Les différences entre la colonisation anglaise et espagnole des Amériques
L’Angleterre et l’Espagne ont été les deux principales puissances colonisatrices en Amériques. D’autres nations y ont joué un rôle certain, comme la France, les Pays-Bas et le Portugal, mais les deux modèles principaux restent espagnols et anglais.
On retrouve encore aujourd’hui les différences ancrées dans les cultures, les organisations économiques et politiques, les relations avec les Amérindiens et les Afro-Américains. Les Amériques sont donc divisées entre ces deux modèles, le britannique au Canada et aux Etats-Unis, et l’espagnol du Mexique à la Terre de Feu (le Brésil, colonie portugaise, a suivi très largement le modèle et l’influence espagnole).
Le modèle général de la colonisation
En arrivant aux Amériques, l’Angleterre y a vu surtout un potentiel économique et marchand : la colonisation a été le fait plus d’entreprises privées que de l’influence directe de la Couronne. Les compagnies à charte se sont concentrées sur le développement économique de ces terres, y tirant le maximum de ce qui pouvait l’être pour le bénéfice des propriétaires, et dans une moindre mesure des taxes de la Couronne.
L’Espagne, de son côté, première arrivée, a été tout le long de sa présence et surtout dans le premiers siècles emprunte de la volonté d’évangéliser les nouvelles terres et ses habitants, d’y apporter sa culture. C’est l’Etat qui a joué un rôle central dans la colonisation, et ce dès la première heure. Le testament de la Reine Isabelle la Catholique, durant le règne de laquelle Colomb a découvert et exploré pour la première fois les Amériques, stipule que “La principale raison de notre action en Inde (les Amériques, donc) est l’évangélisation de ses habitants”.
C’est ce qui figure dans les Lois des Indes, un ensemble d’abord informel puis officiel de lois traitant de la colonisation et du sort de ses habitants, tant colons qu’indigènes : “Il est de notre devoir de propager la foi catholique et d’enseigner aux indiens à vivre en paix et de manière civilisée.”
C’est pourquoi l’Angleterre, en colonisant l’Amérique du Nord, n’y a apporté qu’une structure économique d’exploitation des terres et d’export avec l’Europe, avec un contrôle très lointain de Londres. La majorité du pouvoir était laissée aux locaux, sous réserve de continuer à payer les taxes et envoyer par bateau la production desdites terres.
L’Espagne a importé aux Amériques un véritable système d’Etat, envoyant fonctionnaires, délégués royaux, créant des provinces, toutes répondant directement à Madrid. Les gouverneurs étaient choisis par le Roi, les nouvelles villes, leur emplacement, leurs constructions décidées en Europe.
C’est pourquoi, si l’Angleterre a exclu de son modèle la majorité des Amérindiens (d’où encore aujourd’hui les Réserves Amérindiennes aux Etats-Unis et, dans une moindre mesure, au Canada), l’Espagne a eu sur le long terme tendance à les inclure dans son fonctionnement, d’où l'important métissage que l’on retrouve en Amérique latine. Les espagnols se sont installés sur ces terres avec la volonté d’en faire un nouveau foyer, et ont donc fini par se mélanger avec les locaux, bien plus que dans la logique anglaise d’exploitation des terres, nécessitant d’en expulser ceux qui y sont déjà.
Évidemment, l’arrivée des Espagnols a eu pour conséquence la chute drastique du nombre d’Amérindien, plus à cause du choc microbien de l’arrivée des Européens que des massacres et de la maltraitance. En effet, les Amérindiens ont subi l’arrivée de maladies inconnues comme la variole ou la rougeole. C’est entre 70 et 80% des la population indigène qui a disparu en 1 siècle, après la découverte des Amériques.
C’est ce qui explique en grande partie la Controverse de Valladolid de 1550-1551. Après 60 ans de présence espagnole, le continent s’est retrouvé en partie dépeuplé, avec trop peu de personnes. Le nombre d’Amérindiens ayant chuté, le choix est finalement fait de les protéger autant que possible de l’exploitation etd e l’esclavage. La contrepartie est que cela a poussé à aller chercher une main d'œuvre en Afrique.
L’aspect religieux
En Amérique, la présence espagnole a été, comme dit plus tôt, en grande partie centrée sur la propagation du catholicisme. Pour cela, une délégation du Vatican a été créée, le Patronato Real, pour centraliser les efforts. Cette volonté se retrouve dans le sort réservé aux religions précolombiennes, en particulier aztèques, mayas et incas. Elles ont presque entièrement disparu, victime d’une destruction systématique des idoles, des textes, des représentations. Ironie du sort, ces trois religions n’ont pas été éradiquées grâce à l’action de l’Inquisition, qui a conservé des textes, à l’origine pour en prouver le caractère impie. C'est ainsi que des Codex Aztèques sont parvenus jusqu’à nos jours.
L’Angleterre, au contraire, n’a pas eu cette volonté prosélyte. Bien sûr, certains religieux et missionnaires se sont attelés à convertir les locaux. mais ce ne fut jamais une volonté organisée. L’Amérique anglaise a été surtout vue comme l’endroit parfait pour envoyer les plus fanatiques, les hérétiques à la foi anglicane (catholiques comme réformées). C’est ce qui explique la grande variété de religions aux Etats-Unis et Canada, là où le catholicisme reste la foi de presque l’intégralité de l’Amérique latine.
La relation avec les Indigènes
Pour les Espagnols, les Amérindiens ont d’abord été vus comme une main-d'œuvre abondante et servile. L’esclavage des peuples a donc été massive dans les 60 à 70 premières années de la présence espagnole, en particulier avec le système de l’Encomienda, le droit pour un colon d’exploiter un groupe d’Amérindiens sur ses terres. Comme dit plus haut, la disparition presque complète de ces populations a poussé la Couronne Espagnole à chercher à finalement protéger ces peuples, aux détriment surtout des peuples africains. C’est ce qui se retrouve dans le développement des Lois des Indes : elles finissent par accorder aux Amérindiens le droit de propriété, le droit de se marier avec les Européens, l’égalité devant les lois des possessions espagnoles. Évidemment, de là à dire qu’elles furent entièrement appliquées de bon cœur, il y a un pas de géant. Mais la volonté politique a le mérite d’avoir permis, après de longues années et beaucoup d'efforts, de meilleures conditions de vie aux indigènes.
Le modèle anglais, quant à lui, n’a jamais mis les Amérindiens au centre de ses préoccupations. Ils étaient plus considérés comme des étrangers que comme des sujets des colonies, ce qui explique le maintien jusqu’au XIX et même XXème siècle des déplacements forcés de populations indigènes (en particulier l’Indian Removal Act), leur maintien dans des réserves à l’écart des installations européennes. Le plus souvent, et c’est ce qui marque une grande partie de l’histoire de l’Amérique du nord, les terres des Amérindiens ont été considérées comme de futures possessions, les réduisant in fine à peau de chagrin.
La relation à la culture
La principale différence entre anglais et espagnols dans leur relation à la culture fut que ces derniers ont eu la volonté d’imposer la culture européenne aux Amérindiens. Les écoles religieuses ont ainsi été centrales, imposant aux jeunes amérindiens la langues et la culture espagnole, les intégrant, parfois de plein gré et parfois de force, à la nouvelle société des colonies espagnoles. D’où de nouveau un métissage important entre les populations.
Les Espagnols ont donc importé aux locaux leurs méthodes d’agriculture, leur architecture, leur langue et culture. Ce fut la mission principale des Jésuites en particulier.
La relation avec les terres et les ressources naturelles
Dès l’arrivée des Espagnols, la Couronne a déclaré comme sa propriété toutes les nouvelles terres découvertes, régulant ainsi leur utilisation. Elles furent exploitées au nom de l’Espagne, ce qui explique que presque l’intégralité des productions furent envoyées en Espagne, en particulier l’or (du Mexique et du Pérou) et l’argent (mines du Potosi en Bolivie).
Le système anglais, pour sa part, fut surtout privé, une extension du calvinisme. L’Etat anglais touchait bien sûr une part, via les taxes d’import et d’export, mais la production restait surtout la propriété de ceux qui possédaient les terres.
Nous retrouvons aujourd'hui toutes ces différences et leurs conséquences dans la division qui existe entre l’Amérique du Nord et l’Amérique Latine, ces deux cultures très distinctes pourtant nées du même processus de colonisation, étalé sur plus de trois siècles.
Ce sont des différentes perspectives sur comment considérer ces nouvelles terres, leurs habitants et la raison de leur présence qui ont forgé les Amériques que nous connaissons désormais.
Nicolas Graingeot