Vers un nouveau paradigme économique ? (1/4)

- Introduction et initiation à la pensée d'un nouveau paradigme économique -


 
Ligne de crédit : Unsplash

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De la fin d'une dichotomie de «la philosophie de l'action».

 

« La philosophie triomphe aisément de maux passés et des maux à venir, mais les maux présents triomphent d'elle. » Telle est la vingt-deuxième maxime des réflexions morales de La Rochefoucauld. Telle est la considération dominatrice portée sur la philosophie. Telle est la barricade derrière laquelle nombre de philosophes se sont cachés, hissant le drapeau blanc de l'incapacité. Tel est le voile dont d'autres se sont servis afin de la décrédibiliser. Telle est la pensée à combattre. Il est effectivement commun d'admettre que l'activité philosophique nécessite un recul face aux choses, un désengagement. Sans doute cette affirmation est-elle la cause de son incapacité à répondre des « maux présents ». Si l'activité philosophique puise son essence dans la réflexion, celle-ci doit cependant se tenter à sortir de sa zone de confort, à déceler un sens, à abattre les barricades pour se réengager dans le présent sous l'étendard d'un intellectualisme de l'action. Ces considérations dès lors posées, nous pouvons ainsi attaquer la question contemporaine par excellence qu'est celle de l'homme et de la gestion de son environnement en tant que nous admettrons comme environnement l'ensemble des composants naturels de la planète Terre et des phénomènes et interactions qui s'y déploient. L'environnement se trouvant être l'habitacle de l'Homme, il est alors pertinent de s'interroger sur « la gestion de la maison et de ses habitants », autrement dit, de s'intéresser à l'oikonomia. Nulle gestion de la maison n'est possible en tant que simple spectateur. La gestion implique l'intervention, l'acte volontaire. De plus, l'oikonomia, tout comme la philosophie exerce une activité réflexive : l'Homme agit sur son milieu tout en le modifiant et étant modifié par lui. Ainsi, la « gestion de la maison et de ses habitants » nous met face aux conséquences de nos actes, réfléchie nos choix en tant qu'humains dotés de conscience, car citons Sartre : « Le propre de la réalité humaine, c'est qu'elle est sans excuse ».

 

De la prééminence d'un changement de paradigme économique. 

 

La gestion de la maison a été négligée. De fait, un tiers des sols de la planète est dégradé, plus de cinquante pourcents des forêts et zones humides terrestres ont été meurtries en un siècle, la biodiversité diminue de cent à mille fois plus rapidement que le taux naturel d'extinction. Un demi-siècle a suffit à l'anthropisation mortifère qui eut raison de la transformation planétaire la plus rapide et conséquente de l'histoire de l'humanité. Si ces quelques chiffres sont plus qu'alarmants, ils ne sont qu'une brève description de notre déchéance noyée dans des milliers de chiffres plus terrifiants les uns que les autres. Le vivant est ainsi placé sous le joug de la sixième grande extinction massive connue par la planète, et par réflexion, l'Homme se trouve directement menacé. Ainsi, en 2014, le Centre international de recherche sur le cancer jugeait que le nombre de victimes devrait s'accroître de 70% dans les 20 prochaines années. La gestion de la maison a été déséquilibrée par le déséquilibrage du pouvoir attribué à ses intendants eux-même, par un coup d’États au coût universel, générant des externalités négatives sur l'ensemble de l'environnement et de ses habitants. En effet, d'après une étude menée en 2007, sur 30 millions d'acteurs économiques recensés par l'OCDE, 43000 seraient des multinationales. 737 auraient développé une configuration actionnariale les laissant imposer leurs décisions aux 42000 autres, détenant, de fait, 80% du chiffre d'affaire généré par les multinationales, et parmi elles 147 mastodontes en détenant 40%, majoritairement issus des sphères financières. Dernier élément de cette inégale répartition de la gestion, soixante-quatre individus détiendraient autant de richesses que 50% de la population mondiale. Rappelons toutefois que le phénomène était prévisible. En effet, lors de la crise morale, politique et sociale d'Athènes ayant eu lieu en 411 avant notre ère, voyant l'expansion des échanges et l'usage de la monnaie creuser les inégalités, menant à des conflits d'intérêts et brisant la cohésion de la cité, Platon et Aristote se tentent à moraliser le commerce, la propriété et l'argent. Ainsi, Platon écrit dans La République « La vertu et le désir des richesses sont les deux plateaux opposés d'une même balance », encourageant, de fait, les hommes à préférer la sagesse et la justice à l'avidité matérielle pervertissant la cité et menant à sa perte. Si Aristote distingue une première économie qui se veut ''bonne'' par l'acquisition et l'utilisation des richesses en vue de satisfaire nos stricts besoins naturels, la seconde, dite chrématistique, est décrite comme ''mauvaise'' car cherchant le simple profit monétaire dans la démesure, livrant ainsi les hommes aux passions mauvaises, source des maux menaçant de réduire à néant la cité. En effet, pour Aristote, il faut interdire les prêts d'argent avec intérêts, se limiter aux dépenses essentielles et redistribuer les richesses pour lutter contre les inégalités. Or, nous n'avons su tenir compte de ces considérations millénaires. De nos jours, seuls 3 à 5% des flux monétaires traversant les sphères financières sont réemployées dans l'économie réelle : 95 à 97% des échanges ne sont que spéculatifs. De plus, pour Aristote, le citoyen libre doit tout d'abord s'investir dans la connaissance et les fonctions publiques, or, la majorité de la population des actifs se trouve ancrée dans un prolétariat aliéné et exclu de la connaissance. Mais la lecture du Capital de Marx nous laisse un espoir. Selon ses pensées, mais également selon nombre d'économistes actuels, le capitalisme ne serait qu'une phase transitoire, ne pouvant durer indéfiniment. « A mesure que l'humanité se rend maître de la nature, l'homme semble devenir esclave de ses semblables ou de sa propre infamie », or, l'Homme (et plus précisément dans le cas de Marx, le prolétariat) est amené à se libérer de la réflexivité de son asservissement. Suite à l'ensemble des éléments jusque là cités, nous pouvons admettre l'affirmation suivante : Le futur sera nouveau paradigme économique ou ne sera pas . Mais alors, quelle économie succédera au capitalisme ? Quelle économie sera capable de répondre aux besoins d'une démographie croissante confrontant des ressources décroissantes ? Les hommes, intendants de la Terre, seront-ils capable de gérer et régénérer une maison déjà en grande partie détruite par leur faute ? Grand nombre d'intellectuels prônent une défaite jouée d'avance, se réfugiant dans la fatalité à grands coups de « trop tard » et de « bien fait ». Toutefois, une poignée de résistants cherchent encore une solution dans ce qui sera sans doute la quête la plus importante de l'Homme : sauver le monde d'une destruction imminente. Isabelle Delannoy fait sans nul doute partie de ces résistants. Peut-être même est-elle en première ligne de ce combat. En effet, dans L’Économie Symbiotique : Régénérer la planète, l'économie et la société, celle-ci se porte garante d'une économie qui ne jouerait pas contre la nature, mais avec elle, en vue de « l'amener, pour pasticher Aristote, à faire elle-même ce qu'elle ne ferait pas spontanément ». Plus encore, celle-ci serait la voie d'une nouvelle prospérité où « la main de l'homme peut faire croître le vivant lorsqu'elle en respecte les équilibres et sait en reconnaître les intelligences propres », la richesse naissant selon elle de la coopération et non de la compétition. L’Économie symbiotique, définie par I.Delannoy comme « une économie régénératrice de ses ressources où plus l'homme produit selon ses principes dans le vivant, la technologie et la sphère sociale, plus il est capable de régénérer ses ressources et d'arriver probablement à un point non seulement où il devient cocréateur des équilibres planétaires au lieu d'en être le fossoyeur, mais où il parvient également à créer plus de ressources qu'il n'en consomme », s'inscrit alors à première vue comme une utopie proche du mysticisme à laquelle l'on donne peu de crédit. Toutefois, par l'accumulation des preuves établies par sa practice theory, nous sommes contraints de constater que les moyens sont pourtant devant nous : agroécologie, permaculture, ingénierie écologique, fabrication de biens modulaires, etc. : là ne sont que quelques exemples des moyens mis en évidence par I.Delannoy en vue de l'instauration d'un nouveau paradigme économique instaurant une économie régénératrice et symbiotique. C'est sur son analyse que nous porterons alors l'ensemble des quatre articles relatifs à l'étude de cette lueur d'espoir, porte de sortie de notre décadence, que révèle la possibilité, mais surtout la nécessité d'un changement de
paradigme économique.


Yoann Stimpfling