Le Triangle de Weimar : évolutions et perspectives


Sur la photo : Le président français Emmanuel Macron (à gauche), la chancelière allemande Angela Merkel (au centre) et le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki (à droite, de dos) lors du Conseil européen du 26 juin 2018, à Bruxelles (source : Union européenne)


Le 12 juin 2023 se tient à Paris le Sommet du Triangle de Weimar à l’initiative du Président français Emmanuel Macron en présence de son homologue polonais et du chancelier allemand. Si l’occasion permet de donner une nouvelle visibilité à cette coopération bien particulière, le sommet est également le moyen pour les trois hommes d’États d’échanger sur l’assistance militaire et humanitaire à destination de l’Ukraine.[1]

Ces considérations géopolitiques, notamment pour l’action extérieure de l’Union européenne (UE), sont essentielles pour comprendre la dynamique de ce trilatéralisme européen. Lancé lors de la Déclaration commune du 28 août 1991 à Weimar dans une République fédérale allemande nouvellement réunifiée, le Triangle de Weimar est forum trilatéral informel de consultation et de coopération entre la Pologne, la France et l’Allemagne. Ces trois pays qui comptent 200 millions des 500 millions d’habitants de l’UE, posent les bases d’une coopération d’importance pour leur avenir commun. Et la coopération, interétatique, est également décentralisée, avec l’implication directe des organisations régionales et locales, de même que de nombreuses coopérations inter-régionales.[2]

L’intérêt d’étudier le triangle de Weimar se base d’une part sur la compréhension de ses différentes évolutions depuis les objectifs initiaux de 1991, mais également d’autre part sur l’analyse de l’efficacité de cette coopération, à la fois au cœur de l’UE mais surtout dans le domaine de l’action extérieure européenne.

Ainsi, Comment le Triangle de Weimar peut-il s’appuyer sur son efficacité géopolitique pour élargir ses perspectives de développement ?

 

         Tout d’abord, le triangle de Weimar est issu d’une volonté de rapprochement européenne suite à la fin de la Guerre froide. Comme évoqué précédemment, l’Allemagne est réunifiée dès 1990 et la chute de l’Union soviétique en 1991 permet à la Pologne de finaliser sa transition démocratique entamée notamment par l’action du syndicat ouvrier Solidarnosc.

         Ainsi, le forum, lancé en 1991, vient en quelque sorte dresser un des premiers ponts entre les anciens blocs de la Guerre froide en Europe. L’amitié franco-polonaise, pourtant mise à mal par la période communiste, garde une certaine vivacité due notamment au passé historique et à l’alliance entre le Royaume de France et le Grand-Duché de Varsovie. Toutefois, le principal moteur de ce triangle sera la volonté d’entériner la réconciliation germano-polonaise suite à la Seconde Guerre mondiale sur le modèle de la réconciliation franco-allemande survenue quelques décennies plus tôt avec le célèbre Traité de l’Élysée. Lors de la signature entre les représentants des trois États parties, Krzysztof Skubiszewski, Hans-Dietrich Genscher et Roland Dumas, l’objectif affiché est de soutenir la Pologne dans sa sortie du modèle communiste et dans son intégration progressive à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Ainsi, et même si la nouvelle Fédération de Russie ne représente dès lors pas une menace directe pour ces trois États, le forum place la question géopolitique au cœur de la coopération trilatérale. La dynamique entre ensuite dans une logique plus européenne avec l’élargissement de 2004, et permet de définir une vision commune du devenir de l’Europe et à partir de la réconciliation des sociétés constituant le préalable d’une action concertée au sein de la nouvelle UE.

         Outre la dimension historique et l’idée du pardon, cette inspiration de l’expérience franco-allemand a pour objectif de déplacer le centre névralgique de l’UE plus à l’est, et donc d’intégrer l’Europe centrale voire orientale dans la dynamique de l’intégration après avoir bénéficié de l’élargissement. Plus qu’un simple forum trilatéral, le format devient une enceinte de concertation en amont des négociations européennes. De plus, cette coopération s’élargit pour développer d’autres secteurs comme la coopération universitaire (Université Viadrina), la recherche (Fondation Genshagen), la culture (prix Adam Mickiewicz) et bien sûr la société civile (Parlement franco-germano-polonais des jeunes). Ainsi, le Triangle de Weimar prend une dimension non seulement symbolique, mais également concrète avec des réalisations encore opérationnelles, près de 30 ans après leur réalisation.[3]

         Si l’efficacité de ce forum est donc caractérisée sur un large panel de domaine, c’est bien à travers la dimension géopolitique que ce dernier est amené à évoluer.

 

         Le Triangle de Weimar peut ainsi utiliser son efficacité diplomatique pour élargir ses perspectives. Si la régularité des rencontres ne caractérise pas le forum et malgré les tensions lors long passage eurosceptique de la Pologne avec son gouvernement, il faut noter que cette relation trilatérale fait ses preuves en matière de sécurité.

         En effet, il n’est pas insensé de considérer le forum comme un moteur essentiel de la politique étrangère de l’UE ces dernières années. Dès 2006, les trois États membres mettent en place une formation commune à l’attention de jeunes diplomates allemands, français et polonais, à laquelle se joint aujourd’hui d’autres étudiants en relations internationales de l’UE. De plus, la coopération structurée permanente (CSP, plus connue sous son acronyme anglophone PeSCo), le mécanisme actuel de la Politique étrangère de sécurité et de défense (PESD), est issu d’un projet franco-germano-polonais. Ce mécanisme de réponse commune aux situations de crise qui regroupe la majorité des États membres de l’UE, est un outil plutôt efficace pour la coopération structurée renforcée en matière de défense. L’exemple de la réponse rapide et historique de l’UE et de ses États membres face à l’invasion russe de l’Ukraine doit beaucoup à ce projet originellement trilatéral.

         Et c’est bien cette question du trilatéralisme qui doit pouvoir élargir les perspectives du Triangle de Weimar. Selon François Masson, « Au-delà de la persistance des liens physiques entre acteurs, le Triangle de Weimar semble jouir d’une forme d’intemporalité. »[4]. Loin de se limiter à une force symbolique, cet objet sui generis permet notamment à l’UE de pouvoir amener une réponse rapide et commune, comme lors de l’intervention diplomatique déterminante du Triangle en Ukraine lors des manifestations antérieures Maïdan qui contribue ainsi à la promotion de la « puissance douce » européenne. François Masson souligne par ailleurs que c’est cette flexibilité du format qui peut permettre d’élargir les perspectives du forum, notamment avec un potentiel élargissement vers « Weimar plus » en intégrant l’Espagne et l’Italie, et donc le « sud » de l’UE.

 

         En conclusion, le Triangle de Weimar prouve qu’il peut constituer un nouveau pôle de décision dans l’UE en rapprochant ses États membres orientaux tout en contrebalançant les régimes eurosceptiques de la région. De plus, le forum peut utiliser la politique étrangère commune pour proposer des formats de coopération plus flexibles que les institutions européennes et ainsi faciliter la prise de décision si complexe avec les élargissements.

         Dans une perspective actuelle, le Triangle de Weimar peut bénéficier du retour de Donald Tusk et des pro UE en Pologne pour poursuivre la relance du dialogue. Cette coalition pro européenne semble ainsi être accueillie des deux côtés du Rhin de manière favorable, notamment à travers les futurs enjeux de sécurité.[5]

Pierre Jouin


Sources

[1] Élysée. (2023, 12 juin). Sommet du Triangle de Weimar. elysee.fr.

[2] Toute l’Europe. (2013, 17 septembre). Qu’est-ce que le triangle de Weimar ? Touteleurope.eu.

[3] L’Histoire du Triangle de Weimar | L’Association Triangle de Weimar. (s. d.).

[4] Masson, F. (2016). Quelles perspectives pour une relance durable du Triangle de Weimar ? Allemagne d'aujourd'hui, 217, 16-32. 

[5] Pocholuk, M., & Alipour, N. (2023, 12 décembre). L’opposition allemande veut renforcer son alliance avec la France et la Pologne.www.euractiv.fr.


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