Le Nouvel Age jeune
Nous vivons dans une société dans laquelle la jeunesse a pris une place considérable à tous les échelons. Une grande partie des efforts politiques sont tournés vers elle : insertion dans le monde du travail, éducation nationale, etc.
Cette jeunesse comme catégorie sociale n’est pas apparue ex nihilo, elle a entamé sa propre révolution pour s’imposer comme façon de vivre, comme rejet, ou soutien, du modèle traditionnel.
Ainsi, la jeunesse comme nouvelle culture est née du boom démographique d’après 1943. Elle s’est construite en opposition avec les horreurs de la guerre, comme une volonté de se détacher des échecs des générations précédentes. Elle a bousculé une grande partie des équilibres anciens, en particulier via Vatican II et Mai 68. Il y a eu une réelle volonté de sortir de l’ancien monde par de nouveaux outils, comme la musique, le style vestimentaire, le voyage, le mouvement hippie.
Cette modification du rapport de force entre générations est une révolution culturelle majeure, à l'origine, entre autres, du développement du féminisme et de l’écologie.
Le nouvel équilibre, la jeunesse en action
Il y a aujourd’hui un nouvel équilibre, très différent du modèle ancien : les jeunes font moins d’enfants et plus tard, il y a de moins en moins de mariages, le monde, devenu plus complexe, apporte de nouveaux obstacles, comme la difficulté aujourd’hui de trouver un emploi stable avec peu d’études.
Nous vivons aujourd’hui 20 ans de plus qu’en 1945, mais l’âge de la retraite est resté presque inchangé : en 1945, la retraite est fixée à 65 ans, ce qui donnait en moyenne 2 ans de repos à un ouvrier moyen. Mais aujourd’hui, une femme profite en moyenne de 29 ans de retraite. D’où l’apparition d’un âge vieux, une nouvelle vie après le travail.
Dans le même temps, la nouvelle génération, elle, prend plus de temps pour tout faire : elle ne croit plus vraiment à la longue retraite, donc elle cherche une longue jeunesse, qui dure en général jusqu’à 30 ans, âge moyen du premier enfant et du premier emploi stable.
Nous vivons donc une redéfinition des manières de devenir adulte, d’entrer dans le monde du travail, une révolution de l’appréhension du temps.
La grande révolution, le temps utilisable
Ainsi, la composante majeure de cette redéfinition est la place du temps : en 1900, un humain vivait en moyenne 500 000h. Il y avait 200 000 de travail et autant de sommeil, ce qui laissait environ 100 000h pour tout le reste, aimer, apprendre, s’amuser, etc.
Aujourd’hui, nous vivons 700 000h, soit 40 % plus qu’il y a un siècle. Il nous reste toujours 200 000h de sommeil, car on dort en moyenne 3h de moins par nuit. Nous travaillons 67 000h et nous étudions pendant environ 30 000h pour un Bac +3. Cela nous laisse 400 000h pour faire autre chose. Autant dire que nous n’avons jamais eu autant de temps pour nous. Cela est à mettre en perspective des 300 000h de vie pour un contemporain de Jésus.
Nous vivons donc une révolution majeure du temps, en particulier grâce aux luttes sociales du siècle dernier : 8h/j, les 35h, les vacances et congés payés, le weekend. Ainsi, 14 % du temps éveillé est dédié au travail, contre 40 % en 1936 et 70 % sous Napoléon !
Nous avons donc multiplié notre temps disponible par 4, mais les possibilités de l’occuper ont été multiplié, elles, par 10. Il y a une surabondance de films, de livres, de loisirs. Même le marché de l’amour et du sexe est touché : Tinder décuple possibilités de rencontre, nous avons multiplié par 4 nos relations intimes en un siècle.
Cette abondance nous pousse à vouloir faire un maximum de choses, de manière insatiable. Nous sommes devenus multi-tâches : nous lisons en même temps que d’écouter de la musique, nous téléphonons en conduisant, nous mangeons le plus rapidement possible.
Cette multiplication des possibilités apporte logiquement la multiplication des choses que nous ne ferons jamais, et cela ne cesse jamais d’augmenter.
Donc nous vivons dans une société où l’on a pléthore de temps disponible, mais où l’on se sent moins heureux car la frustration augmente plus vite que la satisfaction, d’où l’impression de vivre moins bien que les générations précédentes.
Cela explique pourquoi tout est fait pour nous faire gagner du temps : livraison, optimisation, technologies plus ergonomiques.
De plus, cet allongement de notre temps provoque le développement du zapping. En effet, nous vivons de plus en plus en séquences courtes, car personne ne veut faire la même chose sans arrêt.
Alors qu’après guerre, les parents espéraient mourir après l’installation de leurs enfants, aujourd’hui, il y a une nouvelle vie après, du temps disponible à remplir d’une nouvelle manière.
La fin d’un modèle, son remplacement par un autre, plus flexible
Ainsi, à tout âge, on peut décider de tout recommencer : changer de partenaire, de travail, d’activité, de convictions, d’où le développement du CDD, qui représente aujourd’hui 80 % des embauches, ou bien le fait que la moitié des mariages se concluent sur un divorce.
Il y a de plus un double mouvement qui naît de cette révolution temporelle :aujourd’hui, il n’est plus rare que 4 générations se côtoient, contre 3 avant. Cela apporte une réelle sécularisation du message culturel, transmis plus loin par les ascendants. Dans le même temps, la nouvelle génération est en pleine révolution numérique, une révolution qui modifie la culture très rapidement, à un rythme jamais vu. D’où une certaine augmentation des tensions sociales et des disparités, entre une frange de la population attachée à la tradition, à la religion, et une autre qui s’en est déjà détachée pour construire de nouveaux repères. Et chaque partie comprend mal l’autre.
Ainsi, cette nouvelle culture est bien plus nomade et détachée des modèles traditionnels, comme le montre le fait que 60 % enfants naissent aujourd’hui hors mariage, c'est-à-dire hors du modèle social et familial traditionnel.
Ces bouleversements rapides désorientent les individus, ce qui apporte son lot de nouvelles réflexions sur le temps et son rôle : l’écologie est le 1er modèle politique sur le temps long, qui réfléchit et agit dans cette perspective.
Mais le système politique lui est figé dans le modèle traditionnel, il n’est clairement pas adapté à cette nouvelle société qui est en train de se construire. Et l’inefficacité qui en découle n’aide pas à cette transition.
Dans la société traditionnelle, le moteur social était l’espace, la volonté de l’agrandir, d’agrandir son champs, son terrain, son pays. Et le temps n’entrait pas en compte : le sens actuel du mot « repos » et l’idée de retraite sont nés à la toute fin du XIXème siècle.
Mais aujourd’hui, l’espace est entièrement connu : le temps est devenu la seule chose qui reste à conquérir pour l’individu, on cherche à prendre possession de notre temps.
L’identité change, le travail n’en est plus la composante principale
Voilà pourquoi nous sommes témoins d’une révolution de l’identité. Traditionnellement, l’identité individuelle était celle du travail effectué, et les liens sociaux étaient quasi exclusivement dans la sphère professionnelle et publique, usine, école, commerce.
Aujourd’hui, le travail représente moins de 10 % du temps d’une vie, il est donc logique que l’identité soit différente, voire multiple : il y a une identité du travail, mais aussi une du loisir, de la vie privée, etc....
Les appartenances évoluent ainsi plus dans une vie plus longue. Les identités font donc de même : nous ne sommes plus attaché à une unique, nous sommes plusieurs identités à la fois.
Ce temps devenu long signifie que l’individu prend le contrôle de son temps, il privatise son propre temps, prend le pouvoir. Ainsi, la préoccupation majeure aujourd’hui est que le travail ne nuise pas aux activités extérieures, car 10 % du temps n’a pas à prendre le pas sur les 90 % restants !
Tout ce qui se fait hors du travail prend une grande importance. L’autoproduction domestique développe de tout nouveaux liens et revenus : jardiner, écrire, manifester, se dévouer sont devenus des activités concurrentes au travail classique, voire le remplacent entièrement.
Nous vivons donc une course au temps individuel, particulier et multi usage. Cela se ressent à travers tous les efforts pour économiser son temps et l’utiliser « correctement » : la lutte contre le temps passé sur téléphone, le développement de la marche, du yoga, comme activités sur le temps choisi.
Pour ce qui est du travail, il est bien aujourd’hui bien moins fatiguant physiquement qu’en 1900, mais il est plus stressant, omniprésent, floutant la frontière avec le privé
Cette réalité est accentuée par l’hyper connexion et par le fait que l’on soit rarement déconnecté de nos appareils que l’on soit tout le temps disponible pour un message, un mail, un appel.
Le sentiment de liberté devient la quête principale des individus
De plus, dans notre société de la rapidité, le sentiment de liberté vient principalement du temps libre disponible. L’ancien modèle social a figé le temps de travail à des heures précises : les 35h, le 8h-18h.
C’est pourquoi l’évolution à venir en terme de liberté individuelle semble être la flexibilité de ce temps de travail, la possibilité individuelle de choisir l’organisation de son propre temps, de pouvoir prendre si nous le souhaitons un jour pour faire ce que l’on souhaite, une année sabbatique n’importe quand.
Ainsi, nous vivons un passage majeur, entre la stabilité souhaitée par nos parents, le CDI, la propriété, le mariage, vers une vie plus fragmentée, nomade, divisée et multiple, en un sens, plus libre.
Mais la réflexion politique n’est pas encore mûre pour cela : elle se base encore sur l’ancien système de la stabilité, en souhaitant l’offrir à tous.
Mais est-ce souhaitable de forcer l’appartenance à un modèle qui se trouve aujourd’hui menacé ?
Il serait peut être plus logique de soutenir ceux qui sont exclus du temps libre riche, du développement personnel et donc en dehors de cette mutation. Ce sont de réels exclus, et ils sont de plus en plus nombreux.
Ainsi, cette révolution est parlante : nous cherchons bien plus à changer de vie qu’à changer le monde : les révolutions personnelles remplacent les révolutions politiques. C’est peut être là le symbole de l’individualisation de la société, de moins en moins portée sur le groupe.
Et vous ? Que pensez-vous de cette révolution qui nous impacte tous ? Comment occupez- vous votre Temps Long ? Sur quel modèle votre vie se calque-t-elle ? Dites-nous.
Nicolas GRAINGEOT