La réforme du règlement Dublin
La question de la réforme du Règlement Dublin est au cœur des préoccupations européennes depuis les crises migratoires successives, notamment celle de 2015 puisque ces dernières ont souligné les limites de la politique migratoire et d’asile de l’Union européenne.
Depuis la Convention de Dublin en 1990 et surtout avec le Règlement Dublin II de 2003 puis Dublin III en 2013, l’Union européenne a adopté un « régime d’asile européen commun » afin de fixer les règles de l’accueil des populations migrantes sur la base de la responsabilité de la procédure de demande d’asile pour le premier État membre dont la frontière est franchie. Les limites de ce système, notamment en termes d’égalité entre les États membres ou de considération du sort des personnes migrantes, ont poussé la présidente de la Commission Ursula Von der Leyen à annoncer l’abolition du « système Dublin » le 16 septembre 2020 lors du Discours sur l’État de l’Union et de lancer la création d’un « nouveau pacte sur l’immigration et l’asile » afin d’améliorer les mécanismes de responsabilité et de solidarité du régime européen commun. La réforme, qui semble alors nécessaire, n’est toutefois pas source d’unanimité parmi les États membres qui n’appréhendent pas tous la crise migratoire de la même façon et ne sont pas toujours concernés par les entrées de populations migrantes par leurs frontières maritimes ou terrestres.
L’enjeu de cette réflexion est de définir les enjeux de la réforme du règlement Dublin et d’analyse les limites et les avantages des différentes alternatives possibles.
Dans quelle mesure la réforme du Règlement Dublin peut-elle permettre de mettre en place un système européen efficace et solidaire en matière d’immigration ?
Si dans un premier temps la réforme du règlement Dublin répond à une nécessité de pallier les limites de ce système sclérosé, les alternatives mélioratives possibles présentent dans un second temps des limites saillantes.
1. Les enjeux de la réforme du règlement Dublin
La réforme du règlement Dublin annoncée par la présidente de la Commission Ursula Von der Leyen en 2020 et poursuivie par les différentes communications de la Commission dans les mois qui ont suivis est motivée par différents facteurs qui motivent aujourd’hui la création de ce « nouveau pacte européen pour l’asile et l’immigration ».
1.1. La simplification des procédures d’examen des demandes d’asile
Le problème du règlement Dublin III est celui de la complexité administrative et de la lenteur des processus de demande d’asile et de contrôle des flux des populations immigrantes. Avec le règlement Dublin a été créé la base de données EURODAC qui permet à l’Union européenne de récolter les empreintes digitales de tous les migrants en situation irrégulière et demandeurs d'asile qui ont été enregistrés dans les États membres de l'UE et les pays associés. Le but majeur de la réforme sur ce point est aujourd’hui de faciliter les autorités des États membres d’accueil de mieux réguler et de traiter en fonction de critères plus précis les différentes demandes d’asile des personnes en situation d’immigration. Ce système a pour but d’aboutir à un nouveau modèle « gagnant-gagnant », afin de faciliter d’une part l’action des États membres et des autorités en charge des procédures de contrôle ou de régularisation et d’autre part de clarifier et de faciliter l’accès à la demande d’asile, notamment pour des personnes en situation précaire.
1.2. L’amélioration de la coopération avec les États tiers et de l’approche globale
En toute logique, la réforme du règlement Dublin porte le besoin de repenser la coopération entre l’Union européenne et les États tiers à l’origine ou faisant le point de passage vers ses États membres pour les populations migrantes. L’objectif est notamment de renforcer les contrôles de l’agence Frontex, notamment dans les pays comme la Turquie ou le Maroc afin de ne pas laisser un accès trop important aux frontières des États membres. Un règlement dit « de filtrage » doit également venir compléter l’action de Frontex avec les États tiers. À la fin du filtrage, toutes les personnes concernées feront l'objet de la procédure concernée : asile ou retour, à la frontière ou loin de la frontière. Le train de mesure accompagnant le règlement doit également permettre la mise en place d’un système commun de retour et de raccompagnement vers les États d’origine afin de faciliter la prise en charge des retours de migrants en situation illégale ou dont le statut n’a pas été renouvelé, notamment dans les États membres les plus touchés. À cela s’ajoute un vaste plan énoncé par la Commission pour permettre l’immigration de « talents », et donc s’apparenter à une forme d’immigration « choisie ».
1.3. Le partage des responsabilités et la meilleure coopération entre les États membres
La principale raison qui a enfin motivé cette réforme et qui présente aujourd’hui le point de tension le plus important pour l’adoption d’un système commun d’asile et d’immigration, c’est la coopération entre les États membres. Il a en effet été vu que si certains États accueillaient un grand nombre des populations en situation de migration en fonction des quotas imposés par l’Union, d’autres ne respectaient pas ces attentes et créaient ainsi un déséquilibre croissant avec notamment les principaux pays d’entrée. Le but du nouveau pacte est donc de mieux partager la responsabilité et d’accentuer la solidarité entre les États membres au regard de l’accueil des populations immigrantes. Ainsi, Le 19 janvier 2022, l'Agence de l'Union européenne pour l'asile (AUEA) a remplacé le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO). La nouvelle agence est chargée d'améliorer le fonctionnement du régime d'asile européen commun, en fournissant une assistance opérationnelle et technique renforcée aux États membres et en renforçant la cohérence de l'examen des demandes de protection internationale. La coopération interétatique est donc nécessaire pour permettre une meilleure prise en charge des populations migrantes et reçoit ainsi un appui plus important de l’Union qui centralise en ce sens les actions et les opérations, comme le sauvetage et le débarquement de migrants maritimes en Méditerranée ou encore la répartition des populations regroupées dans les camps précaires.
2. Les avantages et les limites des alternatives apportées par le nouveau pacte.
Comme énoncé plus haut, la réforme du règlement Dublin amène à repenser les mécanismes et les dynamiques qui motivent la politique européenne en matière d’asile et d’immigration. Si les objectifs sont louables et visent à assurer un traitement plus humain des flux migratoires tout en assurant un meilleur partage des responsabilités entre les États membres, il apparaît que les nouvelles logiques plus vertueuses présentent des difficultés.
2.2. Le mécanisme de solidarité : accroître les tensions entre les groupes d’États ?
Le premier principe motivant la réforme du règlement Dublin est celui de la prise de responsabilité des États membres en ce qui concerne le mécanisme de solidarité pour faire face aux enjeux des migrations. Ce dernier inviterait ainsi les États membres à venir en aide aux principaux pays d’entrée et d’accueil actuel qui sont inégalement impactés par les arrivées massives de populations migrantes et les entrées illégales ainsi que la gestion des procédures de demande d’assise. On distingue alors trois groupes et trois dynamiques qui peuvent à elles seules expliquer la difficulté de produire des normes communes sur le domaine migratoire de l’Union. Le « bloc du nord-ouest » (Allemagne, France, Autriche, Benelux) tient à faire respecter ce mécanisme de solidarité en amenant les États récalcitrants à assurer leurs quotas d’accueil et de traitement des demandes d’assise dans le cadre des normes européennes. Les États membres du « bloc Méditerranée » (Grèce, Italie, Malte , Chypre, Espagne) auraient tendance à soutenir ce projet dans la mesure où ces derniers sont les « portes d’entrée » à la fois maritimes et terrestres, même si la situation actuelle en Italie ne permet pas d’assurer une coopération très active sur les questions migratoires. Les États plus récalcitrants, le « groupe de Visegrad » (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie) sont quant à eux plus favorables à un renforcement des prérogatives de l’agence Frontex pour durcir les contrôles frontaliers, même si la vague des réfugiés ukrainiens vient aujourd’hui pousser les différents dirigeants à repenser leur position ou les modalités de leur action.
2.3. Le mécanisme de répartition : un système pratique mais peu humain.
Logiquement, les questions soulevées par le principe de responsabilité mettent en avant un besoin pour l’Union européenne d’appuyer sur un mécanisme de répartition plus automatique des populations migrantes, grâce notamment au renforcement du système d’identification et à la simplification de l’accès aux procédures de demande évoqués plus haut. Pour les États membres, les populations immigrantes seraient donc réparties en fonction des possibilités de chacun afin de désengorger les pays d’entrée et de maintenir une égalité entre eux aux niveaux économique et logistique. Toutefois, la première limite est bien évidemment l’opposition du groupe de Visegrad qui remet ainsi en cause la prédominance de l’Union sur la question de l’accueil des réfugiés sur leurs territoires nationaux. Et si sur le plan étatique la solution présente le risque d’un blocage, le plan humain n’est pas exempt d’accrocs problématiques. Ainsi, la Cimade en France estimait que ce système automatisé ne prendrait pas suffisamment en compte les situations personnelles et les relations familiales avec les communautés déjà installées dans certains États membres. « L’algorithme ne sera pas en mesure de tenir compte des liens familiaux des demandeurs d’asile » déclare ainsi Gérard Sidik en 2020, responsable asile de l’organisation. Le débat est également d’autant plus problématique aujourd’hui dans le cadre du conflit en Ukraine avec l’exemple de l’instrumentalisation des flux migratoires, notamment par la Biélorussie, qui crispe encore plus les positions polonaises sur la question de cette répartition plus juste et équitable.
Ainsi, s’il est vrai que la refonte du règlement Dublin semble être une tâche profondément complexe et peu susceptible d'avoir des résultats à court terme, sa réalisation semble néanmoins devoir s’effectuer à moyen voire long terme. Ce ne sont pas en effet les crises migratoires et le pic de 2015 qui ont accéléré direction de cette réforme, mais bien les nécessités dues au COVID et au conflit en Ukraine. La précarité des situations des personnes migrantes ainsi que la proximité des zones de conflit sont aujourd’hui un catalyseur pour l’opinion publique et pour les politiques européennes et nationales de meilleure prise en compte des enjeux liés à l’immigration et à la gestion des frontières de l’Union.
Pierre Jouin