pas suffisantes et nécessitent l’appui d’une coordination budgétaire. Les réajustements et les répartitions de la crise de la Covid-19 sont sujettes à de nombreux débats et donnent naissance à des divergences, notamment dans le couple franco-allemand. L’exemple du coronavirus montre toutefois le fort lien qui permet une réponse commune en cas de crise.
Il s’avère que la zone euro, avec ses règles et ses institutions et malgré la prédominance des États, restent le seul exemple d’un tel niveau de coordination supranational. Cela s’explique car l’Eurosystème est la seule zone monétaire internationale aussi intégrée et aussi efficace alors qu’elle ne dispose pas d’un gouvernement fédéral ou en tout cas commun. Si la crise de 2007 soulève une certaine vulnérabilité de l’Euro au niveau international, il est néanmoins incontestable qu’une certaine solidarité et une coopération accrue entérinée par un nouveau traité TSCG se sont imposées. De surcroît, cette gouvernance de la zone euro par des principes communs et partagés sont des moyens d’aboutir à une intégration plus forte dans de nombreux autres domaines (phénomène du spill over), comme en témoigne l’intégration de la réflexion sur l’État de droit dans le plan de relance NextGenerationEU de 2020.
Pour conclure, si les règles apparaissent comme étant les principales sources de gouvernance de la zone euro, c’est bien parce que les Institutions européennes parviennent à fixer les objectifs et à s’adapter malgré les circonstances. Les États, qui sont au centre de cette gouvernance, doivent aussi s’inscrire dans cet ensemble parfois « bricolé ».
Ainsi, même si la zone monétaire issue de l’UEM n’est pas optimale et reste bien souvent le fruit d’interprétations et de réajustements par les institutions et les États, elle est un aspect essentiel de l’UE. Et cette idée de gouvernance commune et questionne sur les possibilités qu’offrent les crises économiques, et surtout les « solutions apportées à ces crises » comme le prophétise Jean Monnet.
Pierre Jouin