Pourquoi Roméo avant Juliette?
Si seulement Roméo avait pensé à vérifier que Juliette respirait encore avant de se poignarder… Quoiqu’il en soit, entre les lois absurdes de Créon ou l’avarice maladive d’Harpagon, on ne peut pas dire que les hommes soient toujours mis en valeur au théâtre, souvent au contraire des femmes. Toutefois, connaît-on pour autant des actrices aussi connues que Jean-Baptiste Poquelin ? A-t-on déjà assisté à une pièce écrite par une dramaturge aussi célèbre que Jean Anouilh ?
Ah non ! Pas de femmes sur scène !
La Grèce Antique pendant les périodes archaïques et classiques est un moment de l’Histoire où les arts se sont développés de manière exponentielle. Ils font partie de la vie des citoyens athéniens et reflètent le progrès de cette cité au niveau commercial, politique et bien sûr artistique. Mais bon on repassera pour l’égalité des sexes…
Les femmes sont exclues de la citoyenneté à Athènes, elles n’ont que peu de statut social mais rassurez-vous elles peuvent prendre part aux pièces de théâtre… en tant que spectatrices ! Eh oui, la gente féminine n’est pas autorisée à écrire ou à jouer dans le théâtre athénien. En même temps, les personnalités féminines et les êtres de sexes féminins n’ont finalement pas beaucoup d’importance dans les thèmes mythologiques (sic.).
Comment la pièce de Sophocle, Antigone, dont le personnage éponyme n’est autre qu’une princesse de Thèbes, a pu être interprétée ? Les masques et les costumes étaient alors très prisés dans le théâtre gréco-romain, afin de souligner des émotions ou de symboliser des professions par exemple. Ainsi, quoi de mieux qu’un homme grimé pour exprimer toute la féminité d’un rôle ou tout la force d’un personnage comme celui d’Antigone ?
Cette discrimination des femmes sur scène ou dans la dramaturgie ne s’arrête pas dans l’histoire du théâtre à l’époque antique. Elle s’est retrouvée notamment dans le théâtre Nô (pantomimes et chants japonais) ou encore dans le théâtre shakespearien, qui est connu mondialement par les nombreuses adaptations d’une histoire d’amour dont l’un des personnages principaux est… une femme.
Un art conservateur ?
Pour questionner la place des femmes dans le théâtre aujourd’hui, cet article bénéficie du témoignage d’une ancienne élève au Cours Florent de Paris. Cette dernière considère qu’ « On ne peut pas parler d’égalité même si on peut voir beaucoup de comédiennes célèbres. » La principale cause d’inégalité dans cet art, comme dans la plupart des formes de représentations publiques, est la longévité.
Elle souligne ainsi que « lorsque j’étais en cours de théâtre, en 3ème ou 4ème année, j’avais environ 15 ans, notre prof qui était une femme nous a dit ‘ C’est maintenant ou jamais pour vous, car à 25 ans une comédienne est déjà retraitée’ ». Cet exemple, qui n’est pas isolé, illustre bien un malaise inhérent même dans le cadre de l’apprentissage de la scène : représenter la vie, mimer la réalité, sans pour autant permettre aux comédiennes de pouvoir vieillir normalement.
Un autre problème, soulevé par l’étudiante, est celui de la fréquentation du théâtre. En effet, elle évoque que « les spectateurs sont soit des étudiants en théâtre, soit des vieux assez friqués qui ont assez d’argent. (…) le fait que ce soit plus fréquenté par des milieux plus conservateurs, la place de la femme est encore plus impactée ».
Opinion subjective ? La comédienne et maître de conférence d’études théâtrales Monique Surel-Tupin constate ainsi que de nombreuses revues critiques et des dictionnaires s’adaptent à leur lectorat fortement marqué par un vieillissement, et laissent ainsi peu de place à des rubriques féministes voire « oublient » le nom de certaines dramaturges.
Finalement, la place des femmes dans le milieu de la scène reste fortement liée aux représentations de la femme dans nos sociétés. Il faut en mettre un peu, mais pas trop. Comme le souligne notre témoin, « tout est basé sur le physique pour une comédienne, c’est affreux ». Quant à la place des actrices de cinéma, davantage représentées sans forcément s’arrêter à leur âge ou leur beauté, peut être s’explique-t-elle par un environnement plus respectueux ? L’espoir fait vivre…
Pierre Jouin