Les Grands Portraits : Averroès
Un nouveau Grand Portrait s’offre à vous aujourd’hui, sur un personnage que, j’imagine, peu connaissent, mais que vous allez, si ce n’est adorer, en tout cas respecter à la fin de cet article.
Cette personne est l’incarnation en son temps de la raison et de l’usage de l’intelligence face à des temps obscurs. Philosophe, médecin de renom, juge, théologien, astronome, savant et mathématicien, il passa sa vie bien remplie à lutter pour éclairer ses contemporains.
Averroès. Ce nom n’est pas le plus familier au monde. C’est à peine si, sans le connaître, on réussirait à deviner son origine.
Ibn Ruschd de Cordoue. Tel était son nom de naissance, latinisé en Averroès. Sa vie est une ode au savoir, à la réflexion et à la tolérance des uns envers les autres. C’est ce que je me propose de vous faire découvrir aujourd’hui.
Une vie insolite et mouvementée
Né en 1126 à Cordoue, l’on sait peu de choses sur son enfance, si ce n’est qu’il est le descendant de fameux juges musulmans (des Cadis) au service des sultans andalous. Son éducation fut celle des membres de l’élite de cette époque : d’abord la théologie et l’apprentissage de la Loi Coranique. Puis ensuite viennent les autres matières, toujours en rapport avec la foi : la littérature, les mathématiques, la médecine, et finalement, de manière anecdotique, la philosophie. Celle-ci était en effet mise de côté, de peur qu’elle éloigne l’élève de sa religion. Finalement, toujours en quête de savoirs, Averroès étudia, en amateur éclairé, la botanique, la physique et l’astrologie. De son âge, il est l’un des seuls à s’intéresser à ces matières.
Une grande partie de sa vie, il fut cadi du sultan, avant que celui-ci, sous la pression de sa cour et des temps troublés que traverse son royaume, n’interdit la philosophie, les études, les livres, le vin et la musique. Averroès devient ainsi dans son propre pays un homme à abattre pour ses idées, à tel point qu’il est emprisonné, humilié en la Mosquée de Cordoue devant ses anciens soutiens et ses élèves, puis il est poussé à l’exil alors que ses livres sont brûlés en place publique et qu’il est banni de l’Islam pour hérésie. Après un an d’exil, il est finalement pardonné et rappelé à Marrakech, où il finit sa vie en 1198.
Le traitement qu’il connaît en fin de vie fait dire à Kurt Flasch, philosophe du XXème siècle, que le bannissement d’Averroès marque la fin du « contact » du monde musulman avec le « progrès scientifique ».
Une philosophie de la raison et du savoir
L’étude de la philosophie va faire de lui un spécialiste universel d’Aristote, qu’il étudie autant que possible, à tel point que, lorsque le sultan lui demande de résumer l’œuvre du Philosophe, Averroès, en comparant les sources et les écrits dont il dispose, est capable de reconnaître les erreurs de traductions et les rajouts des copistes. C’est ainsi qu’il finit par publier plusieurs études sur Aristote, reconnu même par les chrétiens comme les meilleures jamais produites. La majorité de ses idées sont ainsi tirées de ces travaux sur Aristote, comme le fait que, pour lui, « l’intellect humain constitue une unité à laquelle les individus ne font que participer », mais aussi que la recherche du savoir est la clé du bonheur temporel.
Il s’oppose ainsi toute sa vie au puissant mouvement illuminatif, qui défend l’idée qu’il n’y a pas de raison à utiliser car tout savoir provient d’une illumination spirituelle. Toute sa vie, étudiant Aristote, Averroès développe sa pensée, en expliquant que rien n’a été créé car le monde est dans un mouvement continu et éternel. De plus, il distingue l’intellect actif et passif. Selon lui, l’intellect actif est un attribut de l’espèce humaine, supérieur à l’individu, éternel et partagé par tous, la véritable immortalité. C’est ainsi que le philosophe sépare la raison et la foi de façon radicale, les exposant comme deux ordres de vérité distincts : la Révélation n’étant pas une partie de la raison, mais étant indépendantes les unes des autres. Cette vision lui crée de nombreux ennemis, criant au sacrilège et à l’hérésie.
En Europe, ses idées furent le centre de débats houleux, dont Thomas D’Aquin fut un opposant, essayant de réconcilier foi et science en faisant de la théologie un savoir rationnel. Ces débats poussèrent l’Église à condamner les idées d’Averroès en 1240 et en 1513, nous montrant ainsi l’influence du penseur dans le monde, et non pas que dans la sphère musulmane.
Averroès ou le Savant
Averroès fut un maître en de nombreuses matières, apportant de manière active de nouveaux savoirs.
Comme médecin, il était le plus réputé de son pays, le médecin privé du sultan. Il fait le commentaire des plus grands maîtres en la matière, tout en développant une pensée nouvelle, hérité d’Aristote, pour créer une médecine déductive plutôt qu’inductive. Il parvient même à concilier les deux visions de la médecine qui s’opposaient, entre une médecine scientifique, rationnelle, et une médecine « artisanale » basée sur la pratique. Il explique ainsi que la médecine se compose des deux à la fois, d’abord une science des principes, mais qui ne s’applique que par la pratique.
Comme juriste, il brille par sa compétence, devenant juge suprême du Royaume andalou. Il développe sa pensée comme une séparation entre la théologie et le droit, s’opposant ainsi à ceux qui ne pensent qu’en termes religieux, sans autre sources. Chez Averroès, le droit est d’abord basé sur un texte de loi argumenté et appliqué, avant de faire appel à la coutume. Son livre de jurisprudence, la Bidâya est, selon Urvoy, spécialiste du penseur, « encore enseigné à Médine en 1998 ».
Il y aurait encore tant à dire sur cet homme hors du commun, ce philosophe éclairé si influent. Mais cela nous prendrait des heures de lecture que nous n’avons pas actuellement ici, et ferait appel à des notions si pointus qu’un article ne peut même s’en approcher. Si ce portrait a su éveiller en vous la curiosité, n’hésitez pas à aller plus avant dans la découverte de cet homme, de cette pensée, de cette période.
Nicolas Graingeot
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