Peut-on supprimer le premier ministre?


 
Claudio SchwarzLigne de crédit : Unsplash

Claudio Schwarz

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 Le 4 octobre 2018, François Hollande, ancien président de la République française de 2012 à 2017, avait proposé, sur Public Sénat, de supprimer la fonction de premier ministre : « Je pense qu’il faut couper le nœud gordien. Il faut aller jusqu’au bout. Le président de la République doit être le seul chef de l’exécutif. Donc plus de premier ministre, plus de responsabilité devant le Parlement, plus de droit de dissolution. » L’ancien chef de l’Etat s’interroge, comme un certain nombre de français, sur l’utilité du premier ministre. La constitution de 1958, prévoit pourtant une place majeure du premier ministre au sein du pouvoir exécutif. En effet, selon l’article 21 de la constitution, le premier ministre dirige l’action du gouvernement, il est alors un élément essentiel du régime semi-présidentiel.

Pourtant, depuis ces dernières années, la fonction de premier ministre semble avoir évoluée et même avoir perdu de l’importance. C’est pourquoi la question de la suppression du poste de premier ministre devient de plus en plus actuelle, notamment depuis les années 2000.

Le premier ministre est le chef du gouvernement sous la Vème République et tout comme le président de la République, il fait partie du pouvoir exécutif. Cette fonction de premier ministre succède à la fonction de président du Conseil des ministres qui était en place sous la IIIème et la IVème République. Le premier ministre est nommé par le président de la République, et est issu du parti politique appartenant à la majorité de l’Assemblée nationale. Ainsi, il se peut que le premier ministre soit issu d’un parti différent de celui du chef de l’Etat. Aujourd’hui, le premier ministre tend à se faire remplacer, il perd, depuis les deux dernières décennies, une importance considérable. Dorénavant, c’est le chef de l’Etat qui occupe une place prépondérante dans le pouvoir exécutif.  

Il est nécessaire de comprendre quelle est la réelle place du premier ministre au sein du gouvernement : si celui-ci s’avère véritablement utile ou non au bon fonctionnement des institutions étatiques, si la suppression du poste est possible en fonction de ce que prévoit la constitution française. Nous devons étudier cela et comparer les avantages et les inconvénients d’une potentielle suppression de la fonction du premier ministre.

Nous verrons dans un premier temps la disparition de la fonction du premier ministre comme étant une option envisageable notamment par un changement potentiel de régime ; puis nous mettrons en exergue la nécessité de conserver le premier ministre et l’impossibilité de le supprimer du fait de son importance non négligeable que prévoit la constitution de 1958.

1- La disparition de la fonction du premier ministre : une option envisageable

1.1- Un changement progressif du rôle du président et du rôle du premier ministre

Selon la constitution du 4 octobre 1958, le président de la République ne doit pas être le seul chef de l’exécutif, il ne doit pas gouverner. Il doit être l’arbitre au-dessus des partis politiques selon l’article 5 de la constitution. En effet, il veille à son bon fonctionnement et intervient en cas de conflit. Il est celui qui va trancher si désaccord il y a.

Le premier ministre, tout comme le chef de l’Etat, fait partie de l’exécutif. Il doit gouverner en déterminant et en conduisant la politique de la nation, il en assume la responsabilité devant le parlement. Il possède une place comparable à celle du président selon la constitution de 1958. Lui, comme le président sont indispensables dans le régime politique français.  La constitution n’envisage en aucun cas, la suppression du premier ministre, celui-ci se révèle être bien trop important.

On perçoit cependant un changement notable en particulier avec le Général de Gaulle qui, lors de son dernier septennat, est sorti de son rôle d’arbitre pour devenir gouvernant. C’est lui qui déterminait la politique de la nation. Le premier ministre, pourtant essentiel selon la constitution, devait alors épauler le président de la République.

Ainsi, le premier ministre n’avait plus qu’un rôle secondaire au sein de l’exécutif. Cette pratique a été répétée par ses successeurs et ce changement de rôle du premier ministre, initié par de Gaulle, se perpétua jusqu’à aujourd’hui.

C’est pourquoi certains s’interrogent sur le rôle du premier ministre ainsi que sur son utilité, comme François Hollande, qui a d’ailleurs évoqué le fait d’une éventuelle suppression du poste du premier ministre. Selon lui, le président de la République doit être le seul chef de l’exécutif, le premier ministre ne doit pas lui faire obstacle dans la mise en place de la politique nationale.

 

1.2- Le président comme véritable chef de l’exécutif : « l’hyper présidence »

Le président de la République possède aujourd’hui, une place majeure au sein de l’exécutif, celle-ci est variable selon les présidents mais certains tels que Nicolas Sarkozy prennent plus d’importance. Ce dernier, souvent qualifié d’« hyper président», a affirmé le 12 juillet 2007, lors de son discours d’Epinal, son souhait que le président soit celui qui gouverne. Il affirme alors clairement ses ambitions : il veut que le chef de l’Etat ait davantage de responsabilités et d’importance, bien plus que le premier ministre.

La présence majeure du chef de l’Etat est renforcée notamment par son élection au suffrage universel. Ce dernier force, dans certaines proportions, le président de la République à exercer une campagne sur un programme précis. Celui-ci fait alors office de « future » politique nationale qui va, par la suite, être mise en place par le président lui-même, aidé par le premier ministre qu’il aura choisi. Ce suffrage universel direct renforce directement le pouvoir du président et réduit considérablement celui du premier ministre.

Le premier ministre doit alors exécuter la politique définie par le chef de l’Etat. Il ne détermine plus la politique de la nation, mais doit contribuer à l’appliquer. Il semble alors beaucoup moins important dans la politique française de par ce fait.

« L’hyperprésidence » est une notion présente depuis une vingtaine d’années, les différents présidents de la République, rendent les arbitrages importants aux ministres ainsi qu’au premier ministre, cela ne se fait plus sous la seule responsabilité du premier ministre.

Sur le plan médiatique, le président de la République est omniprésent notamment depuis les dernières années. Il se met en avant au détriment du premier ministre. Notamment pour préparer une potentielle réélection : avec le quinquennat, le président de la République espère, le plus souvent, renouveler son mandat.

En plus de cela, le premier ministre qui devait être un « bouclier » pour le président, s’avère inefficace. En effet, depuis Valéry Giscard d'Estaing, l’impopularité des chefs de l’Etat ne cesse d’augmenter. Le président de la république semble être le « bouc émissaire » de la nation, tous les reproches lui sont adressés ce qui le met dans une situation complexe. Si le premier ministre ne parvient pas à « protéger » le chef de l’Etat comme il devrait le faire, il semble alors être inefficace et donc inutile au gouvernement. On perçoit alors une sorte de cercle vicieux, le premier ministre ayant moins de responsabilités et de moyens, ne peut correctement exercer sa fonction et ainsi, comme nous l’avons évoqué : protéger le président. Si ce dernier est davantage exposé, c’est parce qu’il a énormément réduit l’importance du premier ministre.

 

1.3- Une suppression possible qui demanderait alors un changement de régime politique : un régime présidentiel

Beaucoup s’interrogent sur la réelle nature du régime actuel, celui-ci possède un gouvernement bicéphale se composant à la fois du président de la République ainsi que du gouvernement dirigé par le premier ministre. Pourtant, depuis les dernières décennies, le président de la République possède une place prépondérante. Le premier ministre est quant à lui presque effacé. C’est pourquoi le régime semi-présidentiel est aujourd’hui qualifié de « régime présidentialiste ».

Ce régime semi-présidentiel aurait lui-même évolué, il est assurément différent du régime mis en place dès 1958. Le chef de l’Etat a pris davantage d’ampleur contrairement au premier ministre qui devient bien moins important. C’est pour cela que la question de la suppression du premier ministre est évoquée.

On perçoit à présent un gouvernement monocéphale proche de celui des Etats-Unis, celui-ci semble même être un modèle pour un certain nombre de français : « Il faut un Parlement qui ressemble au pouvoir du Congrès américain et un président de la République qui est forcément le chef de la majorité » comme l’affirme François Hollande.

Aujourd’hui, le régime semi-présidentiel tel qui l’a été instauré, ne l’est plus vraiment, c’est en cela que le premier ministre semble « facultatif » et donc potentiellement supprimable.

L’idée de supprimer le premier ministre est quelque chose de faisable juridiquement, seulement pour le faire, il est indispensable de changer de régime politique. En effet, le régime semi-présidentiel, régime actuel en France ne peut être dispensé de son premier ministre. Celui-ci est nécessaire au bon fonctionnement du gouvernement dans ce type de régime politique. Cependant, si la France change de régime et instaure par exemple, le régime présidentiel, le premier ministre pourrait alors être supprimé.

Ainsi, supprimer le Premier ministre engendrerait la modification de la séparation des pouvoirs, il faudrait également inscrire dans la Constitution l’existence d’un exécutif monocéphale. Bien que le premier ministre n’ait plus autant d’importance que les décennies précédentes, il ne peut être supprimé sans changement de régime.

 

2- La disparition de la fonction du premier ministre : une option inenvisageable

 2.1- La place indispensable du premier ministre dans la Vème République

Le premier ministre possède néanmoins une place indispensable, même si celui se montre plus discret que le président de la République, son rôle reste très important au bon fonctionnement de la Vème République. Le Premier ministre est le chef du gouvernement français dont il coordonne et conduit la politique. L’idée de le supprimer, selon la constitution, semble inenvisageable.

Il est un réel soutien pour le président aujourd’hui, en effet, si le président détermine la politique nationale, celui-ci ne peut s’en occuper dans sa globalité. Le premier ministre va l’appuyer dans sa politique, c’est d’ailleurs, selon la constitution du 4 octobre 1958, à lui de s’en occuper. Ainsi le premier ministre, en aidant davantage le président de la République, retrouve, dans de moindres proportions, ses pouvoirs conférés par la constitution.

Le premier ministre possède des pouvoirs importants qui lui sont propres, le président de la République ne peut les posséder ou les exercer d’un point de vue juridique. C’est en cela que le premier ministre ne peut être remplacé ou supprimé. Il est véritablement nécessaire.

Il partage l’initiative des lois avec les parlementaires (article 39 de la constitution) et décide de la réunion d’une commission mixte paritaire afin de permettre l’adoption d’un projet de loi (article 45 de la constitution). Il possède le pouvoir d’engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée.

Le premier ministre possède également une autorité politique mais aussi administrative tout comme les membres du gouvernement. Il exerce dans le même temps, une mission de coordination mais aussi d’arbitrage entre les différentes positions des ministres.

En période de cohabitation, le premier ministre retrouve son importance et son rôle de chef de l’exécutif, le président lui, se replie sur son rôle d’arbitre. Cela est conforme à la constitution. Mais la réforme du quinquennat en 2000 ainsi que l’inversion du calendrier électoral permettent cette absence de cohabitation, le premier ministre devient dès lors moins important.

2.2- La nécessité d’un contre-pouvoir et d’un retour de l’importance du premier ministre

Il est nécessaire que le premier ministre retrouve son importance, le président de la République a besoin de lui, il a notamment besoin d’un premier ministre incarnant un contre-pouvoir, ce qui n’est plus son rôle depuis ces dernières décennies. En effet, les présidents, depuis les années 2000, choisissent des premiers ministres de « confort », proches et dociles, qui ne le contestent que très peu. Ils ont besoin, bien au contraire, de chefs de gouvernement qui s’affirment dans leurs choix.

Le premier ministre doit être autonome et doit assumer seul sa politique. Il est un élément incontournable de la Vème République, il ne doit pas être supprimé mais valorisé, en retrouvant sa véritable place. Il ne faut donc pas supprimer le premier ministre mais le renforcer davantage afin qu’il puisse rétablir son image sans pour autant nuire au président de la République.

Les réformes les plus importantes qui ont été adoptées sont liées notamment à des premiers ministres autonomes, d’une forte personnalité, incarnant une certaine force. Le premier ministre « libéré » du chef de l’Etat est donc essentiel, c’est par lui, que la Vème République connaît des jours heureux comme ce fut le cas avec Georges Pompidou après 1965.

Ainsi, il s’avère nécessaire de retourner aux véritables principes de la Vème république, les principes qui mettent en avant le premier ministre, qui lui confèrent une place déterminante au sein du gouvernement.

Il est souhaitable que le septennat soit rétabli, en effet, depuis le quinquennat, le chef de l’Etat semble être obsédé par leurs campagnes présidentielles et leurs réélections. Le président de la République s’accapare l’attention médiatique et prend alors une place plus importante au détriment du premier ministre.

 

2.3- Une idée inadéquate : aucun autres systèmes politiques ne correspondent véritablement à la France

Comme nous l’avons évoqué, supprimer le poste de premier ministre reviendrait à changer de régime et à organiser plus précisément, un régime présidentiel. Celui-ci est un régime politique prônant la séparation des pouvoirs, il est défini par la non-responsabilité de l'exécutif devant le législatif ainsi que par l'interdiction de dissolution du législatif par l'exécutif.

Ce type de régime ne coïnciderait pas avec notre pays comme le souligne Dominique Rousseau, professeur à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, « le régime présidentiel à l'américaine ne peut fonctionner qu'aux Etats Unis".

Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille, va encore plus loin que Dominique Rousseau et ajoute que : « Chaque fois que le modèle américain est exporté, il vire à l'autoritarisme. Parce que les américains ont une culture du compromis que nous n'avons pas en France. Que ce soit au congrès ou au sénat, il n'y a pas de clivage réel entre démocrates et républicains. Ils discutent, ils marchandent, ils collaborent. Et en cas de conflit, ils trouvent une solution, c'est à chaque fois ce qui se passe avec les discussions budgétaires et le risque de shutdown."

Si ce régime présidentiel est importé en France, celui-ci serait inefficace voire même dangereux pour le pays. Il y aurait incontestablement, une opposition courante au sein du gouvernement. Dans notre régime actuel, en cas d’opposition, nous possédons les moyens nécessaires pour obtenir une solution tels que la dissolution ou la menace de dissolution ainsi que le changement de premier ministre.

De plus, ce type de régime présidentiel a été essayé à plusieurs reprises en France, en 1791, en 1795 et en 1848 : tous ont échoué. Le changement de régime semble alors être complexe et peut être même nocif pour la France. Ainsi, il serait judicieux pour l’Etat français, de conserver son régime semi-présidentiel.

La constitution du 4 octobre 1958 est, parmi les 11 constitutions qu’à connue la France, celle qui possède la plus grande longévité. Elle est mise en place depuis maintenant 62 ans et a montré qu’elle pouvait s’adapter et fonctionner. Changer de régime reviendrait à casser cet équilibre produit par la constitution.

 

Au total, le premier ministre semble être indispensable à l’Etat français. La constitution de 1958, est une référence, elle prévoit une grande importance au premier ministre. Il ne peut être supprimé. Aujourd’hui, le régime semi-présidentiel n’est plus vraiment le même, il semble avoir évolué, donnant ainsi davantage de place au président de la République au détriment du premier ministre. Ce dernier paraît alors moins utile qu’auparavant, d’où la question de suppression du poste. Il est possible de supprimer cette fonction, seulement, pour cela, il faut changer complètement de régime et de constitution, ce qui est juridiquement envisageable mais cela peut s’avérer être dangereux pour l’équilibre au sein du gouvernement. Les autres régimes paraissent difficilement compatibles avec la France, il serait plus pragmatique de conserver le régime actuel et de rendre le rôle initial au premier ministre, à savoir un rôle déterminant. Le premier ministre peut donc être supprimé mais les diverses conséquences seraient certainement bien plus négatives que positives. La Vème République est certes critiquable, mais elle offre tout de même un certain équilibre et peut encore être améliorée. Elle reste une structure solide, ainsi, il semble nécessaire de la conserver et non de la détruire.

 

 

Sacha Nizet