La Fraternisation durant le conflit de la Première Guerre Mondiale


 
Claudio SchwarzLigne de crédit : Unsplash

Claudio Schwarz

Ligne de crédit : Unsplash


Joyeux Noël de Christian Carion sorti en 2005, est l’un des premiers films à mettre en évidence le phénomène de « fraternisation » durant la première guerre mondiale. C’était une pratique assez méconnue du public en France et en Allemagne en particulier. En effet, aucun monument mémorial de cette fraternisation durant le conflit n’a été créé, il faut attendre les années qui suivent la sortie du film pour en percevoir.

La fraternisation représente l’action de fraterniser, celle-ci signifie bien plus que la création de simples accords. Il s’agit de l’émergence de sympathie et d’amitié envers un ou des individus, l’on passe alors de rapports plus ou moins hostiles à des rapports amicaux. Durant un conflit, la fraternisation est le cas où les individus des partis opposés cessent les combats de façon partielle, afin de connaître une certaine paix éphémère. Cette fraternisation est mise en évidence durant le conflit de la grande guerre et de façon flagrante à Noël et à Pâques. Elle est, de toute évidence, la preuve de l’humanité des soldats, perdus dans l’absurdité et dans la violence de la guerre.

Il est nécessaire de comprendre comment cette fraternisation a émergé au sein du conflit de la 1ère Guerre mondiale entre 1914 et 1918. Elle s’est construite progressivement par divers facteurs que nous chercherons à mettre en évidence. C’est une pratique qui devient récurrente notamment en période de fête et cela sur plusieurs territoires du front. De nombreux cas de fraternité sont présents durant cette guerre, l’amitié franco-allemande en est le parfait exemple. Cependant la fraternisation aurait diverses conséquences. En effet, bien qu’elle apporte la paix, la guerre est toujours présente. La fraternité est très souvent réprimée par les généraux qui punissent alors leurs soldats. La fraternisation est aussi utilisée de façon stratégique : c’est le moyen d’espionner l’ennemi, de recueillir le plus d’informations possible sur ce dernier, ce qui peut expliquer la punition des soldats. Nous étudierons ici la fraternisation dans la partie Ouest du conflit.

 

1- La fraternisation : une pratique naissante, qui perdure durant le conflit

1.1- Les facteurs d’apparition

Durant la Première Guerre mondiale, les conflits sont intenses et les affrontements sont nombreux. Les ennemis se livrent un combat ardent notamment depuis leurs tranchées. Mais cette guerre bien qu’elle soit très violente et meurtrière laisse tout de même place, dans de moindres proportions, à des moments conviviaux et de paix qui s’expliquent par la fraternisation. Celle-ci apparaît dès le début du conflit, et émerge progressivement par l’influence de trois facteurs.

Le facteur majeur est la situation géographique qui offre une certaine proximité entre les soldats des camps opposés notamment lors de la guerre de position qui ancre les soldats dans les tranchés. Cette proximité facilite la rencontre entre les soldats, en effet, ces derniers ne sont séparés, la plupart du temps, que par un « no man’s land » plus ou moins vaste.

Le deuxième facteur de son émergence est le respect de l’adversaire, la reconnaissance mutuelle des soldats qui ont de véritables ressemblances malgré leur statut d’adversaire. Ce respect a permis un amoindrissement du sentiment hostile des soldats envers leurs ennemis. Les soldats des camps opposés partageaient cette guerre, les conditions de vie et avaient souvent les mêmes activités, les mêmes sentiments. Ils ne sont pas différents les uns des autres comme l’on pouvait le penser avec la propagande qui offrait une image bestiale et terrible de l’ennemi.

Le dernier facteur de cette fraternisation est la lassitude du combat éprouvée par les hommes ainsi que l’ennui qu’ils subissent, ces derniers se remettent en question et cherchent un sens à ce qu’ils vivent.

 

1.2- Un phénomène récurrent

La fraternisation peut faire partie du quotidien du front mais apparaît aussi lors des fêtes telles que Pâques et Noël. Elle est de plus en plus présente durant la guerre, c’est une pratique théorisée par l’historien Tony Ashworth. Il affirme que les soldats ritualisent la violence quotidienne pour en réduire son impact. Les soldats des deux camps vont alors s’avertir lors des affrontements afin de limiter leurs pertes. On assiste donc à une véritable solidarité entre les soldats des camps opposés mettant en avant cette fraternisation. Celle-ci est encore plus flagrante lors des fêtes et cela dès 1914. Que cela soit Pâques ou Noël, la fraternisation y est très présente. Ce sont des moments particuliers, des moments de paix et de tranquillité qui sont véritablement bénéfiques pour les soldats. Ces fêtes sont l’occasion d’échanges de cadeaux, de biens tels que des cigarettes, sculptures, nourriture entre les soldats. La communication n’est pas chose facile notamment à cause de la langue qui va différer mais l’on peut comprendre les bonnes intentions par d’autres moyens tels que les gestes, la musique et les sourires. Le sport est aussi un vecteur de fraternité, même si celui n’est pas le plus courant, il est tout de même présent dès 1914 lors de la trêve de Noël.

 

1.3- Le cas de l’amitié franco-allemande

Le cas de l’amitié franco-allemande au Noël de 1914 semble être l’exemple le plus adéquat pour illustrer cette fraternisation. En effet, durant cette nuit si particulière, les soldats tirent avec des balles à blanc afin de faire semblant de combattre. Les combattants se rejoignent et s’offrent alors des cadeaux : les allemands échangent leurs cigares très réputés aux français et ces derniers leur donnent en contrepartie du pain dont ils sont les meilleurs fabricants, ainsi que du vin de Bordeaux ou de Bourgogne qui était très demandé.

Ce Noël s’annonce sous le signe du « vivre et laisser vivre », les hommes respectent alors les règles morales, ils veulent la paix en ce jour qui leur est cher. Une réelle complicité naît entre les soldats, leur faisant oublier un court instant qu’ils étaient ennemis.

 

2- La fraternisation : une pratique aux multiples conséquences

2.1- Une action durement réprimée

La fraternisation est une pratique aux multiples conséquences, en effet, pour de nombreux soldats et sous-officiers qui vivaient cette fraternité, il était difficile de continuer la guerre. Cela représentait alors une véritable faiblesse pour les camps en question. Pour les officiers, cet acte de fraternisation était une trahison, c’est pourquoi cette pratique était très souvent réprimée par les supérieurs. Les sanctions sont diverses, la plus répandue était la corvée ou la prison, la plus extrême quant à elle était la peine de mort. De nombreux dispositifs mis en place par les plus hauts gradés sont utilisés afin de nuire à cette fraternisation. Le principal de ces dispositif est la diabolisation ou la déshumanisation de l’ennemi notamment par le biais de la propagande. Le but étant de détruire ce sentiment d’égalité entre les soldats qui s’affrontent, il est donc nécessaire qu’ils soient en totale opposition pour mieux combattre et ainsi gagner.

 

2.2- De nombreux pièges tendus par l’ennemi

Si la fraternisation est durement réprimée, c’est en particulier pour se protéger. Cette fraternisation, durant le conflit, était parfois utilisée à des fins stratégiques. En effet, cela était assez courant, notamment du côté allemand à l’encontre des français. Certains allemands ont profité de cette fraternité pour s’introduire totalement dans le camp adverse et ont ainsi pu récupérer de précieuses informations sur divers domaines tels que l’armement ou les potentielles failles dans les tranchées ennemies. L’armée allemande avait même créé des équipes de fraternisation pour obtenir le plus de renseignements possibles sur l’adversaire pendant que celui-ci ne se doutait de rien. Certains soldats n’ont pas oublié qu’ils étaient en guerre et ont continué à opérer pendant que l’ennemi était distrait. La fraternisation pouvait alors servir de piège, de diversion et était donc très utile pour les allemands puisque par elle, ils ont pu se renforcer.

 

2.3- Une médiatisation limitée

Ce phénomène de fraternisation n’a pas du tout été médiatisé durant le conflit en France et en Allemagne, l’Angleterre quant à elle autorise les reportages mettant en exergue la fraternisation entre les soldats ennemis. La censure était très présente à l’époque. Il n’y a que très peu de photographies promouvant la fraternité. En revanche, les récits de cette fraternisation étaient très nombreux grâce aux lettres des soldats qui évoquent ces rencontres entre les lignes de combat. Une grande partie de ces lettres est censurée mais un grand nombre de ces dernières parviennent tout de même à leurs destinataires. Ensuite, ce sont les canaux de communication personnels ainsi que les soldats en permissions qui vont diffuser l’information à un plus grand public. Nous pouvons donc penser que l’arrière avait connaissance de cette fraternisation entre les soldats alliés et les soldats ennemis. Malgré une censure très forte entre 1914 et 1918 et l’usage considérable de la propagande, la fraternisation demeure entre les soldats et les sous-officiers des camps opposés. Celle-ci n’a jamais véritablement disparu, puisqu’on la retrouve également lors de la seconde guerre mondiale entre 1939 et 1945.

La fraternisation apparaît donc à plusieurs moments dans la grande guerre et sous plusieurs formes, elle est très présente et nécessaire pour les soldats qui se battent sur le front. Elle témoigne de la convergence de ces derniers et de leur lassitude à se battre. Elle leur apporte une certaine paix éphémère. Cette pratique est souvent réprimée par les supérieurs car elle peut s’avérer dangereuse. Elle peut être un piège permettant à l’ennemi de recueillir un grand nombre d’informations stratégiques pour la guerre. Ce phénomène est censuré par la presse en raison du « patriotisme » mais est tout de même connu des civils.

Sacha Nizet


Bibliographie :

Ouvrages :

 -BOUTEFEU, Roger, Les camarades. Soldats français et allemands au combat, 1914-1918, Paris, Fayard, 1966

-HOBSBAWM, Éric J., L’âge des extrêmes Histoire du Court XXème siècle, Paris, Edition Complexe, 1994

-SERRIER Thomas, FRANCOIS Etienne, Europa notre histoire, Paris, Champ Histoire, 2007

Articles numériques :

- « Histoires 14-18 : la fraternisation des soldats », France 3 Grand Est, 2018

- « 25 décembre 1914 : Noël dans les tranchées », Mémoire et Histoire, 2016

- Maude Williams, « Fraternisations aux armées pendant les deux guerres mondiales », Encyclopédie pour une histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22/06/20, consulté le 16/11/2020. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/12327

 

Documentaire :

-Daniel Constelle et Isabelle Clarke « Apocalypse 1ère Guerre Mondiale », 2014