Petite histoire de l’auto-tamponneuse


Auteur: @nicolasarnold

Ligne de crédits: Unsplash


Eh oui ! C’est le retour des sujets profonds et existentiels qui vous fracassent votre cerveau et vous changent votre vision du monde. Adieu les questionnements philosophiques et les analyses littéraires ! Au diable les interviews et les créations littéraires ! Payez 3€50 pour deux tours, tentez de vous installer confortablement, accrochez votre ceinture (s’il y en a une) et laissez-vous maltraiter, seul ou accompagné, bousculez, foncez et laissez-moi vous parler de l’histoire de l’auto-tamponneuse.

 

 

Une genèse particulière : entre classe sociale et tradition républicaine

 

L’automobile apparaît vers la fin du XIXème siècle dans sa forme « moderne » (un moteur à explosion, des roues et un volant) et tend à se répandre dans l’ensemble des sociétés européennes. Toutefois, loin de l’idéal fordiste de produire en masse pour la classe ouvrière, l’automobile est dans un premier temps et avant tout un produit de luxe réservé à une certaine classe sociale ou à des structures publiques.  

 

Dans le même temps, en France, les traditions républicaines continuent de s’installer sous l’impulsion de la IIIème République, en particulier dans les zones rurales avec le principe de la « République au village ». Et une de ces traditions remises au goût bleu-blanc-rouge, c’est la fête du village, qui aujourd’hui pourrait se rapprocher de la fête foraine. Et pour le coup, ces fêtes sont le moyen pour tous les citoyens, paysans, petits bourgeois, notables, artisans ou encore ouvriers de pouvoir se rencontrer dans un cadre convivial et rassembleur.

 

Alors, quelle jonction entre « conduire » et « vie républicaine » ? Non, ce n’est pas le titre du dixième Fast and Furious (ou le onzième…), mais véritablement l’objet de l’article. Alors, rendons à l’Oncle Sam ce qui lui appartient, des premiers prototypes de bumper cars, en bois et équipées d’un petit moteur, font leur apparition dans des fêtes foraines aux États-Unis.

 

MAIS Cocorico ! En 1927, un jeune ingénieur ayant travaillé chez Renault, Gaston Reverchon, expérimente différents modèles de carrosserie et met au point une version miniaturisée de l’automobile, avec de nombreux détails comme des phares et même un micro radiateur. L’objectif, c’est de profiter un court instant de la conduite d’une petite voiture sur un circuit, les bordures en caoutchouc n’ayant pour but que de protéger les passagers des éventuels « chocs ».

 

 

Du plaisir de conduire au désir de faire souffrir

 

Les petites voitures, ces « auto-tamponneuses » pour les gens civilisés, « auto-scooters » pour nos voisins Belges qui décidément aiment massacrer notre belle langue ou encore « auto-Camors » pour ces chauvins de Normands, bousculent le monde de la fête foraine !

 

De sa petite entreprise familiale produisant une voiture par semaine, Gaston Reverchon construit progressivement une compagnie internationale qui se fait connaître notamment aux États-Unis sous le nom de « Reverchon Industries ». Si d’autres inventions comme les « chaises volantes » vont contribuer à l’essor de l’entreprise, c’est vraiment les auto-tamponneuses qui font le succès de Reverchon dans les années 1920-1930. Elles s’imposent dans les fêtes foraines du monde entier, passent progressivement vers un moteur électrique alimenté par un câble, mais surtout avec un objectif un peu différent du simple plaisir de conduire…

 

Oui, une auto-tamponneuse, aujourd’hui, c’est une ADVEA, « Arme De Violence Entre Amis », qui ferait trembler FIFA, une partie de baby-foot ou encore un débat sur Éric Zemmour. Les coussins en caoutchouc ont grossi, les circuits se sont mués en des champs de bataille napoléoniens et les voitures sont devenues des tanks visant à la fois à protéger les passagers et à faire ressentir à tous la définition brute des « relations humaines ».

 

Virages serrés, ronde infernale, côtes brisées et interdiction formelle de sortir les mains du véhicule, les auto-tamponneuses peuvent être vues comme un grand défouloir ou les personnes se rencontrent, s’affrontent, s’esquivent et se frôlent. Toute la rage humaine, tout notre besoin de violence et d’adrénaline s’exprime ainsi dans un moment d’hystérie collective, ou tout le monde trouve normal de rentrer violement dans l’habitacle d’un parfait inconnu (un peu comme une journée sur le périphérique de Paris).

 

Alors, la prochaine fois que vous vous installerez plein d’enthousiasme avec votre partenaire dans une de ces machines hautement historiques, prenez le temps de comprendre cet univers, de percer les mystères des yeux qui vous scrutent en vous rentrant dans le derrière et essayez de ressentir ce moment de convivialité, que nos aïeux ne voulaient à aucun prix manquer.

 

 

À mes grands-parents, car sans un choc impromptu dans ces auto-tamponneuses je ne serais probablement pas là.

 

Pierre Jouin