Petite histoire du pantalon
En apercevant le titre de cet article, vous vous êtes probablement dit : « Ils vont sérieusement nous parler du pantalon ? ». Eh oui ! Nous allons vous parler en effet du pantalon, mais l’adverbe « sérieusement » n’est peut-être pas le plus adéquat. L’objectif ici est davantage de mettre en lumière trois moments de l’Histoire du monde choisis de manière totalement subjective. Il est possible que ces trois instants vous donnent des pistes de réflexion sur la nature humaine. Ou tout simplement, ils vous permettront de briller en société autour d’une bonne pinte ou lors d’un cours en visio-conférence…
I- Deux jambes pour courir, c’est mieux !
L’image la plus répandue qu’on ait du style vestimentaire au cours de l’Empire Romain est assez lié d’une part à la géographie d’un État centré sur la Mare Nostrum (Méditerranée) et aux statues des nobles et personnalités qui nous sont parvenues. Ainsi, on se représente le Romain vêtu d’une longue toge ou tout du moins d’une tunique, selon son statut social.
Bien évidemment, le pantalon, c’est-à-dire un vêtement permettant un mouvement quasi-total des jambes tout en les recouvrant de la taille jusqu’aux chevilles, existait déjà. Les paysans, les marins, les militaires et certaines autres professions avaient déjà recours à ce vêtement pour des raisons pratiques. Toutefois, la mode était aux vêtements longs permettant à la fois de se couvrir intégralement et à se déplacer de manière distinguée.
Sauf que les Wisigoths, les Francs, les Huns et autres « barbares » vont rendre cette toge quelque peu encombrante. Comment fuir face à un guerrier avide de sang alors qu’à tout instant son propre vêtement peut vous mettre à terre ? C’est ainsi que les braies, les chausses et plus généralement les pantalons vont se répandre depuis les villes frontalières jusqu’aux centres de l’Empire Romain à partir du IIIème siècle après notre ère.
Le pantalon devient donc une sorte d’assurance-vie pour tous les habitants ayant à craindre pour leur survie au cours des incursions et des raids menés par les tribus hors de l’Empire. Même si avouons-le, il aurait fallu plus que des pantalons pour que 476 après JC soit une meilleure année pour Rome !
II- L’Ouest n’est pas assez grand pour nos deux jeans…
Le jean (ou denim lorsqu’on pratique la langue de Shakespeare) est aujourd’hui le vêtement le plus mondialisé, décliné et tout simplement le plus porté de nos sociétés. Pratique, esthétique et propre à toutes sortes d’activité, le jean est un incontournable de la mode mondiale, et ça depuis sa diffusion dans les années 1950-1960.
Mais le jean est avant tout un outil de travail. En 1848, un mineur en Californie se rafraîchit dans une rivière après son labeur. Il aperçoit au fond de l’eau la pépite d’or qui donnera une nouvelle dynamique à la Conquête de l’Ouest américain. La ruée vers l’or voit l’établissement de campements de mineurs composés de milliers de tentes et d’autant de chercheurs d’or gagnés par la fièvre du métal jaune.
Le tissu de ces tentes est si robuste qu’un commerçant en tissu a l’idée d’en faire des pantalons souples et solides en 1853. Ce Levi Strauss remplace en 1860 cette matière par un tissu français, le « de Nîmes » qui deviendra grâce à une adaptation (ou à une erreur) de traduction le fameux « denim ». À l’origine ce vêtement est le plus souvent répandu parmi les mineurs, et est donc associé à la recherche aurifère. Breveté en 1873, les jeans de la nouvelle compagnie Levi Strauss & Co. sont devenus des symboles du courage et de l’esprit d’adaptation des colons américains.
Peut-être est-ce la raison pour laquelle ils sont distribués par milliers avec le « New Deal » des années 1930 pour habiller les chômeurs ? C’est le geste qui compte…
III- Et pourquoi n’aurions-nous pas le droit de porter un pantalon ?
Comment parler du pantalon sans évoquer son rôle émancipateur ? Dans de nombreux pays, notamment en Afrique subsaharienne, le port du pantalon par des personnes de sexe féminin est considéré comme un délit encore aujourd’hui. Mais la France s’est elle-même retrouvée en 2013 dans une situation embarrassante face à une loi alors en activité interdisant le port d’un pantalon aux femmes.
L’ordonnance du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800) disposait en effet que « toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la préfecture de police pour en obtenir l’autorisation et que celle-ci ne peut être donnée qu’au vu d’un certificat d’un officier de santé ». Le pantalon devient alors un privilège masculin qui est au sens propre du terme « encombrant » pour la gente féminine.
Le 31 janvier 2013, le Ministère du droit des femmes tranche en rappelant que cette vieille ordonnance est incompatible avec tous les textes fondateurs de la Vème République, et est donc abrogée implicitement. Absurde, et pourtant juridiquement présent : l’intérêt porté aux femmes ne fait visiblement pas force de loi !
Au final, cette question d’un pantalon comme un interdit soulève un simple problème de bon sens et d’obscurantisme. Un moyen comme un autre de réduire la liberté d’action des femmes, alors qu’il s’agit d’un bout de tissu… L’interdit de le porter tout comme l’interdit de le cacher viennent soutenir des pratiques traditionnelles sexistes issues parfois d’interprétations religieuses. Que penser alors du tchador en Iran, quand on sait que les premières traces de pantalons féminins apparaissent en – 539 … en Perse ?
Pierre Jouin