Réseaux sociaux: “Influenceurs” de nos
comportements?
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Selon une étude menée par Hootsuite, les français passeraient en moyenne 1h42 de leur temps journalier sur les réseaux sociaux; le confinement ayant, on s'en doute, démultiplié ce chiffre. Mais pourquoi sommes-nous alors si accros aux réseaux ? Le fait est que ces applications sont le fruit d'un travail de recherche plus que conséquent par lequel les propriétaires de ces dernières ont pour objectif de maintenir les utilisateurs sur leurs plateformes le plus longtemps possible - objectif atteint à travers la sécrétion de dopamine. La dopamine, aussi appelée « molécule du plaisir », est un neurotransmetteur influençant directement les comportements, qui, selon le CNRS, est impliquée dans « le contrôle moteur, l'attention, le plaisir et la motivation, le sommeil, la mémoire et la cognition ». Mais comment les géants des réseaux sociaux arrivent-ils à sécréter cette « molécule du plaisir » ?
Les stratagèmes mis en place sont divers, mais sont tous basés sur des études comportementales complexes dont nous tenterons par cet article de donner quelques clés.
L'anxiété, pathologie de l'immédiateté des informations
Facebook, Instagram et Twitter ont cette caractéristique particulière d'activer le mécanisme du cerveau qu'est l'anxiété. En effet, ces trois réseaux sociaux jouent sur notre crainte perpétuelle de rater quelque chose du monde online qui est censé nous divulguer les caractéristiques du monde extérieur. Ce mécanisme d'anxiété est d'autant plus stimulé à travers le syndrome que l'on nomme « fomo » (fear of missing out) désignant la crainte constante de manquer une nouvelle information que d'autres auraient pourtant en leur possession, leur offrant des expériences enrichissantes dont nous serions exclus, nous poussant, de fait, à réactualiser constamment notre fil d'actualité. Une des caractéristiques qui amplifient ce phénomène de « fomo » est alors l'accès instantané aux informations que permettent les réseaux sociaux. De fait, nous pourrions lire le journal et nous renseigner amplement sur un sujet, mais la quête constante de nouvelles informations nous pousse au scroll convulsif voué à l'accaparement d'informations partielles. Ainsi, ce phénomène a été théorisé par le théoricien de la finance comportementale Richard Thaler sous le principe d' « escompte hyperbolique » suggérant le fait que la récompense, dans le cas ici présent l'information, plus loin qu'elle apparaisse dans le futur, moins a-t-elle de valeur pour l'individu. Le système d'immédiateté des informations déployé à travers le fil d'actualité est alors gage d'une activation constante de notre système dopaminergique réclamant de nouvelles denrées.
L'algorithme comme autoroute vers l'auto-propagande
Le fil d'actualité, élément que l'on retrouve sur l'ensemble de ces réseaux sociaux, propose une sélection ciblée des contenus mis en exergue aux yeux de l'utilisateur à travers un algorithme. Ainsi, ces algorithmes sont, bien que sensiblement différents selon les réseaux, tous engagés dans un même objectif, à savoir, toucher l'utilisateur. De fait, ces algorithmes prennent en compte les « likes » portés à certains contenus mais également le taux d'engagement de l'utilisateur et les émotions qu'elles dégagent en nous. Ainsi, la pertinence de la présence d'une publication sur notre fil d'actualité n'est pas à rechercher dans sa véracité mais dans l'engagement qu'elle est susceptible de déployer en nous, touchant au plus près nos émotions et nous poussant à commenter et partager ce contenu afin d'y passer un maximum de temps. Facebook a très bien compris l'importance des émotions, et c'est pourquoi l'on a pu voir apparaître dès 2016 d'autres boutons de réactions que l'iconique « like », permettant à l'algorithme d'analyser plus facilement nos émotions que ne le permet l'analyse des commentaires. Ces mêmes boutons de réactions ne sont pas d'un caractère anodin. En effet, Charles Darwin exposait l'existence des 6 émotions universelles que sont la joie, la surprise, la tristesse, la colère, le dégoût et la peur. Les boutons de réaction que l'on peut retrouver sur Facebook sont alors symptomatiques de cette théorie darwinienne en tant qu'ils ont réutilisé la figuration de ces émotions universelles (à l'exception peut-être du dégoût). De fait, en-dehors d'être le premier réseau social avec ses 2,2 milliards d'utilisateurs actifs dans le monde, Facebook se trouve également être le plus grand laboratoire d'études sociales du monde, par lequel de nombreuses expériences sont réalisées. Un exemple concret de ces expériences est le choix effectué par Facebook d'un panel d'utilisateurs auquel l'entreprise a modifié le fil d'actualité en y publiant pour un échantillon d'utilisateurs uniquement des contenus positifs, et pour un autre échantillon d'utilisateurs uniquement des contenus négatifs. Ainsi, les chercheurs ont pu constater que plus les utilisateurs reçoivent de contenus positifs, plus ils sont producteurs de contenus positifs; à l'inverse, plus ils reçoivent de contenus négatifs, plus ils engendrent de contenus négatifs. De fait, les réseaux sociaux sont en capacité d'influencer directement les émotions de l'utilisateur à travers son écran.
Si l'influence de nos émotions peut nous paraître surprenante, il est d'autant plus à craindre de ces algorithmes leurs influences sur nos idées. En effet, le militant Internet Elie Pariser développe la notion de « bulle de filtre » pour définir l'état d'isolement dans lequel un individu se retrouve à travers le ciblage personnalisé des contenus mis à sa disposition. Le ciblage servant en abondance l'individu de contenus en adéquation avec ses opinions conduit à un effet d'auto-propagande par lequel l'utilisateur convient que son opinion est majoritaire; auto-endoctrinement renforçant alors l'individu dans ses convictions et l'amenant de fait à développer une vision biaisée du monde réel.
D'après le psychologue Albert Bandura et sa théorie de l'apprentissage social, l'être humain cherche constamment à s'ancrer dans un groupe. Ainsi, celui-ci adopte des comportements similaires à son groupe de référence et devient réfractaire aux comportements des individus du groupe opposé. De fait, la « bulle de filtre » convie l'individu à se persuader de la véracité et de la légitimité de son idée, et trouve par le ciblage dont il est l'objet, des individus aux idées communes. Dès lors, celui-ci s'encarte dans l'idéologie qu'il pense dominante à travers son groupe et refuse, voire s'oppose aux idées extérieures à cette bulle qu'il juge illégitimes et dangereuses.
La validation sociale, Graal de l' “animal social”
Les réseaux sociaux prennent leur place en tant qu'instruments de validation sociale. En effet, le désir sous-jacent chaque poste publié par un utilisateur, qu’il s’agisse d’une opinion à travers Twitter, d’une photo sur Instagram ou du partage de l’acquisition de son permis de conduire sur Facebook, tous répondent à un besoin profondément humain qu'est celui de la validation sociale, s'établissant sur ces réseaux à travers la quantité de « likes » et de « followers » que l'individu détient. De fait, ces nouvelles caractéristiques de la validation sociale encouragent l'individu à faire preuve d'une auto-évaluation constante à travers l'attente d'un certain nombre de « likes » et de « followers » qu'il considère comme valeur intrinsèque à sa personne, le confortant dans son ego s'il atteint ses objectifs, et le blessant lorsque ses objectifs sont loin de ceux escomptés, ce qui amène généralement à la dévalorisation de sa personne. Pour reprendre les mots d'Aristote : « L'homme est un animal social », faisant preuve d'une recherche perpétuelle d'approbation et d'évaluation par le regard de ses semblables et se définissant de fait une valeur qu'il juge propre à son estime de soi.
Ainsi, la réception d'un « like », ou d'un « follower » agit sur le cerveau comme une récompense venant gonfler l'image que l'individu a de lui-même. La validation sociale étant une quête commune à tout être humain, celle-ci donne lieu à des réactions en chaînes, chaînes de glorification de chacun que l'on pourrait définir sous la devise « aimez-moi ». En effet, aimez-moi et je vous aimerai, je vous aime donc aimez-moi. Le « like » créé ainsi une boucle de rétroaction de validation sociale. L'individu « like » et démontre sa bonté, tout en espérant consciemment ou non que l'autre le « likera » en retour, afin d’être glorifié par la validation de ses semblables.
Les individus agissent sur les réseaux sociaux et ces derniers agissent sur les individus. Si le prestige social d'une personne s'évaluait précédemment dans le monde réel, celui-ci est dorénavant soumis à la virtualité, exprimé dans un monde fictif qui attribuera la valeur sociale d'un individu dans le monde réel, monde fictif dont l'individu ne peut se défaire sous peine d'une inexistence virtuelle qui pourrait défaire son prestige sociale réel. L'individu ne doit plus être mais paraître, paraître au sens étymologique latin « parere », à savoir « se montrer », se montrer sous son meilleur angle, en tant que metteur en scène d'un monde dont il est l'acteur principal, faisant acte sur le grand théâtre sociétal.
Yoann STIMPFLING