Le biais du survivant :
une illusion d’efficacité
Le biais cognitif, un aspect essentiel de la pensée humaine, peut avoir un impact significatif sur nos décisions, nos perceptions et nos jugements. Il en existe de multiples types. L’un des plus connus est l’effet Barnum, un biais cognitif de sélection (très présent dans les signes astrologiques - tendance à voir dans un événement ou une analyse ce que nous désirons voir ou entendre en accord avec nos croyances). Nous allons parler aujourd’hui du biais du survivant, faisant partie de la même catégorie de biais cognitif.
Définition du biais cognitif
Un biais cognitif se réfère à une distorsion dans le processus de pensée qui conduit à des jugements irrationnels ou à des décisions illogiques. Ces biais sont souvent le résultat de raccourcis mentaux que notre cerveau prend pour traiter rapidement l'information. Cela permet de faire des raccourcis et de penser plus rapidement. Cela est utile pour les situations de la vie quotidienne mais coûteux quand il faut changer. Le biais du survivant est l'un de ces phénomènes cognitifs qui fausse notre compréhension de la réalité en accordant trop d'importance aux exemples qui survivent dans notre mémoire, au détriment de ceux qui ne le font pas.
L'histoire de la Royal Air Force
L’un des exemples notoires du biais du survivant (issu peut-être d’une légende plus que d’une situation réelle) remonte pendant la seconde guerre mondiale au sein de la Royal Air Force (RAF). Les analystes de la RAF ont étudié les dommages subis par les avions de guerre pour décider où renforcer leur armure. Certains avions étaient rentrés à la base anglaise avec des impacts de balles principalement concentrés sur les ailes et le centre de l'appareil. Intuitivement, les analystes ont donc conseillé de renforcer ces parties les plus touchées par les tirs ennemis. Cependant, le statisticien Abraham Wald a proposé une approche différente. Plutôt que de se concentrer sur les ailes et le centre de l’avion, il a recommandé de renforcer les zones non touchées des avions qui étaient revenus, mais qui sont en réalité plus fragiles : la cabine du pilote, les moteurs et l’extrémité de la queue. Les avions touchés à ces endroits ne revenaient généralement pas.
L’instinct pousse à renforcer les zones endommagées des appareils survivants, mais cette intuition peut induire en erreur. Ainsi, en se concentrant uniquement sur les avions qui sont revenus, les analystes ont été victimes du biais du survivant en ne tenant pas compte des avions abattus qui auraient dû être inclus dans leur analyse. Ils ont analysé les données des avions qui avaient survécu et n’avaient pas pris en considération ce qu’ils n’avaient pas devant leurs yeux.
Au niveau du cerveau
Il est difficile de comprendre l’ensemble des mécanismes jouant un rôle dans le biais du survivant. Il y aurait une corrélation entre des mécanismes dits “chauds” (croyances et attentes) et des mécanismes dits “froids” (inclinaison mentale).
L’”heuristique de disponibilité” serait l’une de ces inclinaisons mentale. Nous accordons plus d’importance aux idées, aux informations et aux preuves qui sont plus accessibles, moins coûteuses à moindre effort. Cela crée une tendance à mettre en avant les cas de succès tout en négligeant les échecs. Ainsi, notre cerveau ne retient pas la majorité des cas qui ont échoué, et se rappelle principalement des cas qui confirment nos croyances initiales, renforçant ainsi nos intuitions.
Exemple : signe astrologique du jour
A la radio, vous entendez que les poissons (votre signe) seront maladroits aujourd’hui au travail.
Vous y croyez, vous arrivez à la pause café avec vos collègues. Vous renversez votre tasse, vous vous dites “mince, l’horoscope l’avait dit, c’est incroyable”. Vous ne renversez pas votre tasse, vous en rigolez en disant “j’ai bien fait d’écouter l’horoscope, j’ai fait attention”. Vous validez alors croyance initiale qui est que l’horoscope a raison.
Vous n’y croyez pas. A la pause café, vous renversez votre tasse, vous vous rappelez ce qu’avait dit l’horoscope et vous vous dites que “finalement, ils ont quand même raison”. Là, encore vous valider la prétention de départ et le cerveau garde en mémoire cette situation. Vous ne renversez pas votre tasse, il ne se passe rien. Vous oubliez et le cerveau ne retient pas que l’horoscope a annoncé quelque chose qui n’est pas arrivé.
Le biais du survivant est donc en quelque sorte un processus qui vient flatter notre égo en nous confortant dans nos intuitions. Ce qui peut comporter de nombreux dangers si notre esprit critique n’est pas aiguisé.
Le biais du survivant au quotidien
Le biais du survivant n'est pas limité à l'histoire de la RAF ; il se manifeste également dans de nombreux aspects de la vie quotidienne. En pédagogie, par exemple, ce biais peut conduire les enseignants à surestimer les stratégies pédagogiques qui ont réussi pour certains élèves, tout en ignorant les besoins des élèves qui ont échoué malgré ces stratégies. En statistique, le biais du survivant peut fausser les résultats d'une étude en ne prenant en compte que les données disponibles, sans tenir compte de celles qui sont absentes en raison de la nature du biais. En politique, ce biais peut influencer les décideurs à se concentrer sur les politiques qui ont fonctionné dans le passé, sans considérer les politiques potentiellement efficaces qui ont échoué mais n'ont pas survécu dans le paysage politique.
Au niveau des méthodes de santé alternatives, ce biais du survivant est fortement présent, ce qui comporte de grands risques pour la prise en charge des patients. Derrière une réussite d’un traitement homéopathique, combien de personnes ont échoué ? A l’heure du marketing des réseaux sociaux et de la surinformation, cela entraîne un grand danger, car les personnes peuvent foncer tête baissée dans l’espoir de trouver une solution à leur problème, sans réellement vérifier la véracité des méthodes.
Le biais du survivant est donc un phénomène cognitif illusoire qui peut avoir des répercussions majeures sur nos décisions et nos actions. En adoptant une approche plus consciente et critique de la façon dont nous traitons l'information, nous pouvons améliorer notre capacité à prendre des décisions éclairées et à éviter les pièges de la pensée biaisée.
Marine JOUIN
Bibliographie
Podcast - Le biais du survivant
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/votre-cerveau/le-biais-du-survivant-5761547