La volonté de vivre, rempart à la misère humaine


Crédits : Unsplash (Miguel Bruna)


La glorification du désir humain, liée à la morale individualiste actuelle, ne mène qu’au désordre de l’esprit. Je hais le culte du bien-être et celui de la jouissance matérielle. Je hais la modernité, son besoin irrésistible de contrer les contraintes morales et son désir sans fin d’une prétendue liberté. Plaisir et liberté, voilà les deux mots de la modernité morbide. La recherche perpétuelle de plaisirs affaiblit la volonté, fondement de la vie profonde, et la liberté moderne n'est qu’une liberté individuelle totalement vide car dénuée de valeur. La société est remplie de faux vieillards, qui aiment donner de bons conseils mais qui sont en état de donner le mauvais exemple. C’est cela être libre au XXIème siècle !

Être libre c’est ne dépendre de personne, être un individu au sens strict du terme ; or il n’y a de liberté que dans la relation à l’autre, que dans le sacrifice de sa vie pour l’autre, pour la vie en général. Sans l’autre, nous ne pouvons être libres. La liberté n’est pas l’absence de contraintes, c’est une concession sans fin, c’est un attachement à la vie et à son principe qu’est l’interdépendance. Être libre, ce n’est pas subir ses désirs, y succomber, ce qui nous rend esclaves de nous-même ; être véritablement libre consiste à se rendre maître de soi-même. Aujourd’hui, être libre, c’est ne pas considérer autrui, c’est ne pas s’engager pour l’autre, c’est être à genoux devant nos désirs futiles, sexuels, artificiels, inauthentiques, sans valeur : nous n'irons pas loin… Nous voyageons, avec cette liberté morbide, dans les profondeurs de la misère humaine, dans une faiblesse d’esprit méprisable, à la limite du supportable. Cette misère humaine s’intensifie avec l’argent, par le fait que tout puisse se vendre et s’acheter. Et lorsque nous vendons notre corps, nous amincissons le sacré du monde, nous nous enlevons de la puissance de vivre, nous réduisons à néant notre volonté d’être au profit d’une tendance perverse sans aucune valeur où la liberté est finalement une prison douillette. Cette liberté a déclenché le culte de l’éphémère, du changement perpétuel, incessant, au détriment du potentiellement immortel des œuvres humaines de la culture. Et encore ! même l’art et les manifestations culturelles de tous les types semblent eux aussi soumis à cet éphémère délirant, bien que constitutif de la modernité…

Cette misère humaine est rassurante car elle nous fait oublier le temps, le temps ne se résumant qu’à l’instant. Les anciens ne nous intéressent plus, l’héritage que nous léguerons sera un grand rien. La misère humaine se déclare surtout et encore plus lorsque l’on est perdu. Nous sommes perdus, nous nous perdons, le monde de l’avoir s’est emparé du monde de l’être, la matière a gagné contre l’esprit, l’instant a pris le dessus sur le temps : la misère est . Se complaire dans l’apparence et plaire aux autres sans les considérer tout en succombant à nos désirs honteux, en voilà un projet merveilleux ! Car, et c'est un problème, nous ne nous apercevons même plus que, dans notre société obscène, l'obscénité, justement, ne produit plus de honte. Cela est honteux… Cette absence de honte et de culpabilité dans la sphère de la morale correspond à une absence de honte et de culpabilité dans la sphère sexuelle : la progression de la nudité en est le témoin, tout comme la recherche accrue de relations sexuelles qui ne procure rien d’autre qu'un plaisir individuel se foutant royalement du plaisir de l'autre.

Les modernes ne veulent plus vivre avec les autres, ils veulent être avec eux pour les séduire, pour leur montrer leur individualité si rare… pas rare ! Comment s’y retrouver, comment se retrouver en tant qu’être vivant dans ce monde de morts vivants, de zombies ? Je verse, mes amis, des larmes d’impuissance… je tremble devant ce monde, le cœur rempli d’énergie et le cerveau rageur. Mais, tout de même, je continue de pleurer et mes larmes m’empêchent paradoxalement de m’effondrer complètement dans l’abîme que je contemple et qui m’obsède.

Tous les jours il y a des combattants qui s’insurgent contre cette situation misérable de l’homme actuel mais ces mêmes combattants parfois se résignent, n’ayant plus assez de force pour regarder cette misère. Car l’homme porte en lui plus d’inhumain que d’humain du fait même que l’humanité n’est pas acquise mais qu’elle doit s’affirmer à chaque instant si on ne veut pas qu’elle s’évapore. L’effort vers l’humanité est rompu. Et pourtant, il y a cet infini à la portée des caniches… il y a ce visage qui nous sourit… il y a cette consolation résultant d’une rencontre avec d’autres combattants, ces camarades prônant la volonté de vivre.

Il y a la misère humaine, les plaisirs futiles, les désirs honteux, la liberté moderne sans valeur, la séduction au détriment de la relation, l'avoir sans l'être et le culte de l'éphémère qui engloutit l'histoire et la culture... Cette misère se surmonte néanmoins par la volonté de vivre, par une volonté authentique faisant accéder à une véritable liberté et impliquant la réévaluation de la vie.

Vouloir vivre, ce n’est pas se laisser aller à ses désirs, c’est décider de vivre avec conscience, c’est-à-dire décider de mettre la vie et les valeurs qui lui sont liées au premier plan de l’existence. La volonté de vivre, chaque être humain l’a en soi mais peu ont le courage nécessaire de vivre avec volonté.

Le moi trouve son principe dans la volonté de vivre ; ses sensations et sentiments maintiennent son état affectif fondamental. Le bien authentique est l’esprit voulant la liberté de lui-même, s’élevant ainsi au-dessus de la nature, s’affranchissant de tout désir. Affirmons donc que le vouloir vivre, le « je veux », n’est pas une force aveugle s’exerçant sur tous les êtres. En effet la volonté est une faculté, en l’occurrence celle de déterminer librement son existence par l’intermédiaire de justifications rationnelles. C’est en définitive par notre volonté que nous affirmons notre liberté.

Vouloir la vie, c’est l’affirmer, c’est lui donner une valeur suprême ; par conséquent vouloir vivre c’est aussi être en mesure de se sacrifier pour elle afin de la rendre sacrée. Retrouver du sacré… voilà la tâche vitale pour les esprits contemporains. Avoir une volonté de vivre (nous pourrions même dire : être une volonté du vivre), c’est décider de donner à la vie, encore et encore, en sachant pertinemment que la vie nous donnera en retour. Nous avons ici une dialectique défiant la négativité du nihilisme d’aujourd’hui : la vie crée la volonté et la volonté crée la vie.

Vouloir vivre, ce n’est pas toujours être joyeux, toujours avoir la tête haute, toujours avancer sans regarder derrière soi ; et ce n’est pas non plus, évidemment, vouloir tout et n’importe quoi. Vouloir vivre, c’est vouloir tout ce qui est inhérent à la vie, c’est à la fois courir vers l’inconnu et analyser sa conscience, c’est tomber, tomber encore, en trouvant la force nécessaire de se relever, c’est pleurer sur son sort puis s’affirmer pleinement, c’est se résigner puis retourner au combat. Même si certaines personnes ont davantage de volonté de vivre que d’autres, de façon dira-t-on naturelle, c’est un devoir de faire en sorte de la faire vivre et de faire l’effort de la faire naître, quoi qu’il arrive. Car, quoi qu’il arrive, nous voulons, alors utilisons cette volonté à bon escient. La volonté de vivre est en nous, alors faisons tout notre possible pour nous élever avec et à travers elle afin d’ouvrir les potentialités de notre vivacité.

Avoir une volonté de vivre, ce n’est pas simplement vouloir survivre dans ce monde immonde, c’est se dépenser de telle sorte que notre vie future dépasse notre vie actuelle, qu’elle soit plus forte, plus puissante, plus authentique. Vouloir n’est pas désirer : le vouloir est le résultat d’un cheminement spirituel tandis que le désir s’impose à l’esprit et ce dernier finit, par un phénomène de répétition, par céder s’il n’est pas assez solide. Que nos actions présentes soient un moyen de nous élever au-dessus de notre situation : voilà ce qu’est avoir une volonté de vivre dans son sens le plus profond. Continuons encore et toujours à nous transcender afin de ruiner l’immanence spirituelle prônée par la modernité qui représente la négation de notre être ! Car nous aspirons à autre chose que nous-même : nous voulons l’autre soi qui se prépare en nous, pas un autre total mais un autre qui est notre soi actuel surpassé. Nous aspirons par conséquent à la transcendance de notre être tout en maintenant son identité. Vouloir vivre, c’est vouloir un au-delà, non divin ni fictionnel mais terrestre, un au-delà où l’être, les deux pieds dans la terre, défie la réalité et se sert d’elle afin de concentrer ses forces vitales.

Rester là, dans les plaisirs sans fin et dans la liberté moderne, c’est la mort ; viser quelque chose de plus grand que soi, c’est vivre. La volonté de vivre, ce rempart à la misère humaine… L’homme est en perpétuel tension entre la bête et un au-delà humain ; ainsi n’oublions pas que la bête est meilleure que l’homme se rabaissant à sa condition de bête…

Jean


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Dimanche 7 février 2021