Quel monde pour cet été ?


Source : Pierre Jouin


 Cette deuxième saison de la revue le Parrhèsiaste s’achève, et il est temps de boucler la boucle. J’avais débuté en septembre avec un article intitulé « Parlons du monde de cet été ». Je vous avais évoqué des éléments marquants de cette période et j’avais alors proposé une petite analyse de chacun de ces évènements. 

Aujourd’hui, je vous propose une petite prospection, une sonde lancée dans le futur pour tenter de comprendre les prochains temps forts des mois de juillet et d’août. Bien entendu, il ne s’agit que de se questionner, et d’émettre des hypothèses, mais cet exercice peut toutefois porter une sorte de vérité, dans le sens où c’est en cherchant à anticiper qu’on peut trouver les meilleures solutions.

L’Ukraine, et après ?

Comment évoquer le futur sans évoquer la guerre en Ukraine. Cette guerre a brisé des certitudes, confirmé des appréhensions, et surtout nous a fait comprendre, Européennes et Européens, que nous vivrons à jamais dans l’ombre et ici la réalité d’une guerre. En effet, cette guerre nous a mis au même niveau que ce que vivent les populations d’Afghanistan, du Yémen ou encore du Soudan depuis des années. Certes nous Français, Allemands ou Espagnols ne vivons pas sous les bombes ni sous la menace d’une invasion par une puissance étrangère, mais nous voyons la mort de soldats ukrainiens et russes, de flots de migrants « qui nous ressemblent » et la mise en place d’une forme d’économie de guerre.

Aujourd’hui la situation est loin d’être réglée. Certes le front s’est réduit aux régions de l’est du territoire ukrainien, mais l’issue des combats locaux est toujours aussi incertaine. Certes les sanctions des pays de l’UE, de l’OTAN et du G7 ont un effet certain sur l’économie russe et rendent sa survie de moins en moins aisée, mais ce pays n’est pas isolé et peut encore compter sur un appui certain d’autres puissances internationales, comme la Chine. Ainsi, il n’est donc pas inenvisageable que la guerre se poursuive jusqu’à l’année prochaine.

Alors, quelles hypothèses ?

L’Ukraine n’entrera pas dans l’UE, pas cette année. Les dirigeants européens sont trop divisés et une nouvelle intégration d’un pays fragile économiquement et politiquement à l’image de la Grèce ne risque pas de se reproduire. Toutefois, il est fort possible, et c’est presque le cas que l’Union Européenne créée une forme d’ « antichambre » officielle, avec un statut beaucoup plus important que celui de candidat à l’intégration.

Si la Russie parvient à renverser la situation militaire et à revenir sur Kiev, malgré les aides de l’Europe et des États-Unis, il faut s’attendre à l’éclatement de micro-conflits en Moldavie, mais également en Serbie et en Bosnie, pays où les questions des minorités soutenues par la Russie sont toujours aussi explosives.

Si l’Ukraine sort vainqueure totale de ce conflit, et j’entends par là que les républiques autoproclamées soient réunies à l’Ukraine par les armes, il est clair que Vladimir Poutine serait en grand danger, par de par le peuple russe, mais plutôt du fait de personnes de son entourage qui souhaiterait mettre fin à son emprise sur la Russie.

La crise environnementale

Vous avez chaud ? Eh bien cela devrait continuer.
Je suis très pessimiste : nous sommes arrivés, au vu de tous les rapports du GIEC, au vu des observations des ONG à un point de non-retour. Malgré les manifestations, malgré les « How dare you ? », c’est inévitable : le monde tel que nous le connaissons va changer, tant dans sa biodiversité que par sa température, son aspect et ses saisons.

Alors non, nous n’allons pas mourir, pas tous. Il est évident, comme face à chaque catastrophe naturelle, que les plus exposés (et je ne parle pas uniquement dans les pays les plus défavorisés) vont pâtir des conséquences de la montée des eaux, de l’assèchement des rivières ou encore de la stérilisation des terres.

Mais voulons-nous vraiment éviter cela ? Pouvons-nous ? Non.

D’une part nous, pays développés, quel est notre intérêt à faire décroître notre économie ? Quel est notre intérêt à abandonner nos smartphones, nos commandes Amazones, notre consommation de masse, nos centrales nucléaires ?

Certains vous diront que c’est la faute du capital, de notre système… D’autres vous diront que ce sont les petits gestes qui comptent, les actions collectives… Pour des êtres aussi « matérialistes », nous sommes assez utopistes. L’humain n’a jamais régressé et ne régressera pas, car ce n’est pas son intérêt. Nous n’avons pas de sacrifices à faire pour sauver le plus grand nombre, car malgré nos idées, nous protégerons dans la grande majorité nos intérêts personnels et ceux de nos proches.

Alors, que faire ?

Eh bien, ce que nous a montré la crise du COVID-19, c’est que nous nous adapterons petit à petit : certains mourront, d’autres seront des « anti-vax », d’autres encore hypocondriaques, et puis nous nous en sortirons plus ou moins renforcés.

Il y en aura toujours pour dire « nous l’avions dit ». Mais bon, en rentrant chez eux, ils étaient les premiers à commander un livre sur le changement climatique depuis l’étranger, à ouvrir une barquette d’oranges du Brésil ou à regarder une bonne série Netflix. Alors, finalement, ils l’auront aussi mérité.

Nous n’allons pas faire de notre mieux, nous allons faire ce que nous pouvons, et vivre ou mourir avec.

L’égalité des sexes

God bless America et son esprit de contradiction qui conquit le monde !

L’avortement n’est officiellement plus un droit, mais un privilège dans certains États du pays. La Cour suprême, organe vénérable situé à la tête des juridictions du pays (en gros, je ne suis pas un juriste) a donné le feu vert à tous les gouverneurs, juges ou encore simples marshalls pour qui le corps d’une femme ne lui appartient pas de pouvoir légalement les mépriser.

Quelle surprise… les États-Unis sont pourtant un pays si progressiste, si prompt à nous pondre les plus affûtées des théories du genre ou à donner une tribune tant attendue aux minorités sexuelles. Vous me direz, c’est une question de culture, c’est une question de liberté d’expression… Sauf que les États-Unis cultivent surtout la désorganisation la plus totale due à une surinterprétation de la liberté d’expression : il paraît tout à fait normal alors de pouvoir déclarer vouloir interdire aux femmes d’avorter, parce que c’est mal, parce que c’est contre la loi de Dieu et parce que nous irions vers une société décadente où nous tuerions de jeunes Américaines et Américains. Tant qu’à faire, autant attendre quelques années, le temps qu’ils se fassent descendre par un énervé défendu par la NRA…

Alors, quel horizon ? Il semble de toutes évidence que si nous allons nous retrouver avec un grand nombre d’États américains qui vont se mettre à adopter des lois interdisant ou limitant l’avortement, nous allons également voir se multiplier des décisions judiciaires qui décideront d’aller à l’encontre de la décision de la Cour Suprême. Les États-Désunis, comme à leur habitude, vont se retrouver avec une bonne dose de débats nationaux stériles, des montagnes de paperasses administratives et juridiques contradictoires et surtout avec l’intime conviction qu’ils auront encore écrit l’histoire. 

Bon. Eh bien bonnes vacances !

 

Pierre Jouin