La justice restaurative
Salle de cinéma
Assise dans la salle sombre, les premières images du film, diffusé en avant-première, me transportent. Je vois des vies défilées, celles des victimes, des auteurs et aussi des accompagnateurs. Je découvre un concept dont je ne soupçonnais pas l’existence : la justice restaurative. Je verrai toujours vos visages aborde l’humain dans son entièreté et laisse aux spectateurs le choix de faire leur propre avis. S’ensuit des échanges enrichissants ainsi que des témoignages de professionnelles venues également assister à l’avant-première. Il ne s’agit pas d’une pratique “bisounours” où il faut obligatoirement pardonner, mais plutôt d’une alternative complémentaire au pénal, où chacun entame son propre processus de réflexion.
Remise en contexte historique
Les prémices de la justice réparatrice ont émergé spontanément dans les années 1970 au Canada, aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande, se développant au sein des communautés autochtones, religieuses et autres organisations non gouvernementales. Cette pratique est apparue comme une nouvelle manière de faire la justice, en différant de l’approche traditionnelle de définir et de traiter le crime. Plutôt que de se concentrer sur la punition, ce modèle vise à mettre davantage l'accent sur la médiation, la réparation et la responsabilisation plutôt que sur la seule rétribution, reflétant une évolution significative dans la conception et la mise en œuvre de la justice pénale.
En France, la justice restauratrice s’intègre progressivement dans le système judiciaire à partir des années 1990, avec des expérimentations et des initiatives locales. Consacrée en droit français par la loi du 15 août 2014, la justice restaurative est définie par l’article 10-1 du code de procédure pénale comme une « mesure permettant à une victime et à un auteur de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction ».
Puis en 2017, la circulaire du 15 mars précise que la justice restaurative oeuvre plus largement « à restaurer le lien social endommagé par l’infraction, à travers la mise en œuvre de différentes mesures associant la victime, l’auteur et la société. Elle est conçue pour appréhender l’ensemble des répercussions personnelles, familiales et sociales liées à la commission des faits et participe ainsi, par l’écoute et l’instauration d’un dialogue entre les participants, à la reconstruction de la victime, à la responsabilisation de l’auteur et à l’apaisement, avec un objectif plus large de rétablissement de la paix sociale. »
La justice restauratrice continue d'évoluer pour faire face aux défis contemporains de la justice pénale. D'importantes controverses doctrinales persistent quant à la manière dont elle interagit avec le système pénal conventionnel.
Principes
En France, la justice restaurative est gratuite et est complémentaire à la justice pénale. Tout recours à cette pratique est confidentiel et autonome de la procédure pénale.
La justice restaurative peut être instaurée à divers stades de la procédure pénale, qu'il s'agisse d'avant, pendant ou après le procès, et ce, même en l'absence de poursuites. Son déroulement, son aboutissement ou son échec ne modifient pas la décision judiciaire, car elle demeure une démarche personnelle et volontaire, distincte des décisions du tribunal. À tout moment, l'un des participants peut mettre fin à cette démarche, et les détails de son contenu restent confidentiels vis-à-vis du juge.
Ce modèle, basé sur la réparation, crée un environnement confidentiel, sécurisé et volontaire propice à l'expression des ressentis, des émotions et des attentes de toutes les parties impliquées dans l'infraction et ses conséquences. Elle facilite le dialogue entre la victime, l'auteur de l'infraction, ou toute personne concernée, avec le soutien d'un médiateur neutre et formé.
Quiconque ayant commis une infraction, indépendamment des conséquences judiciaires, peut intégrer un programme de justice restaurative en qualité d’auteur, si elle reconnaît les frais. Si l’auteur est mineur, le fait qu’il ne nie pas les faits ou qu’il reconnaisse qu’il « s’est passé quelque chose » peut lui permettre d’entrer dans une démarche de justice restaurative. De même, toute personne qui s’estime victime d’une infraction, même prescrite ou commise par un auteur non identifié, peut faire une demande de mesure de justice restaurative.
Il est essentiel que l'auteur reconnaisse son implication dans la commission des faits. Dans le cas contraire, la victime pourrait être fragilisée, compromettant le déroulement des échanges. Idéalement, l'auteur doit assumer pleinement sa responsabilité dès la phase préparatoire de la rencontre. La nature, la gravité ou l'ancienneté de l'infraction ne constituent pas en principe un obstacle à la proposition d'un processus de justice restaurative aux victimes et aux auteurs. Cependant, certaines nécessitent une attention particulière comme les violences conjugales, intrafamiliales ou sexuelles, ou bien encore les actes de terrorisme.
La mise en place d'une mesure de justice restaurative n'altère pas la présomption d'innocence du mis en cause. Tous les participants doivent consentir à la mesure après avoir été informés des modalités de mise en œuvre, de contrôle, du caractère confidentiel, et de la possibilité de se retirer du processus à tout moment. Cette approbation est recueillie avant la mise en œuvre par le professionnel en charge de la mesure. La participation d'un mineur à une mesure de justice restaurative nécessite l'accord de ses représentants légaux, après vérification de son discernement et de sa maturité. Bien que le juge supervise la mise en œuvre de la mesure, il n'intervient pas dans son contenu ni dans son déroulement.
Les différentes pratiques
La justice restaurative englobe une diversité de pratiques, ce qui peut rendre sa mise en place complexe. À ce jour, sept types de mesures distincts ont été identifiés regroupés en trois grandes catégories.
Les rencontres directes auteur/victime
Il s'agit de rencontres mettant en relation les auteurs et les victimes d'une même affaire.
La médiation restaurative, après une phase de préparation et des entretiens individuels, implique des échanges et/ou une rencontre entre la victime et l'auteur de l'infraction, avec le soutien d'un tiers indépendant spécialement formé. Ainsi, les participants ont l’occasion de discuter des faits, de leurs conséquences et de leurs répercussions, permettant aux parties de participer activement à la résolution du conflit et des difficultés résultant de l'infraction. La médiation restaurative peut être mise en place à tous les stades de la procédure, et même en l'absence de procédure, sous réserve de garantir qu'aucune interdiction judiciaire ne s'y oppose. Il est important de ne pas confondre avec la médiation pénale ou les mesures de réparation pénale, car la justice restaurative n'est pas une alternative aux poursuites, contrairement à ces dernières. Bien que les mécanismes utilisés dans ces mesures soient similaires, leurs implications juridiques diffèrent, la justice restaurative n'étant pas intégrée à la procédure judiciaire et n'étant pas ordonnée par l'autorité judiciaire.
La conférence restaurative implique la participation de proches ou de personnes de confiance de l'auteur et de la victime lors de la rencontre entre la victime et l’auteur de l’infraction.
Quant au cercle restauratif, il offre un espace de parole et de réflexion où des personnes impliquées et des victimes de faits pour lesquels des poursuites ne sont pas envisageables (par exemple, en raison de la prescription) peuvent échanger.
Les rencontres indirectes auteur/victime
Ces rencontres réunissent des auteurs et des victimes qui ne sont pas impliqués dans la même affaire et qui ne se connaissent pas. Les rencontres condamnés-victimes et les rencontres détenus-victimes sont basées sur la création d'un espace de dialogue. Un groupe de personnes condamnées et un groupe de victimes (3 à 5 personnes par groupe) qui ne se connaissent pas mais sont concernées par un même type d'infraction se réunissent. Par l’intermédiaire d’un programme de 5 à 6 rencontres, elles discutent des conséquences de l'acte commis. Ces sessions sont animées par un (des) tiers indépendant(s) formé(s) (professional, conseiller pénitentiaire, éducateur de la protection judiciaire et de la jeunesse)…). Des représentants de la société civile formés à la justice restaurative peuvent être présents et jouent un rôle d’écoute et de soutien. Les rencontres peuvent se dérouler au sein de la prise (rencontre détenus-victimes, RDV) ou en-dehors de la prison (rencontre condamnés-victimes, RCV).
Les cercles de soutien
Les cercles de soutien ne visent pas à faciliter les rencontres entre les auteurs et les victimes d'infractions. Ils sont exclusivement destinés aux auteurs libérés de détention. Il est nécessaire de distinguer les cercles de soutien et de responsabilité (CSR) des cercles d'accompagnement et de ressources (CAR). Les CSR, destinés aux auteurs d'infractions à caractère sexuel, concernent ceux en fin de peine présentant un risque élevé de récidive. Ce dispositif, impliquant des bénévoles formés, soutient la réinsertion sociale en formant un "cercle d'accompagnement". Un autre "cercle de ressources", composé de professionnels bénévoles, intervient ponctuellement en appui. Pour les autres infractions, le dispositif est appelé "cercle d'accompagnement et de ressources", s'adressant à toute personne condamnée en fin de peine, plaçant le condamné au cœur du processus restauratif en tant que "membre principal".
Conclusion
L’approche de la justice restaurative offre un espace de libre expression où victimes et auteurs peuvent évoquer les faits et travailler ensemble à la résolution des difficultés. Souhaitant proposer une approche différente de la méthode punitive, la justice restaurative continue d'évoluer, s'efforçant de promouvoir la réconciliation, la responsabilisation et la prévention de la récidive. Il s’agit d’un processus long et fastidieux avec des professionnels qui s’engagent pour l’humain et qui se forment. Cet article avait pour volonté de mettre la lumière sur cette approche, et j’ai essayé d’être précise dans mes formulations. Je vous recommande fortement le film Je verrai toujours vos visages (2023) de Jeanne Herry pour comprendre toute la complexité de cette mesure.
Marine JOUIN
Bibliographie
MINISTÈRE DE LA JUSTICE : https://www.justice.fr/justice-restaurative
Guide sur la justice restaurative : https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2023-05/guide_methodologique_justice_restaurative.pdf
Ressources
Justice restaurative - https://youtu.be/tYsLXPNTxPI
Ciné-débat autour du film “Je verrai toujours vos visages” https://youtu.be/ShDPwY9Fg64