Les transhumanismes : symptômes, critiques philosophiques et « économie de promesses »


 
image.jpg

Crédits : Unsplash (Piotr Bene)


Le transhumanisme suscite énormément de débats depuis la fin du XXème siècle, en particulier dans le domaine éthique. La science moderne, voulant améliorer l’humain, ne se soucie pas ou peu des conséquences de leurs recherches et cela provoque inévitablement de longues discussions.

Tout d’abord il est important de savoir de quoi on parle. Il n’existe pas un transhumanisme mais des transhumanismes. De nos jours, on en répertorie quatre : l’extropianiste, qui se définit par la pensée selon laquelle par la science et la technique la croissance est maintenue défiant l’entropie, c’est-à-dire le devenir poussière de toute chose ; l’hédoniste, regroupant les techniques qui suppriment les souffrances ; le post-genre, qui tend vers une élimination du genre ; et enfin le singulier, qui a pour projet de créer une intelligence supérieure. Finalement, les transhumanismes se définissent par l’utilisation des sciences et des technologies pour améliorer les caractéristiques physiques et mentales de l’être humain. Les transhumanistes pensent que l’être humain actuel est dans une phase intermédiaire de son développement et certains affirment même que la vie immortelle est proche. Ils placent le progrès scientifique et technologique au service du progrès humain, le but étant de résister aux maladies, de contrôler les humeurs et les états mentaux, de ne plus ressentir la fatigue, d’être dans une éternelle jeunesse et d’enterrer la mort.

Ce mouvement de pensée s’inscrit dans le dynamisme d’une société faite d’individus craignant la vieillesse. Pourtant la crainte du grand âge ne provient pas d’un culte de la jeunesse mais d’un culte du moi, comme le souligne Christopher Lasch dans La Culture du narcissisme. Par son indifférence narcissique à l’égard des générations futures et par sa vision d’une utopie technologique sans vieillesse, le mouvement pour la prolongation de la vie est un bon exemple du fantasme de « pouvoir absolu et sadique [1]» qui imprègne la vision du monde du culte du moi. L’inspiration et les origines psychologiques de ce mouvement sont pathologiques comme est superstitieuse sa foi dans le salut par la médecine. Les penseurs transhumanistes et ceux qui sont favorables au développement de cette science ont par conséquent une estime d’eux-mêmes disproportionnée, pensant que leur vie vaut la peine de durer plus longtemps, voire indéfiniment. « A cette belle conscience de vous-mêmes, vous souhaitez donc une éternelle durée ? N’est-ce pas de l’effronterie ? Ne songez-vous donc pas à toutes les autres choses qui devraient alors vous supporter pour toute l’éternité comme elles vous ont supportés jusqu’ici, avec une patience plus que chrétienne ? (...) Un seul homme immortel sur terre suffirait déjà pour plonger tout ce qui l’entourerait encore dans une rage universelle de suicide et de pendaison, par le dégoût qu’il inspirerait ! [2]». Le développement de ce mouvement est le signe d’un orgueil et d’un culte du moi. Le transhumanisme apparaît comme l’aboutissement de l’individualisme au détriment des sociétés futures. On peut cependant imaginer un transhumanisme solidaire, c’est-à-dire prenant en compte le bien-être et un prolongement de la vie au niveau collectif. Mais le transhumanisme pose des problèmes d’ordre social et économique dans la mesure où tous les individus ne pourront pas se permettre de dépenser une fortune pour dépasser leur condition initiale.

 

Le développement de ces techniques a des conséquences sociales indéniables mais aussi des conséquences philosophiques. En effet, les transhumanismes remettent en cause la définition même de la vie et sa valeur. Certains ne sont pas favorables au transhumanisme dans la mesure où c’est la brièveté et l’intensité de la vie qui lui donne sa valeur. Il faut néanmoins aller plus loin pour légitimer une telle prise de position et mettre en lumière ce qui véritablement est gênant, embarrassant, dans le projet transhumaniste. Car vouloir repousser excessivement la mort ou carrément la supprimer, c’est finalement tirer à bout portant sur la vie dans la mesure où la vie est un mouvement qui suppose la destruction des organismes pour son renouvellement. La naissance d’une nouvelle vie est une promesse de renouveau, comme le pensait Hannah Arendt. Chaque nouvelle génération offre au monde une nouvelle vie, vie indispensable pour refaçonner nos sociétés et nos représentations.

De plus, vis-à-vis du transhumanisme hédoniste, vouloir abolir les souffrances c’est aussi vouloir abolir le bien-être dans le sens où nous ne ressentons le bonheur que par comparaison avec un malheur passé ; et vouloir abolir les souffrances présentes c’est vouloir oublier le bien-être passé, comme le fait remarquer Edgar Allan Poe dans sa nouvelle « Bérénice » : « Mais, comme, en éthique, le mal est la conséquence du bien, de même, dans la réalité, c’est de la joie qu’est né le chagrin ; soit que le souvenir du bonheur passé fasse l’angoisse d’aujourd’hui, soit que les agonies qui sont tirent leur origine des extases qui peuvent avoir été. [3]» Finalement, vivre c’est avoir le courage de souffrir, cette souffrance n’étant pas une autoflagellation mais étant une partie de notre condition. Avoir le courage de souffrir est un acte de la volonté qui permet à l’être de dépasser sa souffrance par la joie. Vouloir supprimer la souffrance, c’est par conséquent supprimer aussi la joie qui permet de la surmonter : « Sans elles [les souffrances], peut-être trouverions-nous fade le repas de la vie : et sans bonne volonté à souffrir nous devrions laisser échapper beaucoup trop de joies ! [4]».

Ce qui est frappant dans le cours de nos sociétés, c’est que les individus semblent plus intéressés à prolonger leur vie qu’à avoir une meilleure qualité de vie. Nous sommes coincés dans la pensée quantitative au détriment de la pensée qualitative. Nous considérons la vie comme une quantité qu’il faudrait étirer à l’infini alors même que nous pourrions l’améliorer en qualité, non pas en étant en bonne santé continuellement, la santé étant un bien, mais en acceptant et en affirmant la vie dans toutes ses dimensions, la vie étant une valeur. La technique nous éloigne des qualités sensibles du monde mais il n’est jamais trop tard pour ressaisir notre présence au réel et s’inscrire dans le vécu. Au lieu de croire à un possible avenir sans mort, il faudrait plutôt ne pas oublier que nous avons une vie avant la mort, que cette vie n’a de valeur que par les transformations incessantes des formes qui la constituent et que la destruction prochaine des organismes est une promesse de renouveau. En définitive, le transhumanisme considère la mort et la souffrance comme des problèmes alors que ce sont des solutions.

 

Bien que les progrès technologiques progressent, les prédictions ne sont pas à la hauteur de l’efficacité des sciences actuelles, créant ainsi une « économie de promesses » comme le soulignent les chercheurs au CNRS Jean Mariani et Danièle Tritsch en 2018 [5]. En effet, derrière toutes ces recherches transhumanistes se cachent de grands intérêts économiques, notamment pour les banques, les multinationales et les politiques en général. Les Occidentaux pensent néanmoins que la recherche transhumaniste est légitime, en témoigne le sondage effectué par SwissLife en novembre 2016 où sur un échantillon de 1011 Français et Françaises, 76% considèrent que le transhumanisme est une très bonne chose ou plutôt une bonne chose [6].

Pour l’instant, toutes les prédictions transhumanistes se sont révélées fausses. Malgré les avancées scientifiques vis-à-vis de la connaissance du cerveau humain, elles restent superficielles pour permettre de l’augmenter technologiquement. Cette connaissance superficielle est due à la complexité du cerveau et aussi à son caractère unique dans la mesure où chaque humain a un cerveau particulier. De plus, la course à l’IA (l’intelligence artificielle) est déclarée entre les pays développés cependant l’intelligence qui y ait recherché ne peut pas être comparée à l’intelligence humaine. La machine mime seulement des comportements intelligents, et ne peut pas mimer tous les comportements. La définition de l’intelligence des transhumanistes est assez fausse dans la mesure où ils la définissent comme étant linéaire alors que l’intelligence humaine est pluridimensionnelle : l’intelligence artificielle ne dépassera jamais l’intelligence humaine dans le sens où ce sont deux intelligences différentes dans leur fonctionnement même.

 

Pour conclure, il y a donc un fossé entre les promesses transhumanistes et les réelles avancées de la science actuelle. Il n’est pas ici question de rejeter complètement les pensées transhumanistes ni de refuser catégoriquement les recherches dans ce projet, mais de mettre en garde contre certaines promesses, d’engager une réflexion éthique, philosophique, et de réfléchir aux multiples conséquences de ce mouvement.

 

(1) Christopher Lasch, La Culture du narcissisme, Flammarion Champs essais, 2018

(2) Nietzsche, Aurore, Gallimard, 1980

(3) Edgar Allan Poe, Nouvelles histoires extraordinaires, Librairie générale Française, 1972

(4) Nietzsche, Aurore, Gallimard, 1980

(5) https://lejournal.cnrs.fr/billets/transhumanisme-de-lillusion-a-limposture

(6) https://iatranshumanisme.files.wordpress.com/2016/11/etude_complete_opinionway_pour_swisslife_l_assurance_et_l_allongement_de_la_duree_de_la_vie_novembre_2016.pdf


Jean